NOTE 9.

L’histoire ne peut pas s’étendre assez pour justifier jusqu’aux individus, surtout dans une révolution où les rôles, même les premiers, sont extrêmement nombreux. M. de Lafayette a été si calomnié, et son caractère est si pur, si soutenu, que c’est un devoir de lui consacrer au moins une note. Sa conduite pendant les 5 et 6 octobre est un dévouement continuel, et cependant elle a été présentée comme un attentat par des hommes qui lui devaient la vie. On lui a reproché d’abord jusqu’à la violence de la garde nationale qui l’entraîna malgré lui à Versailles. Rien n’est plus injuste ; car si on peut maîtriser avec de la fermeté des soldats qu’on a conduits longtemps à la victoire, des citoyens récemment et volontairement enrôlés, et qui ne vous sont dévoués que par l’exaltation de leurs opinions, sont irrésistibles quand ces opinions les emportent. M. de Lafayette lutta contre eux pendant toute une journée, et certainement on ne pouvait désirer davantage. D’ailleurs rien n’était plus utile que son départ, car sans la garde nationale le château était pris d’assaut, et on ne peut prévoir quel eût été le sort de la famille royale au milieu du déchaînement populaire. Comme on l’a vu, sans les grenadiers nationaux les gardes-du-corps étaient forcés. La présence de M. de Lafayette et de ses troupes à Versailles était donc indispensable.

Après lui avoir reproché de s’y être rendu, on lui a reproché surtout de s’y être livré au sommeil ; et ce sommeil a été l’objet du plus cruel et du plus réitéré de tous les reproches. M. de Lafayette resta debout jusqu’à cinq heures du matin, employa toute la nuit à répandre des patrouilles, à rétablir l’ordre et la tranquillité ; et ce qui prouve combien ses précautions étaient bien prises, c’est qu’aucun des postes confiés à ses soins ne fut attaqué. Tout paraissait calme, et il fit une chose que personne n’eût manqué de faire à sa place, il se jeta sur un lit pour reprendre quelques forces dont il avait besoin, car il luttait depuis vingt-quatre heures contre la populace. Son repos ne dura pas une demi-heure ; il arriva aux premiers cris, et assez tôt pour sauver les gardes-du-corps qu’on allait égorger. Qu’est-il donc possible de lui reprocher… ? De n’avoir pas été présent à la première minute ? mais la même chose pouvait avoir lieu de toute autre manière ; un ordre à donner ou un poste à visiter pouvait l’éloigner pour une demi-heure du point où aurait lieu la première attaque ; et son absence, dans le premier instant de l’action, était le plus inévitable de tous les accidens. Mais arriva-t-il assez tôt pour délivrer presque toutes les victimes, pour sauver le château et les augustes personnes qu’il contenait ? se dévoua-t-il généreusement aux plus grands dangers ? voilà ce qu’on ne peut nier, et ce qui lui valut à cette époque des actions de grâces universelles. Il n’y eut qu’une voix alors parmi tous ceux qu’il avait sauvés. Madame de Staël, qui n’est pas suspecte de partialité en faveur de M. de Lafayette, rapporte qu’elle entendit les gardes-du-corps crier Vive Lafayette ! Mounier, qui n’était pas suspect davantage, loue son dévouement ; et M. de Lally-Tolendal regrette qu’on ne lui ait pas attribué dans ce moment une espèce de dictature (voyez son Rapport à ses commettans) ; ces deux députés se sont assez prononcés contre les 5 et 6 octobre, pour que leur témoignage soit accueilli avec toute confiance. Personne, au reste, n’osa nier dans les premiers momens un dévouement qui était universellement reconnu. Plus tard, l’esprit de parti, sentant le danger d’accorder des vertus à un constitutionnel, nia les services de M. de Lafayette ; et alors commença cette longue calomnie dont il n’a depuis cessé d’être l’objet.

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