XXIV

Wolfrang se place au piano, afin d’accompagner le duo qu’il doit chanter avec Sylvia.

Les différents personnages s’assoient et se groupent çà et là.

Madame della Sorga reste sur la causeuse, qu’elle partage avec madame Borel. M. Lambert, attiré hors de la bibliothèque par les préludes du piano, vient se placer auprès de sa femme.

Celle-ci semble fière et heureuse : M. de Luxeuil lui a promis de lui sacrifier la duchesse et Sylvia ; il semble, en effet, tenir sa promesse en ne faisant nulle attention à elles.

Antonine Jourdan, en sa qualité d’artiste, – rare vertu parmi ses pareilles, – n’éprouvant jamais la jalousie amère que suscitent les rivalités de talents, s’est assise tout près du piano, très-curieuse d’entendre chanter Sylvia, et disposée à l’applaudir de tout cœur.

Le marquis Ottavio, attiré vers Alexis Borel par la conformité d’âge et de sentiments généreux, a pris place à côté de son nouvel ami.

Celui-ci est enchanté de pouvoir épancher avec son voisin l’admiration que lui inspire Sylvia.

Le duc della Sorga, MM. de Francheville, de Saint-Prosper et Borel forment un autre groupe, faisant face au piano.

M. de Luxeuil brille par son absence de ces différents groupes, dont il s’est détaché, afin de se placer debout, accoudé à une causeuse, dans une attitude triomphante.

Il expose ainsi et bien en vue son irrésistible personne aux regards de ses trois conquêtes, ne doutant point que, quoique contenue ou dissimulée jusqu’alors, l’impression qu’il a causée à Sylvia, ne soit aussi vive que celle dont Francine Lambert et la duchesse della Sorga lui ont donné des gages certains.

Cependant, malgré sa suprême infatuation de lui-même, ce glorieux animal éprouve une basse envie à l’endroit de Wolfrang.

Ce singulier personnage, par la correcte élégance de sa mise, point capital aux yeux de M. de Luxeuil, défie la critique la plus rigoureuse ; il paraît sportman consommé, il est d’une rare érudition sur toutes choses, il a les manières d’un homme du meilleur monde, et, si sot que soit le jeune beau, il est forcé de s’avouer que Wolfrang est doué d’un esprit très-original, et, de plus, musicien de premier ordre, ce dont il fait preuve en ce moment, exécutant sur le piano, selon le désir de Sylvia, comme préambule au duo, l’ouverture de l’opéra d’Euryanthe, à la surprise et à l’admiration des auditeurs.

Antonine Jourdan est surtout captivée ; son aimable figure révèle un enthousiasme croissant, et, l’oreille avide, la respiration suspendue, elle dit à demi-voix avec une sorte de stupeur, faisant allusion au merveilleux talent d’exécution de Wolfrang :

— Mais c’est Liszt pour la puissance, Thalberg pour le perlé de la méthode, Chopin pour la grâce, ou plutôt, non, c’est un talent original, sans pareil ; il réunit toutes les qualités des grands maîtres, et n’a aucune de leurs imperfections.

Puis, joignant les mains avec un geste d’admiration naïve, la jeune artiste ne peut s’empêcher de murmurer :

— Mais c’est admirable !

Cette exclamation involontaire d’Antonine Jourdan est le signal d’une explosion d’applaudissements difficilement contenus jusqu’alors, bien que l’exécution de l’ouverture ne soit pas terminée.

La duchesse della Sorga, musicienne-née comme presque toutes les Italiennes, applaudit, entre autres, avec transport, et, si cela se peut dire, avec une sorte de sensualité particulière à certaines natures méridionales ; ses narines se dilatent, et son grand œil noir, ardemment attaché sur Wolfrang, étincelle et s’alanguit tour à tour.

— La duchesse m’a jeté tout à l’heure ces mots à l’oreille : « Je vais me promener tous les matins dans le parc de Monceaux, » – pensait M. de Luxeuil. – C’est un rendez-vous ! Pauvre femme ! je lui ai mis le feu dans les veines, et, maintenant, le volcan fait éruption où il peut et comme il peut.

Le jeune beau attribuait ainsi à ses regards incendiaires l’exaltation musicale que le talent de Wolfrang causait à madame della Sorga.

