XXIV

Nos lecteurs n’ont peut-être pas oublié la scène douloureuse qui, le matin de ce même jour, a eu lieu entre le marquis Ottavio et le comte Felippe, en présence de leurs parents le duc et la duchesse della Sorga.

Felippe, si l’on s’en souvient, avait d’abord feint le repentir de son odieuse conduite à l’égard de son frère, l’ayant, disait-il, – et cela était faux, – entendu la nuit s’écrier, sous l’obsession d’un rêve funeste, que l’aversion dont Felippe lui donnait journellement des preuves, lui rendait, à lui, Ottavio, la vie insupportable.

Ce prétendu songe, attribué par Felippe à la pénible émotion d’une querelle amenée par un motif puéril (le bris du verre de limonade que son frère buvait chaque soir en se couchant), ce prétendu songe, en lui donnant connaissance et conscience du chagrin mortel qu’il causait à son frère, avait inspiré à Felippe, – disait-il, – le désir de s’éloigner de la maison paternelle : apparente résolution, d’abord combattue par le duc della Sorga à l’aide des arguments les plus tendres, les plus sages, et, enfin, vaincue par les touchantes protestations d’Ottavio.

La réconciliation des deux frères avait eu lieu.

Puis, saisissant presque aussitôt le prétexte que son père et sa mère, en proposant à Ottavio de les accompagner à l’Opéra, rougissaient de la difformité de leur second fils, puisqu’ils le laissaient à l’écart de cette partie de plaisir, – Felippe, paraissant de nouveau céder aux emportements de son caractère jaloux et atrabilaire, avait accablé de haineuses invectives son frère Ottavio, à qui la douleur arrachait cette exclamation navrante : « Ah ! c’est à me faire détester la vie ! »

On se rappelle, enfin, que, effrayé de ces paroles d’Ottavio, le duc avait dit à Felippe : « Malheureux ! oubliez-vous que, cette nuit, vous avez entendu votre frère s’écrier en songe que vous lui rendiez la vie insupportable ? Voulez-vous donc le faire mourir de chagrin ?

Ce à quoi Felippe avait répondu à part soi : « Tout va bien. »

Tout allait bien, en effet, pour les projets de ce monstre d’astuce, d’hypocrisie, de noirceur et de scélératesse, oui, pour ses sinistres projets, tout allait bien, l’on ne s’en convaincra que trop tôt.

On se rappelle, en outre, que, dans l’espoir de distraire Ottavio de ses chagrins, M. et madame della Sorga l’avait engagé à aller rendre visite au jeune Alexis Borel, et à lui offrir de venir le soir à l’Opéra, offre cordialement acceptée par Alexis, qui avait à son tour proposé au jeune marquis d’aller avec lui voir la galerie de tableaux et d’objets d’art du château de Monceaux, vers lequel tous deux avaient dirigé leurs pas.

On se rappelle, enfin, que le lieu du rendez-vous donné la veille, avec tant de cynisme et d’audace par madame della Sorga à M. de Luxeuil, était le parc de ce même château de Monceaux, et que, dans son monologue interrompu par la présence de Cri-Cri, le jeune beau ne pouvait, disait-il, chasser de son esprit le soupçon qu’il avait été épié par quelqu’un durant sa promenade avec la duchesse dans l’une des allées les plus retirées du parc, voisine d’un temple grec à demi ruiné.

On saura plus tard quels incidents causaient les soupçons de M. de Luxeuil.

Ces divers antécédents rappelés aux souvenirs du lecteur, poursuivons notre récit.

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