II

Ils avaient décidé de s’installer dans son appartement de garçon, rue de Vaugirard : quatre pièce au cinquième, avec un balcon d’où l’on voyait les toits de Montrouge jusqu’aux arbres du parc Montsouris flanqués des bâtiments de la Cité universitaire.

— Rien ne doit être changé à votre vie, avait dit Cécile.

— Quelque chose tout de même, avait-il répliqué tandis qu’un éclair de tendresse s’allumait dans son regard de myope.

Et c’était ce quelque chose, changeant peu à peu, qui, tout doucement, l’enchantait. De sa propre initiative, il avait jugé convenable de faire repeindre la salle de bains. Mais les modifications ne s’arrêtèrent pas là. Une cuisinière électrique remplaça le vieux réchaud à gaz. Après quoi, il avait fallu changer de femme de ménage, l’ancienne ayant grogné quand Cécile avait voulu la commander. D’un commun accord ils décidèrent que le papier de la salle à manger était trop triste. On fit recouvrir à nouveau les murs, et on en profita pour repeindre le plafond. Par la même occasion, le buffet à colonnes qu’il avait hérité de son père fût remplacé par une desserte de style moderne, en bois clair. Puis, peu à peu, les ampoules électriques quittèrent les plafonds pour venir se loger sous des lampes à pied aux abat-jour multicolores donnant ; une lumière tamisée plus agréable, et le tapis du salon, désormais baptisé studio, fut remplacé par un tapis neuf, avec un divan, des étagères et de grandes coupes plates, en verre épais, que Cécile emplissait d’anémones, comme faisait à Neuilly, dans son salon, Mme Blandin.

Au bout du mois de congé qu’elle avait obtenu. Desmaisons déclara qu’il ne voulait plus la voir travailler dans les bureaux.

— Pourquoi ? demanda-t-elle avec surprise.

— Je n’aimerais pas te sentir là-bas, seule au milieu de tous ces gens. Maintenant tu es à moi, à moi seul, continua-t-il en la prenant aux épaules de ses deux grandes mains et l’attirant contre lui.

C’était pour lui une surprise merveilleuse et toujours renouvelée que d’avoir près de lui, à toute heure, ce beau visage attentif et docile, de pouvoir caresser ces cheveux fins et souples qui laissaient à ses paumes un peu de leur parfum vivant, tandis qu’un regard noir, à la fois confiant et anxieux, se relevait vers lui pour interroger son propre visage.

— Ma femme ne doit plus avoir besoin de gagner sa vie, reprit-il. Je sais tellement toutes les plaisanteries, les gestes mêmes, auxquels sont exposées les femmes travaillant dans les bureaux…

— Oh ! Mais je sais très bien remettre les gens à leur place.

— Je n’en doute pas, mais cette nécessité a déjà quelque chose d’avilissant. Je veux que ma Cécile soit libre. Du reste, le patron comprendra très bien ma manière de voir.

Cécile n’insista pas et fut tout entière à ses nouvelles fonctions de maîtresse de maison. Elle engagea une bonne, fit poser des stores neufs, refaire le vestibule, qui fut décoré de petites plantes grasses et, comme le printemps s’annonçait, le balcon se fleurit de géraniums. Le vieil appartement devenait méconnaissable. Gagné par cette petite folie mobilière, Desmaisons perfectionnait de son côté équipement du laboratoire au quai de l’Horloge. Blandin lui ayant donné carte blanche, il en profitait largement. Une cloison abattue avait agrandi encore la pièce centrale dans laquelle étaient déjà montés, sur leurs pieds massifs à isolateurs de caoutchouc, trois grands cadres nickelés portant chacun horizontalement leurs deux lames de verre superposées. Pour éviter les indiscrétions, les fenêtres donnant sur le quai pouvaient être voilées de grands écrans en toile épaisse. Au-dessus de chaque cadre, une lampe à diffuseur, réglée à bonne hauteur, dispensait la forte lumière nécessaire à l’exactitude des observations. La chambre des autoclaves était en émail blanc. L’installation électrique eût fait l’orgueil d’une centrale. Il avait voulu que ce laboratoire, où l’appelleraient de nombreuses heures de service, fût un endroit aussi plaisant à l’œil que son appartement régénéré par la présence de Cécile. Et, bien qu’elle ne dût jamais venir en ces lieux où les consignes de secret s’opposaient à toute visite, tout y était digne de sa venue et des pensées qu’il ne cessait de lui adresser quand il était loin d’elle.