Aussi, croyant de son devoir de consacrer par son approbation le succès du maître de la maison, M. de Luxeuil, au moment où les applaudissements ont cessé, frappe doucement la paume de sa main gauche du bout des doigts de sa main droite, disant du haut de sa cravate, d’un air connaisseur et protecteur.

— Brâââavo ! très-bien ! très-bien ! Ah ! mais trèèèes-bien ! brâââavo !

Cette onomatopée traînante et ridiculement laudative, se produisant au milieu du profond silence qui vient de se rétablir, agace tellement Antonine Jourdan, que, cédant à la franchise de sa nature, elle se retourne brusquement vers l’interrupteur, et s’écrie impatiemment :

— De grâce, monsieur, laissez-nous donc entendre !

M. de Luxeuil répond à cette interpellation par un sourire vainqueur, et Wolfrang, qui avait eu le bon goût de ne pas sembler entendre les applaudissements dont il était l’objet, achève de jouer l’ouverture d’Euryanthe avec une supériorité de talent vraiment étonnante, et prévient de nouvelles et bruyantes marques d’approbation en disant aussitôt qu’il a touché les dernières notes :

— Et maintenant, chère Sylvia, commençons le duo.

Ce fameux duo d’Euryanthe est un de ces duos d’amour indispensables à tout opéra ; jamais, musicalement, moralement et physiquement, il n’avait eu des interprètes aussi complets, sous ce triple rapport, que Wolfrang et Sylvia.

Tous deux dans la fleur de la jeunesse et de la beauté, tous deux profondément épris l’un de l’autre, n’eussent-ils été doués que d’un talent médiocre, – et le leur était hors ligne, – qu’ils auraient encore produit une sensation remarquable.

Et cela parce qu’ils chantaient vrai. – parce que leur physionomie, leur attitude, leur regard, l’accent de leur voix, où vibraient en accords d’une tendresse inexprimable les cordes les plus intimes de leur âme, étaient l’expression entraînante d’un amour idéal… parce que les battements de leur cœur, les élans de leur passion, le rayonnement de leur félicité interne, transparaissaient sous des flots de ravissante harmonie.

Que l’on juge donc de la sensation que durent produire ces idéalités réalisées par le génie musical de Wolfrang et de Sylvia, par l’adorable charme de leur personne !

Cette sensation devint indicible, lorsque, à la fin du duo, leurs voix, confondues dans une dernière vibration prolongée, palpitante, et d’une action presque magnétique, semblèrent s’élancer vers le ciel en un hymne de triomphe, de reconnaissance et d’amour éternel !

Wolfrang et Sylvia resplendissant alors d’une beauté surhumaine, oubliant ce qui existait autour d’eux, emportés dans l’infini de leur passion, éprouvant le vertige de l’aéronaute, enlevé vers les régions éblouissantes d’azur et de lumière ; la terre, noyée d’ombre, disparaît à ses yeux…

Cette sensation où étaient plongés les auditeurs de Wolfrang et de Sylvia, nous essayerons de la peindre, parce que l’influence de l’art sur les natures les plus élevées ou les plus médiocres, – à moins que, par infimité, elles ne soient complétement réfractaires, – se produit toujours en raison directe de leur pensée dominante et actuelle.

Ainsi, le duo chanté par Wolfrang et Sylvia, exprimant l’amour élevé à sa dernière puissance, et traduisant ainsi, – plus ou moins, – les sentiments de ceux de nos personnages actuellement sous l’influence de cette passion, – quelle que fût sa nature, – chaste ou grossière, délicate ou pervertie, – ils devaient sentir et sentaient en eux cette passion surexcitée jusqu’à l’exaltation que comportait leur caractère.

Ainsi, madame Lambert, malgré son manque presque complet de sens moral, – n’avait pas cependant cédé sans lutte, sans crainte, sans remords, aux obsessions de M. de Luxeuil, lui demandant un rendez-vous.

La pensée de cet acte coupable, qui pouvait la perdre, avait souvent navré la jeune femme durant cette soirée ; mais le charme entraînant du duo qui la ravissait, faisant peu à peu oublier à Francine ses angoisses, ses remords, elle s’abandonnait sans réserve à ses enivrements, les yeux attachés sur M. de Luxeuil, qui jamais ne lui avait paru plus séduisant ; car, dans l’extase où elle était plongée, il lui semblait que c’était lui et non Wolfrang qui chantait si délicieusement leur amour.

