XV

Je vous épargnerai le récit de nos pérégrinations. Nos lanternes ne nous étaient d’aucun secours, car elles n’arrivaient pas à dissiper la pénombre blanche et molle qui nous entourait. Nous nous perdîmes à plusieurs reprises, et pourtant nous lancions de fréquents appels.

Je criais :

« Teglev !… Ilia !… Teglev !… »

Et Simon me répondait, en écho :

« Monsieur Teglev !… Votre Excellence !… »

La brume nous abrutissait ; nous marchions en titubant, comme dans un rêve, rapidement enroués, car l’humidité pénétrait au plus profond du gosier. Nous finîmes pourtant par nous retrouver près de la chaumière, grâce aux bougies allumées aux croisées. Nos recherches conjuguées n’avaient abouti à aucun résultat, car nous ne faisions que nous entraver réciproquement. Je proposai de nous séparer et d’aller chacun de notre côté.

Simon tourna à gauche, je pris à droite et cessai bientôt d’entendre le son de sa voix. Le brouillard semblait avoir pénétré jusque sous mon crâne. Je marchais, obnubilé, et lançais un appel de temps à autre :

« Teglev !… Teglev !…

— Présent ! » entendis-je tout à coup.

Dieu, quel soulagement !… Je me précipitai dans la direction d’où venait la voix… Une silhouette noire apparut à quelques pas devant moi… Enfin !

Seulement, ce n’était pas Teglev, mais un autre officier de la même batterie que lui, nommé Telepnev.

« Est-ce vous qui m’avez répondu ? lui demandai-je.

— Est-ce vous qui m’avez appelé ? répliqua-t-il.

— Non, j’ai appelé Teglev.

— Teglev ? Mais je viens de le rencontrer !… Quelle nuit idiote !… Pas moyen de rentrer chez soi !

— Vous avez vu Teglev ? Où allait-il ?

— Là-bas, je crois… »

Il balaya la brume d’un geste évasif.

« … Mais on ne s’y reconnaît plus. Pourriez-vous me dire, par exemple, où se trouve le village ?… Moi, je ne compte plus que sur les aboiements des chiens pour me guider… C’est idiot !… Permettez-moi d’allumer ma cigarette… Ça éclaire tout de même un peu… »

L’officier avait l’air légèrement éméché.

« Est-ce que Teglev ne vous a rien dit ?

— Oh ! mais si, et comment ! « Salut, frère ! » que j’y ai fait… « Adieu, frère ! » qu’il me répond… « Adieu ? Pourquoi « adieu ? » « Ben, j’veux me tirer une balle « dans le ciboulot », qu’il a prétendu… Un vrai fada ! »

Cela me coupa le souffle.

« Vous dites qu’il…

— Un vrai fada ! » répéta l’officier en s’éloignant d’une démarche mal assurée.

Avant que j’eusse entièrement retrouvé mes esprits, j’entendis crier mon propre nom, à plusieurs reprises, et identifiai la voix de Simon.

Je répondis… il s’approcha de moi.

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