XXXIII

Sylvia, avec le secours du colonel Germain, a aidé Antonine à se relever, et l’a placée à demi étendue sur un sofa. La jeune fille continue de sangloter, les yeux fermés, sans prononcer une parole, serrant de temps à autre, avec une force convulsive, la main de Sylvia, debout près du sofa, vers lequel est penché le colonel Germain.

Celui-ci contemple Antonine avec une expression d’angoisse et de tendresse inexprimable, et ses larmes, coulant alors, vont se perdre dans son épaisse moustache grise.

Le silence prolongé que gardent son amie et le colonel Germain fait penser à Sylvia qu’après cette scène cruelle ils désirent rester seuls.

Elle se courbe vers la jeune artiste, et, la baisant tristement au front :

— À bientôt, chère Antonine… je reviendrai dans la journée… Courage, pauvre sœur, courage !… ne vous désespérez pas… vous reverrez Albert… la réflexion et son amour vous le ramèneront.

Puis, répondant à un signe de tête négatif et à un gémissement douloureux d’Antonine, la jeune femme ajoute :

— Son amour vous le ramènera, vous dis-je… mais il faudrait lui écrire… Si cela vous coûte, dans l’abattement où vous êtes… voulez-vous que, moi, je lui écrive ?… Il a paru me témoigner quelque confiance… Wolfrang lui porterait ma lettre… et, pour plusieurs raisons, j’en suis presque certaine, il convaincrait ce malheureux insensé que vous n’avez pas démérité de son amour…

— Chère… chère Sylvia, – répond Antonine d’une voix affaiblie, baisant la main de la jeune femme, – vous êtes un ange de consolation et de bonté.

— Ah ! madame…, excusez-moi de ne pas vous avoir exprimé jusqu’ici… ma profonde reconnaissance de l’intérêt que vous portez à mademoiselle…, dit le colonel Germain d’un accent pénétré ; – mais… au milieu du trouble causé partant de pénibles incidents… je n’ai pu vous adresser la parole… et j’ignore encore, madame, à qui j’ai l’honneur de parler ?

— À la meilleure amie d’Antonine, monsieur… bien que notre connaissance ne date que d’hier… Mais que pensez-vous, monsieur, de mon idée, d’écrire à cet infortuné, en lui faisant porter ma lettre par une personne qui, je le répète, saura, peut-être, le persuader de la vérité ?

— Cette idée, madame… est excellente… il faudrait l’exécuter tout de suite…

— Chère Antonine…, – reprend Sylvia, – où demeure Albert ?

— Hélas !… j’ignore à quel hôtel il est descendu… et, vous le savez… je n’ai pas eu le temps de lui demander…

— Ah ! c’est désolant, – reprend Sylvia ; – mais, habituellement, où logeait-il ?

— Dans une maison garnie de la rue Montmartre, Hôtel des Étrangers

— Il est probable qu’il y aura encore logé cette fois ci, et je vais envoyer à l’instant prendre le renseignement, – dit Sylvia ; – mais que faire… si notre espoir est trompé ?

— Albert, à son arrivée, a dû faire viser sa feuille de route à l’état-major de la place, – reprend le colonel Germain, – et donner aussi son adresse… J’irai tout à l’heure à l’état-major… m’informer à ce sujet…

— En ce cas, chère Antonine, je vais me hâter d’écrire ma lettre… il est presque certain maintenant que, d’une façon ou d’une autre, nous saurons l’adresse de votre Albert… et alors… comptez sur l’effet de ma lettre, et surtout sur l’éloquence persuasive de Wolfrang… Ainsi donc, à bientôt ! je reviendrai vous apprendre le résultat de mes informations… Du courage… mon amie… ma sœur…

Et Sylvia s’incline vers la jeune fille, afin de lui donner un dernier baiser.

Antonine, enlaçant alors de ses bras son amie, se penche vers elle, et lui dit tout bas, d’une voix navrante :

— Malgré les apparences… vous, du moins… vous me croyez innocente… n’est-ce pas ?

— Est-ce que sans cela… j’écrirais à votre Albert ? – répond aussi tout bas Sylvia en serrant tendrement la main d’Antonine.

Et, se relevant en s’adressant au colonel Germain, qui s’incline respectueusement devant elle :

— Adieu, monsieur… je vous laisse avec notre pauvre amie… veillez bien sur elle… et croyez qu’elle trouvera toujours en moi l’affection de la meilleure, de la plus dévouée des sœurs…

À peine Sylvia a-t-elle fermé la porte du salon, que le colonel Germain, se jette à genoux devant le sofa où est à demi étendue Antonine, et la serre passionnément entre ses bras, en murmurant d’une voix étouffée par les pleurs :

— Mon enfant !… ma pauvre enfant !

— Ah ! mon père… je suis bien malheureuse… je ne le reverrai jamais, Albert !… Mais j’aurai accompli mon devoir… jusqu’à la fin… je n’aurai pas déshonoré la mémoire de ma mère ! j’aurai tenu le serment qu’elle a exigé de moi à son heure dernière, lorsque, me révélant l’unique faute de sa vie… faute tant pleurée, si dignement expiée par elle… ma mère m’a dit en m’apprenant le secret de ma naissance : « Jure-moi de ne confier à personne ce triste secret… pas même à Albert, ton fiancé. » J’ai juré… j’ai tenu ma parole… le sacrifice est consommé.

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