VIII

Je m’habillai à la hâte et sortis derrière lui.

Il n’y avait pas de maison en face de notre porte, mais rien qu’une haie basse, percée par endroits, au-delà de laquelle un terrain en pente douce descendait vers la vallée. La brume enveloppait encore tous les objets, et l’on ne distinguait pratiquement rien à vingt pas devant soi. Nous marchâmes jusqu’à la haie et nous arrêtâmes.

« C’est ici, murmura-t-il en baissant la tête. Taisez-vous et écoutez ! »

Je tendis l’oreille, comme lui, et ne perçus rien d’autre que le souffle mystérieux de la nuit. Au bout de quelques minutes d’immobilité, je m’apprêtais à rebrousser chemin…

« Ilioucha ! » entendis-je chuchoter derrière la haie.

Je regardai Teglev ; il semblait n’avoir rien entendu et continuait de baisser la tête d’un air mélancolique.

« Ilioucha !… Ilioucha !… » La voix était encore plus distincte, une voix de femme.

Nous tressaillîmes tous les deux et nous entre regardâmes.

« Eh bien, murmura mon compagnon, vous n’en doutez plus, à présent ?

— Attendez, lui soufflai-je ; cela ne prouve rien… Voyons s’il n’y a personne derrière la haie… Peut-être un plaisantin… »

Je sautai par-dessus la barrière et m’avançai dans la direction d’où la voix m’avait semblé provenir.

Je sentais sous mes pas une terre molle, meuble ; les longues traînées des plates-bandes allaient se perdre dans le brouillard. J’étais dans un potager. Rien ne bougeait autour de moi. Tout semblait mort dans les chaînes du sommeil. Je fis encore quelques pas.

« Qui est là ? » criai-je, comme Teglev.

« Prrrr ! » Une caille s’envola juste sous mes pieds ; je me rejetai de côté, malgré moi… Quelle bêtise !

Je regardai en arrière. Teglev était resté à la même place. Je l’y rejoignis.

« Vous appelez en vain, souffla-t-il, cette voix nous a… m’a appelé de loin…, de très loin… »

Il passa la main sur son visage et rebroussa chemin à pas lents. Ne voulant pas m’avouer vaincu, je retournai au potager. Quelqu’un avait crié « Ilioucha ! » à trois reprises, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute : une voix plaintive et mystérieuse… Mais qu’en savais-je ? Peut-être la raison en était-elle aussi simple que celle du bruit qui avait ému mon compagnon ?

Je marchais le long de la haie, m’arrêtant par moments, l’œil aux aguets. Un saule échevelé poussait tout contre notre baraque ; il se profilait comme une énorme masse noire au milieu de la brume blafarde et aveuglante. Tout à coup, il me sembla que quelque chose de vivant remuait au pied de l’arbre. Je me ruai en avant, en hurlant : « Halte ! Qui va là ? »

Un pas léger, comme celui d’un lièvre frôlant le sol, une silhouette humaine s’évanouit, effarouchée, courbée en deux — homme ou femme ?… Je voulus l’étreindre, mais titubai, m’étalai tout de mon long dans les orties et me brûlai la face.

En me relevant, je sentis quelque chose de dur sous la main ; c’était un peigne de cuivre, attaché à un lacet, comme nos paysans en portent à la ceinture. Après cela, mes investigations demeurèrent vaines et je m’en retournai dans la chaumière, les joues en feu.

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