XXI

Le lendemain, en effet, je reçus la visite de Milon.

Il m’apportait les notes de Rocambole.

Je mis huit jours à les lire.

Elles s’arrêtaient à la fin de la Résurrection, c’est-à-dire au moment où Vanda et Milon, suivant Rocambole à la trace de son sang, arrivèrent à la rivière et perdirent cette trace.

À ces notes, il avait ajouté ces mots :

« Monsieur,

« Peut-être vous dirai-je quelque jour comment je me suis repêché, et ce que je suis devenu entre ce moment-là et le jour où je vous ai revu, c’est-à-dire hier soir.

« Pour le moment, je ne puis disposer que de ces modestes confidences.

Votre serviteur,

« Rocambole. »

J’étais sans doute en froid avec la Patrie, et il ne fallait pas même songer à proposer cette nouvelle série des exploits de mon héros à M. Delamarre, qui, du reste, était en train de vendre son journal.

Cependant les derniers Mémoires de Rocambole étaient selon moi beaucoup plus intéressants que les premiers.

D’un autre côté, j’avais d’autres engagements et plusieurs choses à finir.

J’avais même dit à Milon :

« Je ne vous promets pas de publier tout de suite ce nouveau roman. J’attendrai qu’une occasion se présente. »

Et, comme on va le voir, l’occasion ne se fit pas attendre.

La presse quotidienne à un sou était née, depuis la publication des premiers Drames de Paris, et cette presse n’était représentée encore que par le Petit Journal.

Un soir à une première représentation du Théâtre Déjazet, je ne sais plus qui me présenta à un monsieur qui portait des lunettes d’or.

C’était M. Polydore Millaud.

M. Millaud me témoigna sa satisfaction de cette rencontre et me demanda un roman.

– Vous savez, me dit-il, que je ne publie que des réimpressions, et je les paye au tarif de la Société des Gens de lettres.

J’autorisai M. Millaud à chercher dans mon bagage ce qui lui conviendrait, et un mois après, je trouvai dans les colonnes du Petit Journal un roman que j’ai fait il y a plus de dix ans : Le Diamant du Commandeur.

La publication terminée, la caisse de la Société des Gens de lettres me compta quelques centaines de francs et je n’entendis plus parler de M. Millaud.

Mais un soir d’août de l’année 1865, comme je flânais sur le boulevard Montmartre, une main me prit au collet ; et une voix sonore et sympathique me dit :

– Je ne vous lâche plus.

La voix et la main appartenaient à M. Félix Clément, un jeune savant qui fait les bulletins scientifiques du journal la France, et qui est un ami de la maison Millaud.

– Non, reprit-il, je ne vous lâche plus et vous allez venir avec moi.

– Où cela ?

– Au Petit Journal.

– Pourquoi faire ?

– Votre Diamant du Commandeur a eu du succès.

– Bon !

– Et Millaud voudrait réimprimer les Exploits de Rocambole.

Je suivis Félix Clément ; j’écoutai la proposition de Millaud et je lui répondis :

– Voulez-vous la Résurrection de Rocambole ?

– Inédit ?

– Oui.

Un quart d’heure après je sortais du Petit Journal, et tout était convenu.

On allait annoncer mon roman, et la publication commencerait en octobre.

Le soir même, je quittai Paris pour aller ouvrir la chasse et je n’y revins qu’à la fin d’octobre, alors que tout le prologue de la Résurrection avait déjà paru.

Le pays que j’habite en automne est un petit village perdu au bord de la forêt d’Orléans.

Le maire reçoit le Journal du Loiret, l’instituteur primaire le Petit Moniteur, et les nouvelles de Paris y sont rares.

Tandis que je massacrais des lièvres et des perdreaux tout en envoyant chaque jour mon feuilleton par la poste, cet excellent M. Millaud, qui entend la publicité à merveille, avait couvert les murs de Paris d’affiches pyramidales annonçant le Bagne, l’Échafaud, etc.…

Les voitures du Petit Journal avaient promené ces affiches pendant quinze jours.

Tout cela me fit frémir à mon retour.

Heureusement le roman réussit, et Rocambole remporta une nouvelle victoire.

Pendant sept ou huit mois les nouvelles aventures de mon héros s’étalèrent dans les colonnes du feuilleton du Petit Journal ; on se passionna pour Rocambole devenu vertueux ; on s’intéressa aux malheurs d’Antoinette à Saint-Lazare.

À propos de Saint-Lazare, je dois avouer que j’ai commis un petit faux bien innocent.

Les notes de Rocambole ne me suffisaient pas pour décrire cette prison. Je voulais voir de mes yeux.

M. Millaud demanda une autorisation pour moi. Elle lui fut refusée ; mais on lui permit, personnellement, de visiter Saint-Lazare avec son fils.

J’ai donc appelé Millaud papa tout un dimanche que nous avons consacré à visiter la prison du faubourg Saint-Denis.

Je conduisis la Résurrection de Rocambole jusqu’à la dernière page des notes que Milon m’avait apportées.

Alors Millaud me dit ce que m’avait déjà dit M. Delamarre :

– Faites-moi une suite.

Mais je me souvenais des Chevaliers du clair de lune, et je refusai.

Et puis, la Petite Presse venait de naître sous le nom de Presse illustrée, et elle m’avait passé au cou une chaîne d’or et de fleurs.

J’émigrai donc à la Presse illustrée, avec le secret espoir que Rocambole me donnerait de ses nouvelles au premier jour.

On va voir que je ne me trompais pas.

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