IX

Pendant que M. Borel prenait connaissance de la lettre que l’on venait de lui remettre, Alexis, se rapprochant de sa mère, lui dit tout bas :

— Tu m’as bien compris tout à l’heure, n’est-ce pas, lorsque j’ai dit qu’hier matin je n’aurais pas eu l’éloquence que mon bon père prétend trouver en moi ?

— Si je vous ai compris, monsieur l’amoureux ? Voilà, une belle question ! – répond madame Borel haussant les épaules. – Aussi est-ce à l’ange que je fais honneur de ton éloquence, et point du tout à toi, illustre Cicéron ; toi dont l’irrésistible éloquence a le pouvoir prodigieux de persuader les gens qui… sont de ton avis.

— Voyez-vous la méchante mère ! elle se moque de son avocat, maintenant que la cause est gagnée ! – répond gaiement Alexis, tandis que M. Borel, s’adressant au domestique :

— Il n’y a pas de réponse, sinon mille remercîments de ma part.

Le serviteur sort, et le banquier se dit à part :

— Grâce à Dieu ! voici l’occasion de rompre cet entretien dont chaque mot me poignardait.

Et, se rapprochant de sa femme et de son fils :

— Enfin, mes amis, l’on m’envoie cette autorisation de visiter les appartements du château de Monceaux, autorisation que nous attendions depuis quelques jours ; il paraît que cette faveur ne s’accorde qu’à un très-petit nombre de privilégiés.

— Alors nous en profiterons avec un double plaisir, – dit madame Borel. – L’on assure qu’il y a dans le château des merveilles en objets d’art et de curiosité. Or, je l’avoue, depuis que nous avons acheté d’excellents tableaux et quelques statues antiques pour orner notre hôtel de Lyon, à force de contempler les belles choses, j’ai fini par devenir, sinon très-connaisseuse, assez du moins pour pouvoir distinguer les bons tableaux des mauvais, et j’éprouve une véritable jouissance à la vue des chefs-d’œuvre de l’art.

— Aussi, chère mère, tu trouveras dans la galerie de Monceaux de nombreux sujets d’admiration. On parle, entre autres, d’un magnifique tableau d’Ary Scheffer, le grand poëte des peintres, – ajoute Alexis Borel ; – il me tarde de voir cette peinture.

— Eh bien, mes amis, ne différez pas votre plaisir ; allez ce matin au château de Monceaux ; je ne pourrai malheureusement pas vous accompagner ; je dois être avant midi au ministère des finances, et voici bientôt onze heures.

— En ce cas, mon ami, – répond madame Borel, – nous remettrons notre partie à demain, afin d’aller à Monceaux tous les trois.

— Il se peut que demain je sois obligé de retourner au ministère des finances ; allez toujours visiter aujourd’hui le château ; nous y retournerons ensemble, – dit le banquier ; – l’on peut voir deux fois les belles choses.

— Certes, – reprend Alexis, – et surtout les tableaux d’Ary Scheffer ; ils sont si profondément sentis et pensés, que, chaque fois qu’on les revoit, on les apprécie et on les admire davantage. Il y a dans leur poésie je ne sais quoi de vague, de mystérieux, qui fait délicieusement rêver.

Puis, jetant un regard d’intelligence à sa mère, Alexis ajoute :

— Je suis certain que, jamais plus qu’aujourd’hui, je ne goûterai mieux l’adorable talent d’Ary Scheffer.

Madame Borel souriait à son fils d’un air d’intelligence, lorsque le domestique, rentrant, dit à ses maîtres :

— M. le marquis Ottavio Ricci demande si M. Alexis peut le recevoir ?

— Sans doute, et priez M. le marquis d’entrer, – répond très-haut M. Borel, flatté de l’empressement du jeune patricien à venir visiter Alexis.

Et madame Borel ajoute :

— Cette prévenance de la part de M. Ottavio est très-gracieuse.

Et, souriant :

— Voyez-vous, monsieur Alexis, le fils d’un grand seigneur fait les premiers pas vers vous : n’allez pas devenir trop fier, au moins.

— Dieu m’en garde, bonne mère ! car cette prévenance du marquis Ottavio, à qui la dois-je ? Au nom si honorable que j’ai le bonheur de porter, – répond Alexis en regardant son père, au moment où le domestique introduit Ottavio.

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