Ainsi, Alexis Borel, ayant ressenti jusqu’alors pour Sylvia, sinon de l’amour, du moins cet irrésistible et respectueux attrait que la beauté, la grâce, l’esprit et la noblesse de caractère inspirent toujours à une âme jeune, candide et généreuse, – Alexis Borel lisait plus clairement dans son cœur, et entrevoyait, avec un vague mélange de tristesse, de bonheur et d’effroi, que son admiration pour Sylvia touchait de bien près à l’amour…

Ainsi, M. de Francheville, en proie, malgré son âge, ou plutôt à cause de son âge, à une passion honteuse, forcenée, pour mademoiselle Cri-Cri, – passion qui l’avait conduit, lui, jusqu’alors honnête, à un marché infâme, – oubliait son infamie, oubliait ses cheveux gris, se souriait à lui-même, enivré des chants de Wolfrang et de Sylvia, se sentait jeune, ardent, capable, de tous les terribles écarts d’un amour insensé, écarts dont parfois il rougissait naguère et dont actuellement il s’enorgueillissait, savourant les fruits de son adroite hypocrisie, et prenant en pitié son honorabilité passée.

Ainsi, M. de Saint-Prosper, ce personnage grave, onctueux, doucereux, tout confit en charité ; ce fondateur de l’œuvre de l’alimentation pour la première enfance, s’émerillonnait au souvenir de sa jolie servante, que l’on a vue abîmée dans un si douloureux désespoir, désespoir dont la cause sinistre s’éclaircira plus tard.

Ainsi, la duchesse della Sorga, cette femme qui joignait aux effrayants débordements des patriciennes de la décadence romaine, la ruse et la dissimulation modernes, – la duchesse della Sorga, objet des respects du monde et l’idole vénérée de son fils, – elle ! Dieu juste ! elle dont la secrète dépravation ne trouvait d’analogie que dans les obscènes et sanglantes satires de Pétrone ; la duchesse della Sorga, transportée par les chants de Wolfrang, qui avait déjà produit sur elle une impression invincible, se sentait agitée d’émotions profondes et diverses, que son souverain empire sur elle-même contenait à peine.

Les yeux baissés, de peur d’être trahie par eux, abritant sous son long éventail ses traits tour à tour pâles et enflammés, la jalousie et la haine la dévoraient ; elle découvrait avec épouvante que jamais homme n’avait exercé sur elle l’espèce de fascination qu’exerçait Wolfrang ; et elle ne pouvait s’y tromper, surtout depuis l’audition de ce duo, Wolfrang adorait Sylvia, et il imposait tellement à la duchesse, qu’elle osait à peine lever sur lui son regard, avertie par son instinct que les séductions les plus adroites, les avances les plus hardies, la passion la plus exaltée le trouveraient dédaigneux ; elle atteignait, d’ailleurs, bientôt quarante ans, et frémissait de rage en contemplant l’idéale beauté de Sylvia.

Ah ! certes, en ce moment, si le passé fût devenu le présent, si Béatrice della Sorga eût été l’une de ces patriciennes de la Rome antique, flétries par Pétrone d’un vers brûlant comme un fer chaud, – elle eût fait saisir par ses esclaves Sylvia et Wolfrang ; si celui-ci eût repoussé l’affreux amour de cette horrible créature, elle l’eût, sous ses yeux, fait périr, ainsi que Sylvia, dans les férocités d’un supplice raffiné.

Heureusement Paris, au XIXe siècle, n’est pas la Rome antique, et Béatrice della Sorga souffrait ce que de sa vie elle n’avait souffert.

Elle sondait avec terreur l’abîme sans fond de l’avenir, détachée à ce point du présent, qu’elle n’avait plus même en cet instant souvenance de l’audacieux rendez-vous accordé par elle pour le lendemain à M. de Luxeuil dans le parc de Monceaux.

Quant au duc della Sorga, il était depuis longtemps insensible à l’amour.

Ottavio n’aimait encore que sa mère, et l’affection et l’estime que M. et madame Borel se portaient l’un à l’autre, depuis plus de trente ans de mariage, n’avaient rien de passionné.

