IV

M. Borel, entendant annoncer et voyant, en effet, entrer chez lui M. Dubousquet, qui reste timidement au seuil de la porte du salon, ayant Bonhomme sur ses talons, M. Borel tressaille, devient livide et semble atterré.

Madame Borel, attribuant la soudaine altération des traits de son mari à la répulsion invincible que lui cause l’aspect du repris de justice, va vivement à sa rencontre, et lui dit sévèrement :

— Vous devez penser, monsieur, que votre présence est, pour trop de raisons, odieuse à M. Borel ; je vous prie donc de vous retirer.

— Non, non, – s’écrie le banquier, – qu’il entre !

Et M. Borel, reprenant son assurance et se rapprochant de sa femme, ajoute, s’adressant au forçat libéré :

— Puisque vous avez eu l’audace de vous présenter chez moi, je veux savoir ce que vous aurez l’audace de me dire.

Le banquier, se retournant alors vers sa femme :

— Laisse-nous, chère amie.

— Y penses-tu ? Cette entrevue…

— Je t’en prie, laisse-moi seul avec cet homme.

— Mais à quoi bon t’exposer à de si pénibles émotions ?

— Il l’a voulu, il portera la peine de son imprudence.

— Mon ami, de grâce…

— Laisse-moi ; je suis résolu à l’entendre.

Madame Borel n’insiste pas davantage, et se dispose à quitter le salon, autant affligée que surprise de la persistance de son mari à entretenir ce repris de justice.

M. Borel, remarquant l’étonnement qui s’est manifesté sur les traits de sa femme, et réfléchissant qu’elle peut et doit trouver étrange qu’il ait insisté pour entretenir avec une sorte de mystère le repris de justice, dont la présence lui était, disait-il, insupportable, M. Borel se ravise, craignant d’éveiller quelques soupçons dans l’esprit de sa femme, et lui dit au moment où elle allait sortir du salon :

— Au fait, ma chère amie, je préfère que tu sois témoin de cette conversation.

— Je le préfère aussi, mon ami ; car il m’en coûtait de te laisser seul avec cet homme.

M. Dubousquet est resté près de la porte, ainsi que Bonhomme, qui, semblant comprendre le mauvais accueil que reçoit son maître, se tient discrètement derrière lui.

Le banquier, s’adressant alors d’un air menaçant au repris de justice :

— Je le répète, je suis confondu de votre audace ; mais, enfin, que voulez-vous ?

— Implorer votre bonté, votre compassion, monsieur, – répond d’une voix tremblante le forçat libéré. – Je ne viens pas, hélas ! vous braver, monsieur ; je n’ai plus le droit, dans ma position, d’adresser la parole à un honnête homme ; je le sais bien, mon Dieu ! je le sais bien.

— En ce cas, – reprend durement le banquier, – pourquoi vous permettre de vous présenter ici ?

— Malgré moi, ce malheureux me fait pitié, – se dit madame Borel ; – il n’a pourtant pas, quoique criminel, la figure d’un scélérat.

— La démarche que je risque m’a bien coûté, monsieur, – répond Dubousquet ; – mais je suis si malheureux !

— Qu’est-ce à dire ? – reprend le banquier ; – c’est donc l’aumône que vous me demandez ?

— Non, monsieur, non ! je n’ai, grâce à Dieu, besoin de rien.

— Que voulez-vous, alors ?

Le repris de justice, se tournant vers madame Borel, lui dit d’un ton craintif et suppliant :

— Madame, je vous en conjure, ne vous formalisez pas… si… Mon Dieu ! je n’ose…

— Parlez, monsieur, – reprend madame Borel cédant de plus en plus à la compassion ; – que désirez-vous ?

— Si… vous daigniez le permettre, je… je…

— Achevez.

— Je désirerais, s’il voulait bien y consentir, rester un moment seul avec M. Borel.

— Allons, soit ! – dit impatiemment le banquier, – finissons-en…

Et, s’adressant à sa femme, M. Borel ajoute :

— Chère amie, laisse-nous ; je daigne condescendre au désir de cet homme.

— Il est si tremblant, si abattu, que je m’en vais sans autre crainte que celle du souci et de la répugnance que va te causer cet entretien, mon ami, – répond à demi-voix madame Borel quittant le salon, où demeurent tête à tête le repris de justice et le banquier.

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