XI

Ou bien j'imagine cette claire matinée de septembre où nous nous sommes promenés au jardin désert, mais encore fleuri, d'un château délaissé, sur les bords d'un grand fleuve étranger, à la lumière tendre d'un ciel sans nuages.

Comment exprimer tout ce que je sentais alors ?… Ce fleuve qui coulait comme un infini, cette solitude, ce calme, cette joie, cette sorte de tristesse enivrante, cette atmosphère de bonheur, cette ville inconnue et uniforme, les cris des corbeaux d'automne dans les arbres hauts, ces tendres paroles et ces tendres sourires, ces regards échangés, longs, doux et pénétrants, cette beauté en nous, autour de nous, de toutes parts, tout cela est plus grand que la parole humaine… Et ce banc où nous nous sommes assis en silence, la tête penchée par l'émotion, je me souviendrai de lui jusqu'à l'heure dernière. Autour de nous, tout était plein d'enchantement : les rares passants, avec leur bref salut et leur visage amène, les grandes barques qui glissaient doucement au fil de l'eau (il y avait un cheval dans l'une d'elles — t'en souvient-il ? — et il regardait, songeur, l'eau qui miroitait sous ses naseaux), le babillage puéril des petites vagues courtes, les chiens qui aboyaient au loin, et jusqu'à l'adjudant obèse et vociférant qui s'en prenait à des conscrits aux joues roses ; les malheureux garçons faisaient l'exercice tout à côté de nous, les coudes écartés et les jambes tendues, comme des échassiers. Nous sentions tous les deux qu'il n'y avait rien eu et qu'il n'y aurait jamais rien de plus sublime que ces instants… Mais foin de comparaisons ! Assez ! Assez !… Hélas ! oui, assez !…

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