XXIII

Cri-Cri ne voulait pas se borner à être, ainsi qu’elle disait dans son argot, la scie de M. de Luxeuil : elle voulait, de plus et à tout prix, s’emparer du coffret où il renfermait sa correspondance amoureuse.

Ainsi, après avoir laissé le jeune beau terrifié par ses menaces, d’un accomplissement malheureusement trop facile, l’indigne créature descend rapidement chez Saturne le concierge, le prie de lui donner à l’instant du papier afin d’écrire une lettre.

Le portier s’empresse de déférer au désir de la nouvelle locataire ; elle griffonne quelques lignes à la hâte, plie le billet et remonte chez M. de Luxeuil, supposant, non sans raison, qu’il devait en ce moment s’habiller pour sortir.

Elle sonne ; le valet de chambre vient lui ouvrir, et lui dit vivement :

— Madame, au nom du ciel ! n’entrez pas, monsieur vient de me signifier qu’il me chasserait sur l’heure, si je vous laissais remettre les pieds ici !

— Où est M. de Luxeuil ?

— Il est à sa toilette, madame.

— Écoutez-moi, mon garçon, je ne veux nullement forcer votre consigne ; j’attends seulement de vous un petit service, et je le paye mille francs, que voici.

Cri-Cri, ce disant, met dans la main du domestique, ébahi le billet de banque que lui a donné M. de Francheville, en remboursement des arrhes du loyer ; puis elle reprend :

— Tout ce que je vous demande, c’est d’aller à l’instant porter cette lettre à votre maître ; j’attends la réponse dans l’antichambre.

Le serviteur, ébloui par la somme qu’on lui offre, et pensant, d’ailleurs, n’enfreindre que très-peu les ordres de son maître en permettant à une personne qui vient de se montrer si magnifique envers lui d’attendre la réponse à sa lettre dans l’antichambre, y introduit Cri-Cri, et lui dit en prenant sa lettre :

— Je vais être bien grondé par monsieur ; mais madame est si généreuse, que je risque ma place.

À peine le valet de chambre a-t-il disparu par un couloir communiquant au cabinet de toilette de son maître, que Cri-Cri s’élance dans la salle à manger, entre dans le salon, s’empare du coffret, et se dit en s’échappant de l’appartement, afin de descendre chez elle :

— Ce coffret me coûte mille francs ; mais j’ai bien placé mon argent. Ah ! si tu veux les ravoir, tu les payeras cher, ces lettres de tes belles dames, pingre de Luxeuil !

Le valet de chambre était allé rejoindre son maître.

Celui-ci, consterné, épouvanté des menaces de Cri-Cri, mais pensant qu’il valait mieux, après tout, tâcher de s’étourdir sur les soucis affreux qu’il redoutait, que de rester chez lui face à face avec ses désolantes pensées, s’était résolu à aller dîner à son club, et, à se rendre de là, à l’Opéra, où devait se trouver la duchesse della Sorga.

— Monsieur, c’est, une lettre dont on attend la réponse, – dit le serviteur sans s’expliquer davantage, en remettant à son maître le billet de Cri-Cri.

Celle-ci n’avait pas signé sa lettre ; et, quoiqu’elle écrivît passablement, elle s’était étudiée à rendre son billet illisible, afin de se ménager le temps de commettre son infâme larcin pendant que M. de Luxeuil tâcherait de déchiffrer ce billet.

En effet, au bout de deux ou trois minutes de vains efforts, celui-ci dit tout haut :

— J’y renonce : il m’est impossible de comprendre un mot de ce griffonnage sans signature, tout fraîchement barbouillé d’ailleurs.

Le valet de chambre, attentif aux dernières paroles de son maître, se dit alors :

— Il ne reconnaît pas l’écriture… tout va bien.

— D’où vient cette lettre ? – demande M. de Luxeuil. – Qui l’a apportée ?

— Une personne que je ne connais pas, monsieur, – se hasarde à dire le domestique. – On attend la réponse dans l’antichambre.

— Eh bien, allez dire à cette personne que, lorsqu’on demande une réponse, on écrit de façon à se faire lire.

Le serviteur sort, du cabinet de toilette, et, ne trouvant pas Cri-Cri dans l’antichambre, est d’abord fort surpris de cette disparition, dont il ne peut soupçonner la cause.

Puis, ne comprenant rien à l’aventure, sinon qu’il embourse mille francs, il retourne auprès de son maître.

— J’ai porté la réponse de monsieur à cette personne, – dit le Frontin ; je la soupçonne fort d’être une demanderesse de secours, et elle aura probablement griffonné sa supplique chez le concierge.

— Une fois pour toutes, vous devez savoir que je ne donne jamais rien, – répond brusquement M. de Luxeuil ayant achevé sa toilette. – Signifiez au concierge qu’il ne doit jamais laisser s’introduire de mendiants chez moi.

— Oui, monsieur.

Le jeune beau, soucieux et morne, descend de chez lui, jette un regard d’épouvante en passant devant la porte de l’appartement du premier étage occupé par Cri-Cri ; et, voulant à tout hasard, quoiqu’il en soit convaincu, s’assurer encore de la vérité, il demande à Saturne en passant devant sa loge :

— L’appartement vacant au premier est donc loué ?

— J’aurai l’honneur de répondre à monsieur que l’appartement a été loué tantôt par une jeune et jolie dame, répond cérémonieusement Saturne. – Cette dame doit emménager ce soir, et…

— C’est bon, répond impatiemment M. de Luxeuil, ne conservant plus aucun doute sur l’établissement de Cri-Cri dans la maison.

Et il monte dans sa voiture, qui doit le conduire à son club, et, de là, à l’Opéra, où, nous l’avons dit, doit se trouver la duchesse della Sorga.

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