IV

Maria s’approcha de la porte du salon lorsqu’on annonça l’arrivée du capitaine et du cornette ; puis elle entra précipitamment dans sa chambre et s’avança vers son miroir… Son cœur battait violemment. Une femme de chambre vint lui dire qu’on l’attendait au salon. Maria but un verre d’eau, s’arrêta un instant sur l’escalier, puis descendit. Son père n’était pas à la maison. Sa mère était assise sur le canapé ; Loutchkof dans un fauteuil, avec son chapeau d’uniforme sur ses genoux ; Kister à côté de lui. Tous deux se levèrent à l’approche de la jeune fille, le cornette avec son bon et amical sourire, Loutchkof avec un air grave et contraint. Maria les salua avec un certain embarras et s’assit près de sa mère. Bientôt pourtant elle se rassura et observa le capitaine : il répondait aux questions de Nenila brièvement, mais d’un ton inquiet ; il était timide comme tous les gens vaniteux.

Nenila proposa à ses hôtes de faire une promenade dans le jardin, et resta sur le balcon. Elle ne se croyait pas obligée de ne pas quitter sa fille des yeux et de la suivre partout pas à pas, avec un ridicule suspendu à son bras, comme la plupart des mères qui habitent la province.

La promenade dura assez longtemps. Maria s’entretint assez vivement avec Kister, mais elle n’osait ni le regarder, ni regarder le capitaine. Celui-ci ne disait rien. Quant au cornette, il était dans une sorte de surexcitation, il riait et causait beaucoup.

Dans le cours de la promenade, on passa près d’un ruisseau. À quelques pieds du rivage, un beau lis aquatique étendait sa fraîche corolle à la surface paisible de l’eau.

« Quelle charmante fleur ! » dit la jeune fille.

À peine avait-elle prononcé ces mots que Loutchkof, détachant son sabre, atteignit la tige délicate, et, en se penchant sur l’eau, réussit à la cueillir.

« Prenez garde ! s’écria Maria effrayée : l’endroit est profond. »

Loutchkof amena avec la pointe de son sabre la fleur sur le rivage, aux pieds mêmes de Maria, qui la prit et regarda avec une douce et riante expression le capitaine.

« Bravo ! s’écria Kister.

– Et je ne sais pas nager ! » ajouta Loutchkof.

Cette réflexion déplut à Maria.

« Qu’avait-il besoin, se dit-elle, de nous la faire ? »

Les deux amis prolongèrent leur visite jusqu’au soir. Il se passait dans l’âme de Maria quelque chose d’inaccoutumé. Plus d’une fois elle parut rêveuse et comme irrésolue. Sa démarche aussi était plus lente, et elle ne s’écartait plus de sa mère, elle semblait au contraire chercher ses regards et les interroger.

Dans la soirée, Loutchkof eut pour elle des attentions un peu gauches, mais cette gaucherie même flattait son innocent amour-propre.

Quand il partit avec son ami, en promettant de revenir prochainement, elle rentra dans sa chambre et promena ses regards autour d’elle avec une sorte d’étonnement. Nenila s’approcha d’elle, la caressa et l’embrassa selon sa coutume. Maria entr’ouvrit les lèvres, comme pour lui parler, et ne put prononcer un mot. Elle voulait lui faire une révélation et ne savait quoi dire. Son esprit était dans un grand trouble.

En se couchant, elle mit dans un vase d’eau la fleur cueillie par Loutchkof, posa le verre sur la table de nuit, le prit entre ses mains lorsqu’elle fut au lit, et de ses lèvres de jeune fille effleura les fraîches pétales.

« Eh bien, dit le lendemain Kister à son ami, les Perekatof te plaisent-ils ? N’avais-je pas raison ? »

Loutchkof ne répondit pas.

« Mais parle donc.

– En vérité, je ne sais.

– Comment ?

– Eh bien, oui… cette jeune fille… Comment s’appelle-t-elle ? Maria, je crois…, n’est pas mal.

– Ah ! enfin ! » murmura Kister. Et il se tut.

Cinq jours après, le capitaine invita lui-même son ami à l’accompagner chez les Perekatof. Seul, il n’osait se hasarder à faire cette visite. En l’absence de Théodore, il aurait été obligé de soutenir lui-même l’entretien, et il redoutait une telle tâche.

À cette seconde visite, Maria parut plus à son aise et se félicita de n’avoir fait aucune confidence à sa mère. Avant dîner, Avdieï voulut monter un jeune cheval non dressé, et, malgré les bonds et les écarts de l’animal fougueux, parvint à le maîtriser. Le soir, il se mit à rire, à plaisanter d’une façon insolite ; et, quoique bientôt il sentît qu’il devait se modérer, il en avait assez fait pour produire sur Maria une impression désagréable : elle en venait à ne plus savoir elle-même quel sentiment il éveillait en elle ; mais ce qui lui déplaisait de la part de cet homme singulier, elle l’attribuait encore à l’influence de son malheur et de son isolement.

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