IX

Teglev était assis sur sa couche, en train d’écrire quelque chose à la lueur d’une bougie, dans un petit album qui ne le quittait jamais. En me voyant, il s’empressa de fourrer l’album dans sa poche et se mit en devoir de bourrer une pipe.

« Tenez, mon vieux, commençai-je, voilà le trophée que je rapporte de ma chasse. »

Là-dessus, je lui montrai le peigne et lui racontai ce qui m’était arrivé sous le saule.

« J’ai dû faire peur à un larron… Vous avez certainement entendu dire déjà que la nuit dernière on a volé un cheval à notre voisin… »

Teglev me sourit sans aménité et alluma sa pipe. Je m’assis à côté de lui.

« Alors, vous croyez toujours que cette voix que nous avons entendue venait des contrées lointaines où… »

Il m’arrêta d’un geste autoritaire.

« Écoutez-moi, Riedel, je ne suis pas d’humeur à plaisanter, et vous demande instamment de ne pas le faire. »

Il disait vrai, quant à son humeur. Son visage lui-même avait changé : il paraissait plus blême, plus expressif et plus long. Ses yeux étranges et « disparates » étaient hagards.

« Je ne croyais jamais avoir l’occasion d’apprendre à un autre… à un autre que moi l’histoire que vous allez entendre et qui devait mourir… mourir dans ma poitrine. Apparemment, cela était écrit… Le destin !… D’ailleurs, je n’ai pas le choix. Écoutez donc. »

Et il me fit tout un long récit. Je vous ai déjà prévenus, messieurs, que Teglev était un piètre narrateur. Mais ce défaut ne fut pas le seul qui me frappa cette nuit-là : le son de sa voix, ses regards, ses gestes, tout ce qu’il faisait, en un mot, me parut faux, affecté, superflu d’un bout à l’autre.

Que voulez-vous ? j’étais jeune et inexpérimenté et ne savais pas que le mode rhétorique, les artifices des manières et des intonations, deviennent, avec l’usage, une véritable seconde nature, une sorte de malédiction dont on ne peut plus se débarrasser, le voulût on.

Tout dernièrement, il m’est arrivé d’avoir affaire à une femme du monde qui m’a appris la mort de son fils avec des airs tellement mélodramatiques, des trémolos dans la voix et des hochements de tête que, malgré moi, je pensai : « Quelle comédienne ! Comme elle ment ! En réalité, elle n’a jamais aimé son fils… » Pourtant, elle m’avait parlé de sa détresse « incommensurable » et de sa crainte de perdre la raison sous le coup du malheur… Eh bien ! huit jours plus tard, la pauvre femme est devenue effectivement folle. Depuis, je suis beaucoup plus prudent dans mes jugements et me fie moins à mes premières impressions.

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