M. de Luxeuil se montrait seul réfractaire à l’influence des chants de Wolfrang et de Sylvia, parce que, dès longtemps blasé, M. de Luxeuil voyait uniquement, dans le succès que recherchait son libertinage froid et calculé, une satisfaction grossière donnée à son incroyable fatuité.

Il désirait, non l’amour, mais le déshonneur de la femme, comme un hommage irrécusable rendu à la puissance de séduction qu’il prétendait exercer.

Enfin, Antonine Jourdan se sentait, plus que personne, sous le charme des accents de Sylvia et de Wolfrang, non-seulement, parce que, cantatrice exercée, elle pouvait, mieux que personne, apprécier toutes les nuances de leur admirable talent, mais parce qu’elle aimait vaillamment le jeune soldat dont elle avait placé le portrait au-dessus de son piano ; délicate et touchante pensée : cette image chérie, compagne de la solitude de la jeune artiste, semblait sourire à ses études, à ses travaux, grâce auxquels elle amassait la modeste dot qu’elle espérait offrir à son fiancé lors de leur prochain mariage.

Antonine Jourdan, encore plus émue, si possible, qu’enthousiasmée des chants de Wolfrang et de Sylvia, ne put retenir ses larmes ; et, lorsque, à la fin du duo d’Euryanthe, les bravos, les acclamations retentirent dans le salon, elle s’approcha vivement de Sylvia, et, dans un mouvement d’expansion plein de grâce et de franchise, elle ne put s’empêcher de se jeter au cou de la jeune femme, et de l’embrasser, en murmurant d’une voix entrecoupée par des larmes d’attendrissement et d’admiration :

— Oh ! madame, merci ! du fond du cœur, merci ! c’est sublime ! Je vous dois l’un des plus heureux moments de ma vie d’artiste.

L’émotion d’Antonine Jourdan s’est calmée ; Sylvia, plus sensible encore à la sympathie de la jeune artiste qu’à son admiration, lui a répondu avec une cordialité charmante.

Wolfrang, afin d’épargner à sa compagne et à lui-même les inévitables compliments qu’il redoute, dit gaiement à la cantatrice, en lui cédant sa place au piano :

— Vite, vite, asseyez-vous là, mademoiselle Antonine ; vous avez des auditeurs parfaitement préparés à vous entendre, à vous applaudir : ne laissez pas, comme on dit vulgairement, refroidir leurs bonnes dispositions.

— Ah ! ce n’est pas leur émotion que je crains de voir se refroidir, c’est la mienne, – répond Antonine, les yeux encore humides de larmes.

Et, prenant place au piano, elle ajoute avec une gracieuse franchise :

— Oui, sous la délicieuse impression où je suis, il me semble que je n’aurai jamais mieux chanté que ce soir.

La jeune artiste, ressentant cette sorte d’exaltation fiévreuse que comprendront les artistes, préludait à son chant au milieu d’un profond silence, lorsque soudain on entend un certain tumulte dans le salon voisin, et bientôt la voix suppliante de Tranquillin s’écrie :

— Monsieur le militaire… je vous en conjure, ne troublez point la soirée de mon honoré maître ! cette jeune demoiselle est en effet… ici… mais…

Tout à coup, et repoussant violemment l’intendant, apparaît au seuil du salon un jeune sous-officier de chasseurs d’Afrique en uniforme ; il est livide, sa physionomie est effrayante.

Antonine, au bruit du tumulte, se lève, tourne les yeux vers la porte, et, à la vue du soldat dont elle n’a pas remarqué d’abord l’aspect menaçant, elle s’élance vers lui, radieuse, en s’écriant, palpitante de joie et de surprise :

— Est-il possible ! déjà de retour, Albert ! Vous avez donc obtenu votre congé ?

Mais bientôt, frappée des traits bouleversés du sous-officier, qui lui lance un regard foudroyant, la jeune fille pâlit, recule d’un pas, joint les mains, et murmure avec stupeur :

— Grand Dieu ! qu’avez-vous, Albert ? D’où vient votre pâleur, votre courroux ?

Le silencieux étonnement des divers personnages témoins de cette scène est à son comble.

Sylvia, tremblante, saisit la main de Wolfrang et le retient près d’elle au moment où il s’avançait vivement vers le soldat.

