XI

Nous restâmes silencieux une bonne quinzaine de minutes. Ses yeux erraient dans le vague ; je le dévisageai intensément et m’aperçus que les cheveux, sur son front, se soulevaient et frisaient curieusement. De l’avis d’un médecin-major qui avait soigné de nombreux malades, cet indice était le symptôme certain d’une forte fièvre cérébrale… Je songeai de nouveau, qu’effectivement peut-être, cet homme était le jouet du destin et que ses camarades n’avaient pas eu tort de lui attribuer un caractère fatal. En même temps, je le condamnais, en mon for intérieur. « Une petite bourgeoise, persiflai-je… Comme si, toi, tu étais un aristocrate ! »

« Vous me condamnez certainement, Riedel, commença Teglev, comme s’il avait deviné mes pensées. Je suis très… affecté… Mais que dois-je faire ? Que dois-je faire ? »

Il appuya son menton sur la paume de sa main et se mit à mordiller les ongles larges et plats de ses doigts courts, rouges et durs comme du fer.

« Il me semble que la première chose à faire est de vérifier vos suppositions… Il se peut que votre amante soit encore en vie. » (« Vais-je lui avouer d’où venait le bruit ? me dis-je un instant… Non… plus tard ! »)

« Elle ne m’a pas écrit une seule fois depuis que je suis ici, observa Teglev.

— Cela ne prouve rien. »

Il fit un geste évasif.

« Non, je suis certain qu’elle n’est plus… Elle m’a appelé. »

Tout à coup, il se tourna vers la fenêtre.

« On frappe de nouveau ! »

J’éclatai de rire, malgré moi.

« Ah ! non, cette fois-ci ce sont vos nerfs. Je ne vous crois plus… Voyez plutôt, il commence à faire jour ; le soleil va se lever dans une dizaine de minutes — il est 3 heures passées —, et les fantômes ne se promènent jamais en plein jour, à ce que je sache. »

Teglev me regarda d’un œil sombre, se jeta sur sa couche et me tourna le dos, avec un « Adieu ! » grommelé entre ses dents.

Je me couchai également, me demandant, avant de m’endormir, quel besoin il avait eu de faire allusion à un suicide possible de sa part… Poseur, va !… Tu ne l’as pas épousée, alors que cela ne dépendait que de toi, et à présent tu songes à te tuer ! Quelle niaiserie ! Quelle infâme comédie !

Je m’endormis profondément. Quand je rouvris les yeux, le soleil brillait haut. Teglev n’était plus là.

Son domestique m’expliqua qu’il était parti pour la ville.

Share on Twitter Share on Facebook