VIII

Lorsque la duchesse della Sorga entra dans le salon où elle trouva Wolfrang, il se leva, et, s’inclinant profondément devant elle, lui dit avec courtoisie :

— Je me suis peut-être un peu hâté, madame la duchesse, de venir vous dire combien nous avons été sensibles à l’honneur que vous avez bien voulu nous faire hier au soir… mais je désirais aussi vous exprimer nos vifs regrets du fâcheux scandale qui a si brusquement terminé la soirée… il a eu malheureusement des suites bien tragiques…

— Comment cela, monsieur ?

— Ce sous-officier, égaré par une jalousie que rien de sérieux ne motivait d’ailleurs, – la conduite de mademoiselle Jourdan étant irréprochable, je le sais et l’affirme ; – ce sous-officier vient de se brûler la cervelle.

— Ah ! mon Dieu ! monsieur, que m’apprenez-vous là ? C’est affreux !… Quel terrible sentiment que celui de la jalousie ! pourquoi faut-il, dit-on, qu’il soit inséparable du véritable amour !

— Oui et non, madame ; il est tant de sortes d’amours véritables !

— Je croyais… et je crois… que la vérité… même en amour, est une…

— Cependant, ne voit-on pas, madame… des gens véritablement très-épris… ignorer complétement la jalousie ?

— Ceux-là, monsieur, s’ils existent, sont rares…

— Au contraire, ils composent la majorité des amoureux…

— La majorité ? J’en doute… monsieur…

— Pardonnez-moi, madame… car, enfin, d’où vient l’absence de jalousie ? Elle vient d’une excessive et ridicule créance en notre mérite, qui, selon nous, doit nous sauvegarder de toute préférence… ou bien, l’absence de jalousie vient encore de notre inébranlable et généreuse confiance dans la personne aimée… d’où il suit que les gens d’un noble cœur et les impertinents infatués d’eux-mêmes, et Dieu sait si ceux-là sont nombreux ! me semblent former la majorité des amoureux.

— Le paradoxe est du moins fort ingénieux… Voici donc les jaloux en minorité… soit !… Et la jalousie… monsieur, d’où vient-elle ?

— La jalousie ?… Elle procède toujours d’une vanité misérable, d’un mauvais choix ou d’une mauvaise conscience…

— Quelle conscience ?

— Celle de ne pas suffisamment mériter d’être aimé.

— C’est modestie, alors, monsieur.

— Je ne le crois pas, madame : la modestie ne se révolte pas à la pensée d’une préférence. Elle l’accepte, parce que, ignorant ou doutant de son mérite, elle comprend cette préférence, se résigne et souffre sans se plaindre… Celui qui, au contraire, en amour, a conscience de recevoir plus qu’il ne peut ou ne veut donner, est toujours exigeant, inquiet, soupçonneux, méfiant, instable, injuste… En un mot, il est jaloux, de même que celui qui, ayant mal placé son amour, s’attend et doit s’attendre à le voir trahi ; d’où suit encore la jalousie… Donc, je le répète : les sots infatués d’eux-mêmes et les caractères confiants et généreux, sont ceux-là seuls qui n’éprouvent jamais de jalousie…

— Si les caractères généreux restent étrangers à ce sentiment, vous ne devez pas être jaloux, monsieur Wolfrang.

— Et vous… madame la duchesse ?

— Pourquoi cette question ? quelle est sa pensée secrète ? que répondre ? Pour moi, tout peut dépendre du tour que va prendre cet entretien, se dit madame della Sorga.

Et, souriant afin de se ménager le loisir de deviner le but du la question de Wolfrang, elle reprit tout haut et d’une façon ambiguë :

— Mais, savez-vous, monsieur… qu’elle est… au moins étrange… votre question ?

— En ce cas, madame, la vôtre le serait donc aussi ?…

— Moi… c’est différent !

— Où est la différence ?

— Vous êtes singulier !… Eh bien, répondez d’abord à ma question, monsieur, et peut-être répondrai-je à la vôtre…

— Je ne suis pas jaloux, madame.

— À mon tour de répondre… et que répondre ? – pensait la duchesse della Sorga. – Faut-il garder mon masque ?… faut-il l’ôter hardiment ? la franchise me servira-t-elle mieux que l’hypocrisie ? Je me sens à peine maîtresse de moi-même… la présence de Wolfrang me trouble, m’enivre… Que veut-il ? Son regard, lorsque parfois je le rencontre, semble, par son éclat passionné, démentir l’accent de sa voix brève et tranchante… Il ne prolongerait pas sans dessein cet entretien sur l’amour et sur la jalousie… Peut-être ma réputation d’austérité lui impose-t-elle ?… Mais, s’il ne ressent aucun attrait pour moi, et que je me dévoile à lui, peut-être je lui ferai peur… et cependant ma seule chance est peut-être aussi de le frapper par la grandeur de mon audace…

— Oh ! pensait en ce moment Wolfrang : je saurai bien, en redoublant de froide insolence, te forcer à un aveu, pour ta honte et pour ton supplice !…

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