— Oh ! Oh ! ne put s’empêcher de remarquer ironiquement Blandin venu inspecter les lieux, on voit ce que c’est un endroit où l’on ne travaille pas encore. Mais notre affaire est maintenant en route. Demain matin, je dois faire les prélèvements. Les parcelles vous seront aussitôt apportées par le jeune Praslier qui habitera ici. Vous commencerez immédiatement les montages et le mettrez au courant pour la surveillance.

La pensée d’être bientôt repris par ses occupations coutumières laissa Desmaisons quelque peu mélancolique. Son point de vue était devenu moins exclusif que par le passé, et les murs d’un laboratoire ne bornaient plus son univers. Néanmoins, il se mit avec fièvre à parachever ses préparatifs, et le lendemain tout était prêt quand Praslier se présenta porteur d’une petite sacoche.

— Voici ce que le professeur Blandin m’a chargé de vous remettre, dit le jeune homme.

Desmaisons s’empara aussitôt de la sacoche.

— Suivez-moi, dit-il. Vous savez quelle tâche vous attend ?

— En gros, répondit Praslier.

— Eh bien ! Je vais tout de suite vous initier aux détails et opérer devant vous.

Ils passèrent dans la pièce des autoclaves. Desmaisons ouvrit la sacoche et en retira trois flacons portant les étiquettes C. 120, C. 88, A. 37.

Ce sont les numéros des agents secrets, expliqua Praslier.

— Nous allons commencer par C. 120. Pendant ce temps, les deux autres attendront dans l’autoclave à 37°, dit Desmaisons en enfermant les deux derniers flacons. Prenez cette blouse.

Ils regagnèrent la grande salle des cadres.

— Vous êtes sans doute au courant de l’essentiel du procédé imaginé par M. Blandin ? commença Desmaisons. Chacun des flacons que vous avez apportés renferme, enrobé dans une goutte de glycérine teintée, un amas de cellules vivantes prélevées dans certaines conditions sur le sujet à étudier. La découverte de M. Blandin porte sur le fait que cet amas de cellules, polarisé au moment du prélèvement en même temps que les autres cellules de l’organisme, restera par la suite dans le même état électrique que l’organisme lui-même. C’est une conséquence de nos recherches sur l’unité des individualités vivantes en liaison avec l’électricité qui se développe lors de tous les processus organiques. Cela étant, l’organisme du sujet qui continue à évoluer à la surface du globe éprouve, du fait de son déplacement dans le champ magnétique terrestre, des variations dans son état électrique. Ces variations se retrouvent identiquement dans la parcelle, par suite de la parenté biologique qui l’unit à l’organisme sur lequel elle a été prélevée. Dès lors, si nous plaçons la parcelle d’une part dans un milieu qui la maintient vivante, d’autre part dans un petit champ magnétique reproduisant à échelle réduite le champ magnétique terrestre, cette parcelle prendra dans ce champ réduit une position correspondant à la position du sujet dans le champ terrestre, c’est-à-dire à la surface du globe. Autrement dit, la parcelle suivra à échelle réduite les déplacements du sujet dans l’espace. M’avez-vous compris ?

— À peu près, répondit Praslier.

— Parfait. Au reste, toutes ces explications n’importent que dans la mesure où il est bon que vous sachiez le pourquoi des opérations que nous allons entreprendre et surveiller ensemble. Notre tâche est plus modeste, mais plus délicate peut-être. Chaque parcelle doit être mise dans une couche liquide, mince et parfaitement horizontale, de sérum physiologique qui la maintient vivante. Les couches liquides sont contenues entre les deux lames de verre des cadres que vous voyez ici. Il importe que la couche liquide soit toujours maintenue à la température du corps humain, et il faut surveiller fréquemment les thermomètres placés de chaque côté du cadre. Ces résistances électriques permettent de régler la température. Et voilà pour le milieu vivant.

