XIV

M. de Francheville, à l’aspect de Cri-Cri, reste d’abord stupéfait, la main posée sur la clef qu’il venait de mettre dans la serrure ; puis il se hâte d’introduire chez lui cette visiteuse inattendue.

Ici se pose l’une de ces questions qui semblent éternellement insolubles.

Comment un homme tel que M. de Francheville, d’un caractère honorable, d’une intégrité longtemps irréprochable, d’un esprit distingué, habitué depuis sa première jeunesse, au commerce de la bonne compagnie… oui, comment M. de Francheville avait-il pu s’éprendre follement d’une fille sans mœurs, sans cœur, d’une vulgarité insolente et grossière, possédant à peu près tous les vices et n’ayant pour tous avantages que ses dix-huit ans, sa taille charmante, sa fraîcheur, sa figure libertine et son œil lubrique ?

Comment enfin, et surtout, M. de Francheville avait-il pu, à ce honteux, à cet ignoble amour, sacrifier trente années d’une vie sans tache, et devenir, en quelques jours, un vil coquin, cherchant à s’assurer l’impunité de ses actes par les ruses de l’astuce la plus perfide et la plus noire ?

La passion, si déréglée qu’elle soit, non-seulement ne saurait jamais, en quoi que ce fût, excuser de pareilles indignités… mais elle peut à peine les expliquer… non plus que des milliers de faits analogues… Ils sont, hélas ! parce qu’ils sont, et ne prouvent qu’une chose : la lâche perversion du sens moral de ceux-là qui s’en rendent coupables.

L’entraînement prétendu irrésistible de la passion mauvaise est un argument inventé par les coquins ou les scélérats pour les besoins de leur cause.

CELA N’EST PAS VRAI.

Il est parfaitement possible, et parfois même aisé, de résister à une tentation funeste.

Les gens les plus pervers ont, nous l’avons déjà dit, pleine connaissance et entière conscience de leur coulpe.

M. de Francheville savait si bien l’infamie de la vénalité dont il se rendait coupable, qu’il recourait, pour la cacher, à des moyens d’une profonde et exécrable habileté.

Et, cependant, dira-t-on, il était honnête homme, témoin sa vie jusqu’alors honorable !

Cette vie longtemps honorable témoigne uniquement que M. de Francheville n’avait pas rencontré jusqu’alors l’occasion de faillir. Un homme foncièrement honnête, pénétré de l’idée du devoir, aurait facilement triomphé de sa prétendue passion pour mademoiselle Cri-Cri, ou plutôt n’eût ressenti aucune espèce de passion pour une pareille drôlesse !

Rien n’est encore plus faux, plus antimoral que ces prétendus penchants, toujours irrésistibles, cela va de soi, lesquels, en vertu de nous ne savons quelle absurde loi de l’attraction des contraires, pousse une honnête femme à aimer un misérable, ou un honnête homme à épouser une coquine.

CELA N’EST PAS VRAI !

Jamais la vertu ne ressent sciemment d’attraction pour le vice. Elle peut se laisser tromper par l’apparence, par l’hypocrisie, et alors elle est dupe du vice, mais non pas sa complice.

Or, mademoiselle Cri-Cri ne cherchait pas, n’avait jamais cherché à surprendre M. de Francheville par de faux dehors. Loin de là, elle ne déguisait en rien ses impudeurs. Il cédait donc aux affinités de sa nature vicieuse en s’affolant d’un objet crapuleux. Or, ces affinités ne se fussent pas révélées chez lui, s’il avait été, nous le répétons, – foncièrement honnête homme.

Non, non, l’alliance du bien et du mal, sciemment consentie, serait un accouplement monstrueux, contre nature, et, partant, impossible.

Cela dit et prouvé, – nous le pensons du moins… – passons.

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