VII

Le lendemain matin, Kister se rendit chez les Perekatof. Dès son arrivée, il remarqua un grand changement en Maria, et elle remarqua aussi un changement en lui. L’un et l’autre pourtant ne se dirent rien, et, contre leur coutume, ils passèrent ensemble péniblement la matinée.

Par des allusions détournées, par des mots à double entente, par des conseils affectueux, Kister voulait atteindre le but qu’il s’était proposé ; mais tous ses efforts furent inutiles. Maria remarquait avec inquiétude qu’il l’observait attentivement ; il lui semblait que ce n’était pas sans intention qu’il prononçait certaines paroles. Mais, dans son état d’agitation, elle ne croyait pas devoir se fier à ses remarques.

« Pourvu, se disait-elle à tout instant, qu’il ne reste pas ici jusqu’à ce soir, » et elle s’efforçait de lui faire comprendre qu’on n’avait point envie de le garder.

Kister voyait son trouble et devinait la crainte qu’elle éprouvait d’avoir un témoin de son amour, et plus il s’effrayait pour elle, moins il osait parler de Loutchkof, et Maria, de son côté, n’en parlait pas.

En même temps, le pauvre cornette commençait à se rendre plus clairement compte à lui-même de ses propres sentiments. Jamais la jeune fille ne lui avait paru plus charmante. Évidemment, elle n’avait pas dormi de toute la nuit : des teintes rosées se dessinaient sur sa figure pâle ; son corps était légèrement ployé, et un sourire languissant errait à son insu constamment sur ses lèvres ; de temps à autre, un rapide frisson courait sur ses épaules blanches ; ses yeux s’allumaient, puis tout à coup s’éteignaient. Nenila s’assit près de Kister et l’interrogea peut-être à dessein sur Avdieï ; mais Maria était, comme disent les Français, armée jusqu’aux dents et restait sur ses gardes. Ainsi s’écoula la matinée.

« Vous dînez avec nous ? » dit Nenila à Kister.

À cette demande, la jeune fille se détourna.

« Non, répondit Théodore en la regardant… Soyez assez bonne pour m’excuser… Mon service… mes devoirs… »

Nenila lui exprima ses regrets, puis ensuite Serge.

En passant près de Maria, le cornette avait l’intention de lui dire :

« Je ne veux gêner personne ; » mais, au lieu de prononcer ces mots, il s’inclina et murmura :

« Soyez heureuse… Adieu… Prenez garde… »

Et il disparut.

Maria poussa un profond soupir et s’effraya quand Kister fut parti. D’où venait son agitation ? De l’amour ou de la curiosité ? Dieu le sait. Mais nous répéterons que la curiosité suffit pour perdre Ève.

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