« Reste la question du champ magnétique. Autour de chaque cadre, les bobines que vous voyez assurent dans la direction nord-sud la constitution du champ réduit qui reproduit à petite échelle le champ magnétique terrestre. Les variations diurnes ou autres des deux champs doivent être maintenues en concordance, ce qui est assuré par la manipulation de ces boutons et la coïncidence de ces aiguilles aimantées, point essentiel à surveiller. On règle ensuite l’intensité du champ réduit en fonction de l’échelle d’une carte déployée sur le cadre de verre. D’après ce qui m’a été dit, seuls les déplacements en Europe nous intéressent. Aussi, voyez-vous, placée au-dessous de la vitre de chaque cadre, une carte d’Europe, parfaitement tendue.

« Tout étant prêt, la parcelle teintée doit alors être introduite dans la lame liquide de sérum physiologique.

Et Desmaisons qui, tout en parlant, avait procédé aux opérations nécessaires de mise en état du premier cadre, déboucha le flacon marqué C. 120. À l’aide d’une pipette, il préleva en même temps qu’un peu du liquide la parcelle semblable à une petite lentille noirâtre, vaguement transparente. Après quoi, il l’injecta sous le cadre dans la couche mince de sérum contenue entre les lames de verre.

— Au début de chaque mise en fonctionnement d’un cadre, continua-t-il, un point très important consiste à placer la parcelle à l’endroit convenable sur la carte. Vous comprenez sans peine que l’origine des déplacements de la parcelle doit être l’endroit même où se trouve à ce moment le corps du sujet, et cela afin que les déplacements dans l’espace du corps et de la parcelle soient concordants. Le prélèvement venant d’être effectué, nos trois sujets sont encore à Paris, et c’est donc sur Paris que nous devons placer les parcelles, en perdant le moins de temps possible. Et voilà qui est fait pour C. 120.

Praslier se pencha sur le cadre. À travers la couche liquide transparente, on pouvait très aisément lire la grande carte d’Europe aux deux millionièmes glissée sous le cadre, et, sur cette carte, une petite tache noire, la parcelle C. 120, était immobilisée à l’emplacement de Paris.

— Le dispositif est maintenant en ordre de marche. Tous les déplacements de monsieur C. 120 en Europe seront suivis fidèlement par la parcelle, et sa position à tout instant nous sera révélée par la position de la parcelle sur la carte. La tâche qui vous incombera consistera à surveiller les appareils à relever périodiquement les positions des parcelles que vous noterez sur ces fiches. Vous porterez ensuite à la connaissance de vos chefs le bulletin des déplacements journaliers.

— Excessivement curieux, déclara Praslier, et autrement plus sûr et plus économique que toute filature…

Desmaisons mettait en place dans le second cadre la parcelle C. 88. À initier ce collaborateur novice, il éprouvait une légère surexcitation qui se muait en besoin de discourir :

— Tout cela paraît simple quand tout est au point. Mais il nous a fallu, à mon patron et moi, bien des mois avant d’arriver à obtenir un dispositif expérimental sans reproches. Des quantités de problèmes se sont posés. Il faut que les cadres soient parfaitement horizontaux pour ne pas fausser les déplacements de la parcelle, et leur position doit être vérifiée chaque jour avec ces niveaux. Pour éviter la transmission des vibrations à la lame liquide, nous avons dû monter les cadres sur des pieds spéciaux. Mais, surtout, il faut que le chauffage à 37° du liquide ne provoque pas de mouvements de convection qui entraîneraient la parcelle et fausseraient tous les résultats. Un à un tous les obstacles ont été levés, et je puis assurer que nous avons maintenant un appareillage qui nous met à l’abri de toutes les erreurs.

En une heure, les trois parcelles furent en place dans leurs cadres respectifs. Tout en préparant les étiquettes C. 120, C. 88, A. 37, qu’il allait coller sur chacun des cadres, Desmaisons demanda :

— Quels sont ces gens dont nous étudions les déplacements ?

