VIII

M. de Francheville, demeuré seul avec Tranquillin, qui le salue très-révérencieusement, lui montre du geste un siége, et lui dit d’un ton sec :

— Asseyez-vous, monsieur, je voulais justement vous inviter à passer chez moi.

— Je suis ravi, monsieur, de…

— Et moi, monsieur, je ne suis point ravi du tout, tant sans faut, du tapage infernal que font journellement au-dessus de ma tête les locataires du troisième étage : c’est insoutenable !

— Pourtant, monsieur, l’unique désir du propriétaire, mon honoré maître, est que…

— Je ne sais pas ce que désire votre honoré maître, mais moi, je vous déclare, monsieur, que je désire dormir en paix ; aussi je suis résolu de quitter la maison, si l’on ne met fin au tapage dont j’ai à me plaindre…

— Je prendrai, monsieur, la liberté grande de vous demander quel est ce tapage ? M. Wolfrang s’empressera de faire droit à vos réclamations.

Puis Tranquillin se dit :

— Hum ! voilà un locataire qui me paraît, d’après son accueil, devoir se montrer quelque peu récalcitrant au sujet de l’invitation dont je suis chargé pour lui.

— D’abord, monsieur, – reprend M. de Francheville, – tous les soirs, régulièrement, entre onze heures et minuit, heure à laquelle je me mets habituellement au lit, il s’établit une espèce de colloque entre l’un des locataires du troisième étage et son chien, colloque entremêlé d’un insupportable fredon sur l’air de la Bonne aventure, lequel fredon m’arrive très-distinctement par le tuyau de la cheminée ; puis le colloque recommence avec le chien…

— Très-bien… – Un barbet gris appelé Bonhomme, je le connais ; il ne lui manque, en effet, que la parole, et…

— Morbleu ! monsieur, plaisantez-vous ? Ce dont je me plains justement, c’est que ce maudit animal ne fait que japper depuis onze heures jusqu’à minuit.

— Je vous supplie de croire, monsieur, que j’ignorais les jappements indiscrets dudit Bonhomme, et dès à présent, les recommandations les plus formelles vont lui être adressées.

— C’est donc un fou qui habite cet appartement du troisième ?

— Non point que je sache, monsieur ; c’est un locataire fort paisible, sortant rarement, et s’en allant toujours trottant menu comme une souris, avec son chien sur ses talons, et…

— Je vous répète, monsieur, qu’il faut que cet homme-là soit fou, puisque chaque jour je l’entends, sans distinguer ses paroles, dialoguer avec son chien, lequel répond par des aboiements si aigus, si insupportables, que je finis par avoir les nerfs tellement agacés que, souvent, je ne puis m’endormir qu’à trois ou quatre heures du matin.

— Je m’empresse de vous assurer derechef, monsieur, que les jappements de Bonhomme seront réprimandés comme il convient. Vous n’aurez à l’avenir aucun sujet de plainte, et monsieur Wolfrang continuera d’avoir l’honneur de vous compter parmi messieurs ses locataires, – dit Tranquillin. Et il ajoute à part soi : – Le voici apaisé, c’est le moment de glisser mon invitation. – Puis il répond à haute voix : – Tout étant dit, monsieur, au sujet des réclamations, j’aurai l’honneur de vous prévenir que je suis chargé de…

— Eh non, monsieur, tout n’est pas dit, – s’écrie M. de Francheville d’un ton de plus en plus impatient et bourru, – car au sabbat du soir succède le sabbat du matin.

— Ah ! mon Dieu ! Quoi donc encore, s’il vous plaît ?

— Lorsqu’enfin je suis parvenu à m’endormir vers trois ou quatre heures, à peine le jour paraît-il, que je suis brusquement réveillé…

— Par cet endiablé jappeur de Bonhomme ? C’est donc une peste que ce chien-là !

— Cette autre peste n’est pas le chien, mais une enragée chanteuse qui, dès l’aube, s’établit à son piano et commence une série de vocalises et de roulades qui ont le privilége de m’agacer autant, sinon plus, que les jappements du chien ; d’où il résulte qu’après avoir été tenu éveillé une partie de la nuit, si je trouve enfin le sommeil, je suis éveillé en sursaut par les gammes sempiternelles de cette locataire, et il m’est impossible de me rendormir tant je suis impatienté, outré, exaspéré, monsieur…

— Permettez…

— Oui, monsieur, outré, exaspéré ; ainsi, je vous le déclare, si l’on ne met fin à ce tapage, je quitte la maison.

— Décidément, ce n’est point encore tout à fait le moment de glisser mon invitation, – pense Tranquillin, et il reprend : – Monsieur, permettez-moi, de grâce, une toute petite, et humble, et respectueuse observation.

— Je n’ai pas d’observation à entendre, monsieur, – reprend brusquement M. de Francheville, se levant, afin de faire comprendre à l’intendant que l’entretien a assez duré – Si le tapage dont je me plains ne cesse pas, je déloge au terme prochain ; – et se dirigeant vers la porte : – Pardon, monsieur, mais l’heure m’appelle au ministère ; vous ferez part à votre maître de mes intentions.

— Non, monsieur, – répond soudain Tranquillin, d’abord désolé d’être éconduit sans avoir pu glisser son invitation, et illuminé par une idée subite ; – impossible, monsieur, impossible !

— Qu’est-ce à dire ? Vous refusez de faire part de mes réclamations à votre maître ?

— Oui, monsieur, il m’en coûterait trop de vous obéir…

— Vous osez !…

— Révérence parler, je ne me chargerai point, s’il vous plaît, de cette commission-là.

— Vraiment ?

— Je craindrais trop de chagriner mon honoré maître.

— Fort bien. Sortez, monsieur, je verrai tout à l’heure votre maître et vous ferai tancer vertement.

— Monsieur, ah ! monsieur, de grâce, soyez-moi indulgent ! – dit Tranquillin d’un air piteux ; – épargnez-moi les remontrances de mon maître ; et d’ailleurs, vous ne le trouveriez point céans. Arrivé ce matin à Paris, il est absent pour toute la journée, ainsi que vous pouvez vous en assurer ; il ne sera de retour chez lui que ce soir vers neuf heures.

— Peu m’importe ! je le verrai ce soir à neuf heures, et il saura que vous avez eu l’impertinence de refuser de lui communiquer mes réclamations.

— Ainsi, monsieur, mes prières ne vous touchent point, – répond Tranquillin d’un ton lamentable ; – vous voulez absolument aller ce soir trouver mon honoré maître et…

— Certes, – répond M. de Francheville de plus en plus courroucé, indiquant du geste la porte à l’intendant. – Ce soir, à neuf heures, je serai chez votre maître, vous pouvez y compter ; je n’y manquerai pas.

— Eh ! mon Dieu ! voilà justement ce que je demandais, – pensait Tranquillin en saluant M. de Francheville jusqu’à terre. Puis en sortant, le malin bonhomme se disait : – Pourvu que ce récalcitrant se présente chez mon honoré maître, à l’heure où seront réunis chez lui les autres locataires, ce sera tout comme s’il venait en invité à la soirée… ce sera tout comme… Hé ! hé !

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