X

Ottavio se présente avec une parfaite bonne grâce, et, s’adressant à madame Borel, après avoir salué le banquier :

— Vous voudrez bien m’excuser, madame, si, m’autorisant du voisinage, et surtout de la cordialité que m’a témoignée hier au soir M. Alexis, je prends la liberté de me présenter chez vous ; je désirerais vivement continuer, avec monsieur votre fils, des relations déjà si heureusement commencées.

— Vous ne pouviez, monsieur, nous faire un plus grand plaisir, à mon mari, à moi et à mon fils. Je regrette seulement qu’il n’ait pas prévenu votre aimable visite, – répond madame Borel ; – mais ce que je vous assure, monsieur, c’est qu’Alexis désire, non moins vivement que vous, continuer des relations dont nous sommes si flattés.

— Après ce que vient de vous dire ma mère, monsieur Ottavio, je n’ai plus qu’à vous tendre la main, – reprend Alexis avec la franchise ingénue de son caractère.

Et il offre sa main au jeune marquis ; celui-ci la serre affectueusement, en disant :

— C’est la main d’un ami qui serre la vôtre, monsieur Alexis ; car ce titre d’ami, je prétends le mériter. Il existe entre nous déjà tant de motifs de sympathie et de rapprochement ! tous deux nous idolâtrons notre mère, tous deux nous sommes glorieux de notre père, et, au sujet du mien, je n’oublierai jamais les paroles que vous lui avez adressées hier, et dont il a été si touché.

— Ah ! monsieur, vous avez comblé les vœux d’Alexis en lui faisant l’honneur de le présenter à M. le duc della Sorga, – reprend M. Borel. – Hier matin, en apprenant que M. le duc devait se trouver à la soirée de M. Wolfrang, mon fils nous disait que l’un des jours les plus heureux de sa vie serait celui où il pourrait contempler le héros de l’indépendance sicilienne.

— Aussi, jugez de mon bonheur, monsieur Ottavio, lorsque, grâce à vous, je me suis vu accueilli avec tant de bonté par ce héros, – ajoute Alexis ; – mes vœux étaient comblés, dépassés. Ah ! vous l’avez dit, vous devez être bien glorieux de votre père !

— Pardon, j’ai dit nous, puisque à ce sujet vous n’avez rien à m’envier, monsieur Alexis, – répond Ottavio indiquant le banquier d’un regard de déférence.

Celui-ci rougit légèrement, et, redoutant de subir de nouveau des éloges qui le torturent, il dit au jeune marquis :

— Vous m’excuserez, monsieur, si je prends congé de vous ; je suis obligé de me rendre au ministère des finances.

— Un mot, de grâce, monsieur, – reprend Ottavio, – ma visite est doublement intéressée ; je venais faire une proposition à M. Alexis, et j’ose espérer qu’elle vous agréera ainsi qu’à lui.

— En pouvez-vous douter, monsieur ?

— Mon père et ma mère sont invités à aller ce soir à l’Opéra, dans la loge d’une personne de nos amies ; il n’y a pas de place pour moi dans cette loge, je suis obligé de prendre une stalle d’orchestre ; or, si, par hasard, il n’avait pas disposé de cette soirée, et si cela ne contrariait point vos projets et ceux de madame, de passer la soirée ensemble en allant tous deux à l’Opéra…

— Avec le plus grand plaisir, monsieur Ottavio, – répond Alexis enchanté de cette offre ; – j’accepte de tout cœur, si toutefois mon père et ma mère y consentent.

— Nous sommes, mon enfant, très-obligés à M. Ottavio d’avoir songé à toi, et je lui ferai à mon tour une proposition qui lui conviendra peut-être, – répond madame Borel après un moment de réflexion. – Nous venons de recevoir la permission de visiter les appartements du château de Monceaux ; on accorde, paraît-il, très-difficilement ces permissions ; on dit des merveilles de la collection de tableaux et d’objets d’art que renferme cette galerie ; s’il convenait à M. Ottavio d’aller aujourd’hui avec toi, mon enfant, la visiter, vous passeriez ainsi la matinée et la soirée ensemble.

— Rien ne pouvait m’être plus agréable, madame, – répond Ottavio ; – j’ai souvent entendu parler de la galerie de Monceaux, et je ne saurais trouver une meilleure occasion de la voir.

— Merci, bonne mère, merci d’avoir songé à cela ! dit Alexis.

Et, s’adressant à Ottavio :

— Vous êtes libre ce matin ?

— Parfaitement, et tout à vos ordres.

— Bravo ! tu l’as dit, mère, la journée sera complète. Tu viens avec nous ?

— Non, mon enfant ; M. Ottavio voudra bien m’excuser ; j’ai quelques lettres à écrire, et je désire aller voir ce matin cette charmante madame Wolfrang, qui a bien voulu me dire, hier au soir, que je la trouverais tous les matins chez elle.

Et, répondant aux regards surpris de son fils par un sourire singulier, madame Borel, s’adressant à Ottavio :

— Quelle aimable et gracieuse femme que madame Wolfrang, n’est-ce pas ?

— Que vous dirai-je, madame ? ce matin encore, ma mère la citait comme un modèle de perfections ; l’on ne saurait faire un plus digne éloge de madame Wolfrang, à mes yeux, du moins ; car je connais la sûreté infaillible du jugement de ma mère.

— Mais je ne veux pas vous retenir plus longtemps, monsieur Ottavio, – reprend madame Borel. – Ai-je besoin d’ajouter que nous serons toujours on ne peut plus heureux de vous recevoir, et d’espérer que votre liaison avec Alexis deviendra une véritable intimité ?

— C’est pour moi, madame, plus qu’une espérance, c’est maintenant une certitude. – répond Ottavio tendant de nouveau la main à son nouvel ami ; – vous ne me démentirez pas, j’en suis sûr ?

— Non ! oh ! non !… Eh ! mais, tout à l’heure, en nous rendant à Monceaux, je vous dirai tout ce que j’ai sur le cœur, – répond Alexis en allant prendre son chapeau, tandis que M. Borel, lui remettant le pli :

— Voici la permission, que tu oubliais, étourdi.

Puis, s’adressant à Ottavio, qui salue madame Borel, afin de prendre congé d’elle, le banquier ajoute :

— Je ne puis, monsieur, que me joindre à ma femme pour vous réitérer l’assurance que nous serons toujours très-flattés d’avoir l’honneur de vous recevoir.

Les deux jeunes gens sortent, bras dessus, bras dessous, et se dirigent vers le château de Monceaux.

Le banquier se rend au ministère des finances, et madame Borel, ayant demandé son châle et son chapeau, se prépare à aller faire à Sylvia une visite très-intéressée.

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