— À leur désignation, ce sont visiblement, comme je vous l’ai dit, des agents secrets dont on veut contrôler les allées et venues. Comme vous le savez, la plupart de ces individus sont des agents doubles, et le meilleur moyen de savoir s’ils nous trompent est de connaître leurs déplacements clandestins. Du reste, je n’en sais pas beaucoup plus que vous là-dessus. On m’a recommandé le secret, sous peine de haute trahison, ajouta-t-il avec un sourire. Il me semble pourtant que les agents pourraient se méfier après l’opération à laquelle on a dû les soumettre pour le prélèvement de la parcelle.

— Quant à ça, non ! s’écria Desmaisons. Je ne vous donnerai pas de détails, mais le prélèvement peut se faire presque à l’insu du sujet… Et voilà qui est fait, dit-il en collant la dernière étiquette. La petite lampe de contrôle allumée sur le tableau de bord de chaque cadre indique que tout est en ordre. La pendule murale vous donne l’heure de l’Observatoire. Nous notons : 10 avril, 10 h 30, C. 120, C. 88, A. 37 : Paris. Il faut maintenant que nous nous entendions pour la surveillance… D’après ce qui a été convenu, vous allez vivre et coucher ici. Je viendrai vous relayer pendant une dizaine d’heures chaque jour, autant pour la vérification technique des appareils que pour vous laisser le loisir de vous reposer. Nous prendrons le quart à tour de rôle. La tâche est ingrate…

— Mais préférable à des heures de bureau, rétorqua Praslier, sans compter que, si tout va bien, on m’a laissé entendre que ma nomination de sous-chef en dépendait…

Desmaisons ne releva pas cet appétit de gloire, il passait en revue les parcelles.

— Voyez-vous, poursuivit-il, il est particulièrement intéressant de pouvoir noter l’heure du début des déplacements. Quand vous aurez un peu d’expérience, vous verrez qu’on pressent très bien les itinéraires des parcelles. Les hommes sont si routiniers ! Il suffit d’être au courant des habitudes du personnage : certains préfèrent voyager la nuit, d’autre le jour… Attention, dit-il, regardez.

La petite parcelle C. 120 commençait à se déplacer dans son cadre. 10 h 57, nota Desmaisons. Praslier se penchait pour mieux voir.

— Ne vous approchez pas trop, recommanda Desmaisons, vous pourriez troubler le champ ou la température. Ces mécanismes sont très délicats.

Ils restèrent silencieux pendant cinq minutes durant lesquelles la parcelle avança de quelques millimètres.

— Elle va bien lentement, ne put s’empêcher de remarquer Praslier.

— Détrompez-vous. C. 120 va vite au contraire. À l’échelle de la carte la marche paraît lente, mais je puis vous garantir que le sujet est en chemin de fer. Cette régularité de marche ne me trompe pas. Vous voyez, la parcelle suit sur la carte la voie ferrée de Paris à Creil. Et, à cette vitesse, il ne s’agit pas d’un train de banlieue. Elle fait au moins du quatre-vingt-dix à l’heure. C. 120 est vraisemblablement en route pour Bruxelles. Du reste, nous serons fixés dans le courant de la journée.

— Très amusant, fit Praslier fiévreux comme un garçon qui, pour la première fois, voit marcher son train mécanique.

Desmaisons remit en ordre les accessoires dont il s’était servi. Vers midi, il annonça qu’il allait rentrer chez lui pour déjeuner.

— Et vous me laissez seul ! s’écria Praslier. Écoutez, c’est un peu stupide, mais je suis surpris par ces appareils nouveaux. Je ne sais pas si, vous absent, je vais savoir m’en tirer. Je m’excuse de vous le demander, mais si vous pouviez rester près de moi pendant toute cette première journée pour achever de me mettre au courant…

Desmaisons qui ne l’avait pas encore regardé, le dévisagea : c’était un jeune homme maigre, au front boutonneux, d’aspect timide et inoffensif ; il portait lunettes et, derrière ses verres, son regard se faisait implorant.

