N’arrivant pas à m’endormir, je l’entendais remuer dans son coin. Étaient-ce ses récits ou l’étrangeté de cette nuit qui m’avaient mis les nerfs à nu, mais le sommeil me fuyait obstinément et je restais étendu, les yeux ouverts, réfléchissant à Dieu sait quoi, à des bagatelles plus futiles les unes que les autres, comme cela se produit toujours quand l’insomnie vous obsède.
En me retournant d’un côté sur l’autre, je tendis les bras en avant… Mon doigt heurta une poutre. On entendit un bruit faible, sourd et prolongé : j’avais dû tomber sur un creux.
Je recommençai, à dessein cette fois-ci. Le bruit se répéta. J’insistai… Tout à coup, Teglev releva la tête.
« Riedel, chuchota-t-il, entendez-vous frapper sous la fenêtre ? »
Je feignis de dormir, éprouvant une soudaine envie de jouer un tour à mon « fatal » ami. De toute façon, le sommeil ne venait pas.
Il reposa la tête sur son oreiller. J’attendis un moment et frappai trois coups consécutifs.
Teglev se souleva de nouveau, dressa l’oreille.
Je recommençai. Il faut vous dire que je lui faisais face, mais qu’il ne pouvait pas voir mon bras, car je le dissimulais derrière moi, sous la couverture.
« Riedel ! » s’écria Teglev.
Je ne répondis pas,
« Riedel ! fit-il plus fort… Riedel !
— Hein ? Qu’y a-t-il ? proférai-je d’une voix ensommeillée.
— N’avez-vous pas entendu ? Quelqu’un frappe sous la fenêtre… On dirait qu’il voudrait entrer…
— Bah… un passant…
— Il faut lui ouvrir la porte… Il faut voir qui il est… »
Je ne répondis plus rien et affectai de dormir. Des minutes passèrent… Je récidivai…
« Toc… toc… toc ! »
Teglev se mit sur son séant et dressa l’oreille.
« Toc… toc… toc ! Toc… toc… toc ! »
À travers mes paupières à moitié ouvertes, je pouvais observer tous ses mouvements, à la lumière blafarde du clair de lune. Il se tournait, tour à tour, vers la porte et la fenêtre. Effectivement, il était difficile de déterminer d’où venait le bruit : il semblait glisser tout autour de la chambre, voler le long des murs. Sans le vouloir, j’avais mis le doigt sur un foyer acoustique.
« Toc… toc… toc ! »
« Riedel ! hurla enfin Teglev… Riedel !… Riedel !…
— Qu’y a-t-il ? fis-je, en bâillant.
— Est-ce que vous n’entendez pas ?… Il y a quelqu’un qui frappe !
— Que Dieu le garde ! » répondis-je en feignant de dormir et même de ronfler…
Teglev se calma.
« Toc… toc… toc ! »
« Qui est là ?… Entrez !… » cria mon compagnon.
Point de réponse, bien entendu.
« Toc… toc… toc ! »
Teglev sauta hors de sa couche, ouvrit la croisée, se pencha au-dehors et demanda d’une voix étranglée :
« Qui est là ? Qui est-ce qui frappe ? »
Puis il ouvrit la porte et répéta sa question. Un cheval hennit au loin.
Le sous-lieutenant se recoucha…
« Toc… toc… toc ! »
Teglev se retourna en sursaut et s’assit sur son lit.
« Toc… toc… toc ! »
Il se chaussa prestement, jeta son manteau sur ses épaules, décrocha son sabre pendu au mur, sortit dehors, fit deux fois le tour de la chaumière.
« Qui est là ? Qui est-ce qui frappe ? » l’entendis-je demander à plusieurs reprises.
Puis il se tut, se tint coi quelque temps, revint dans la chaumière et se coucha tout habillé.
« Toc… toc… toc ! recommençai-je. Toc… toc… toc ! »
Teglev ne faisait plus un mouvement, se contentant d’écouter, le menton appuyé sur son poing fermé.
Voyant que cela ne prenait plus, je fis semblant de m’éveiller au bout de quelque temps, et dévisageai mon compagnon en jouant la surprise.
« Est-ce que vous êtes sorti ? lui demandai-je.
— Oui, convint-il d’un air détaché.
— A-t-on frappé de nouveau ?
— Oui.
— Vous n’avez vu personne ?
— Non.
— Et le bruit a cessé ?
— Je l’ignore. À présent, cela m’est égal.
— À présent ? Pourquoi cela ? »
Point de réponse.
Je me sentis légèrement honteux et dépité. Néanmoins, je n’osai pas lui avouer ma facétie.
« Je vais vous dire une chose, commençai-je : vous êtes le jouet de votre imagination. »
Il fronça les sourcils.
« Ah !… vous le croyez…
— Vous me dites que vous avez entendu frapper à la porte.
— Et autre chose aussi, m’interrompit-il.
— Quoi donc ? »
Il se pencha en avant et se mordit les lèvres, hésitant visiblement à parler…
« On m’a appelé, murmura-t-il enfin en se détournant.
— On vous a appelé ?… Mais qui donc ?…
— Une… un être que je croyais mort… À présent, j’en suis certain.
— Ce n’est que votre imagination, je vous le jure ! m’écriai-je aussitôt.
— Mon imagination ?… Ah ! oui, vous croyez cela… Voulez-vous une preuve ?
— Oui.
— Eh bien, sortons. »