XXV Ouyayaïsafébobo

Bon, ben alors, qu’est ce qu’il fout le Dédé ? Il attend quoi pour me trucider ?… J’entrouvre un œil… il est toujours là, face à moi, le fusil-harpon dirigé vers ma poitrine, mais il a l’air un peu perdu, et marmonne des trucs incompréhensibles.

— Eh Professeur, quelque chose qui ne va pas ? C’est votre conscience qui vous taraude ? Vous avez décidé de m’épargner ? Je vous félicite, c’est une excellente décision. Vous ne le regretterez pas. Je peux me relever ?

— Hein ? Hmmm ? Quoi ?… Silence Troudic !!!! Vous ne bougez pas une oreille, compris ! Non, c’est juste que… nom de Dieu !… Mékeskimarive ?… Keskecekcetruk ?…

— Quel truc Dédé ?

— Hmmm ?… tournez tout doucement la tête sur votre gauche, monsieur Troudic, et dites-moi ce que vous voyez…

Heureusement que la lecture intensive des aventures de Sylvain et Sylvette m’a forgé des nerfs d’acier… Je tourne lentement la tête et découvre… Piou-Piou !… en train de se dandiner au milieu des plates-bandes, avec Michou, coiffé d’un petit chapeau de cow-boy, qui fait des cabrioles sur son dos !

— Alors, Troudic, qu’est-ce que vous voyez ???

— Heu, rien de spécial, Professeur, juste des mottes de terre qui terroient et des navets qui navoient…

— Vous êtes certain ? Regardez encore !!

Je tourne de nouveau la tête. Piou-Piou est à présent en train de jongler avec des picorettes, tandis que Michou, juché sur sa tête, fait un numéro de hula hoop avec un lasso.

— Alors, vous les voyez ??

— Heu… quoi donc Professeur ?

— Un canard en plastique avec un cornichon sur la tête en train de faire des numéros de cirque ! Ne me dites pas que vous ne les voyez pas !!

— Un canard en plastique et un cornichon… Vous m’en direz tant… Hmm… écoutez… il n’y a pas lieu de s’alarmer… ce n’est sans doute qu’un peu de surmenage… Ou peut-être avez-vous mangé un canapé avarié au bal de la Mairie ?

— Ça suffit, Troudic !!! Je ne suis tout de même pas fou !!! Tenez, regardez, voilà le cornichon qui se met à danser le french-cancan et le canard qui joue à saute-mouton avec un navet !! Vous les voyez, Troudic, hein, vous les voyez !!

Ce que je vois surtout, c’est que le professeur est en train de perdre pied. C’est le moment ou jamais… Je bondis sur lui et empoigne son fusil-harpon à pleines mains. Sous le choc, il lâche son arme, vacille et s’écroule au milieu des plates-bandes. Fébrilement, j’arrache un navet et lui en colle des grands coups dans la tronche… Il se débat comme un beau diable et tente de m’arracher les oreilles – je m’en fous, c’est pas les miennes. Tandis qu’il me balance des coups de genoux dans le ventre, je lui enfonce de toutes mes forces mon navet dans la bouche pour essayer de l’étouffer. Il devient livide, et commence à lâcher prise, mais d’un seul coup, je sens monter une terrible douleur de ma cuisse blessée qu’il martèle d’un poing rageur… Ça fait tellement mal que je tourne à moitié de l’œil… Il en profite et d’une secousse, parvient à me retourner et à s’asseoir sur moi… Puis il saisit un énorme caillou et le brandit au-dessus de sa tête pour me fracasser le crâne… Ce coup là, ça y’est, je suis mort… Soudain, on entend un sifflement – ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ – et un long serpent noir vient s’enrouler autour de ses mains. Il me regarde, stupéfait, les bras en l’air, incapable de bouger… Je tâtonne autour de moi… quelque chose de dur… le fusil-harpon ! Je m’en saisis, le pointe sur son ventre… « Tiens, Dédé… de la part de Ouin-Ouin !! », et TCHACK !!!!!…

L’espace de quelques secondes, il reste là, immobile, hébété… Un filet de sang se met à lui suinter aux commissures… Son regard se trouble… Il pousse un dernier soupir – OUYAYAÏSAFÉBOBO – puis s’affaisse lentement sur le côté et trépasse au milieu des navets.

Je relève péniblement la tête. Se détachant en ombre chinoise dans la lumière sépulcrale de la lune, les jambes légèrement écartées, un fouet à la main, Zorro est là, dressé devant moi, qui me regarde en souriant.

— Z… Z… Zorro !!!

Il s’approche lentement, s’agenouille, me prend dans ses bras, et me roule un merveilleux patin.

— Zé… Zé… Zéraldine !!!

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