— Allons, pour vous rendre service, consentit Desmaisons.

Il passa dans le petit bureau qu’il s’était réservé dans l’appartement et décrocha le téléphone pour prévenir Cécile. Depuis leur mariage, ce serait le premier repas qu’il ne prendrait pas avec elle.

— Retenu au laboratoire ?… fit la voix lointaine de Cécile.

Desmaisons n’avait encore jamais entendu cette voix au téléphone. La même voix, évidemment, mais l’appareil, renforçant certaines intonations, la faisait plus grave et y introduisait comme une profondeur nouvelle qui pouvait surprendre.

— Je comprends très bien, disait la voix. Ton travail doit passer avant tout.

Desmaisons eût aimé entendre quelques mots de regret. La présence de Praslier dans la pièce voisine l’empêchait de faire usage des petites appellations tendres dont il avait pris l’habitude de ponctuer leurs conversations. Il raccrocha, vaguement contrarié.

— Vous êtes marié ? demanda Praslier.

Agacé, il répondit :

— Oui, pourquoi ? Ça vous étonne ?

— Pas du tout. Je disais ça au hasard, pour dire quelque chose, répliqua l’autre en toute innocence.

Desmaisons hésita, puis, craignant de paraître ridicule, se refusa à expliquer qu’il n’était marié que depuis un mois.

— Filez vite, dit-il. Allez chercher vos affaires pour vous installer ici et ramenez-moi deux sandwiches. Nous continuerons votre apprentissage cet après-midi.

Praslier parti, Desmaisons eut la tentation de retéléphoner à Cécile pour lui donner quelques explications supplémentaires, mais il y résista. « Il faut bien qu’elle s’habitue », se dit-il.

En fait, c’était surtout à lui de s’habituer à ne plus la voir désormais aussi librement que pendant ces dernières semaines.

Durant l’après-midi, il laissa Praslier effectuer devant lui les réglages et monter sous les cadres le dispositif de secours fonctionnant au gaz butane en cas de panne d’électricité.

— Il importe surtout de ne pas laisser mourir les parcelles, fit-il observer à Praslier. Ces êtres-là sont plus délicats que des poissons rouges.

Vers six heures du soir, ce fut au tour de C. 88 de se mettre en route, Praslier avait noté l’heure exacte du déplacement. Mais il n’avait pas observé l’instant où C. 120 s’était immobilisé à Bruxelles.

— Je peux retrouver l’heure facilement en me reportant à l’annuaire des chemins, de fer, dit-il en habitué des déductions policières.

Desmaisons protesta :

— Nous ne devons donner que les résultats d’observations réellement faites, sans aucun mélange d’interprétations qui pourraient être fausses. C’est une question de probité scientifique. Notez simplement : « 18 h 10, C. 120 immobile à Bruxelles depuis quelque temps ».

A. 37 ne quittait pas Paris.

— Allons, je vous confie la maison et l’installation, dit enfin Desmaisons. Vous en savez maintenant assez pour vous débrouiller tout seul quant aux observations. Demain matin, je serai là à huit heures pour la relève.

Fait sans précédent, il quittait le laboratoire avec plaisir. Pour gagner du temps, il prit même un taxi. La pensée de Cécile, l’attendant seule au coin du feu de bois qui remplaçait le calorifère arrêté, lui communiqua un petit accès de tendresse solitaire. Pour compenser sa longue absence par une attention, lui qui à l’ordinaire se souciait peu de fleurs fit arrêter la voiture devant une fleuriste.

Le bouquet, sagement posé à côté de lui sur la banquette, semblait le symbole de son bonheur présent. Jadis, rentrant de Neuilly en métro, las et indifférent, il lisait un morne journal du soir, aucune force autre que l’habitude ne le ramenait chez lui où l’attendait le dîner froid préparé par la femme de ménage. Maintenant, tout était changé, il rentrait avec des fleurs ! Le bouquet à la main, il fut un peu embarrassé pour payer le taxi. Il pinça aussi les fleurs entre les portes de l’ascenseur. Mais il planait bien au-dessus de ces menus désagréments.

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