Celui-ci, dont le visage se baigne d’une sueur glacée, semble ne rien voir de ce qui l’entoure.

Il fait sur lui un effort surhumain, se recueille, croise convulsivement ses bras sur sa poitrine, comme s’il voulait se sauvegarder lui-même d’un brutal emportement.

Puis, s’adressant à la jeune artiste d’une voix haletante, brisée :

— Antonine, vous avez reçu chez vous un homme à cheveux gris. Est-ce vrai ?

— Oui, – répond la jeune fille tressaillant et confondue par cette question ; – c’est vrai.

— Cet homme, en vous disant adieu, vous a embrassée ?

— C’est encore vrai.

— Cet homme, depuis quelque temps, vient vous voir chaque jour ?

— Je l’avoue, et…

— Antonine, quel est cet homme ?

— Albert, – dit la jeune fille avec une dignité douloureuse et touchante, – vous oubliez que nous ne sommes pas seuls ici…

— Tant mieux, votre honte n’en sera que plus éclatante !

— Ma honte ?

— Je vous demande, Antonine, quel est cet homme.

— Albert, – répond la jeune fille le front haut, le regard assuré, – cet homme est mon meilleur ami.

— Je vous demande, Antonine, quels droits cet homme… a sur vous.

— Je ne vous comprends pas, Albert.

— Je vous demande ce que cet homme est pour vous, et de quel droit il vous a embrassée.

— Je vous le répète, Albert, il est mon meilleur ami.

— Vous n’avez pas d’autre réponse à me faire ?

— Non.

— Ainsi, Antonine, pas d’autre réponse ?… pas d’autre ?

— Je vous dis la vérité.

— La vérité, c’est que tu t’es vendue à ce vieillard entends-tu, infâme ? – s’écrie le sous-officier en tirant de la poche de sa tunique un couteau-poignard.

Et il bondit comme un tigre sur Antonine, en s’écriant :

— Tu vas mourir !

Wolfrang, plus prompt que l’éclair, s’est dégagé de l’étreinte de Sylvia :

Il se jette entre Antonine et le soldat, saisit d’un poignet de fer le bras dont ce forcené tient le couteau, et, de son autre main, lui arrache cette arme, qu’il jette au loin.

La jeune artiste a poussé un cri déchirant, est tombée évanouie entre les bras de Sylvia et de madame Borel, tandis qu’Ottavio et Alexis Borel, cédant à l’impétuosité de leur âge, se sont précipités sur le sous-officier.

Ils aident Wolfrang à contenir ce malheureux, qui, fou de rage et de désespoir, se débat en poussant des hurlements sauvages.

Les domestiques, appelés par Tranquillin, accourent, et, malgré la résistance furieuse du fiancé d’Antonine, complétement égaré, ils l’entraînent dans le salon d’attente, où ils disparaissent avec lui.

La jeune artiste est transportée par M. Borel et par M. Lambert dans la bibliothèque, où madame Borel et Sylvia lui donnent les premiers soins.

M. de Luxeuil, fort peu ému de cette scène tragique, a profité de l’émoi général pour s’approcher de Francine Lambert, effarée, tremblante, et lui dire tout bas, d’un ton suppliant :

— Vous que j’aime plus que la vie, vous à qui je sacrifierais le monde entier, vous tiendrez, n’est-ce pas, votre promesse ? demain, vous viendrez ?

— Peut-être… je ne sais pas…, – répond presque machinalement la jeune femme encore frissonnante du terrible incident dont elle vient d’être témoin.

Tandis que M. de Luxeuil s’éloigne en répétant les mots de Francine : « Peut-être, je ne sais pas, » il ajoute :

— Moi, je sais qu’elle viendra. Et de deux, y compris le rendez-vous de la duchesse pour demain matin, au parc de Monceaux ! Allons, j’aurai ce soir, comme on dit, fait mes frais !

M. de Luxeuil, affectant de ne pas lever les yeux sur madame della Sorga, causant en ce moment avec son fils, et devant laquelle il passe en s’inclinant profondément, va prendre à son tour congé de Wolfrang, auquel plusieurs des invités témoignaient leurs regrets du scandale dont son salon venait d’être le théâtre.

Et, vers minuit, les différents locataires de la maison du bon Dieu avaient regagné respectivement leur demeure.

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