IX Jus et pets

— Bonté divine, François !… mais qu’est-ce que tu fais là, couché devant la porte de mon office ?

Je tourne la tête et entrouvre péniblement un œil. Au fond du couloir, j’aperçois Peter Mac Roe qui se précipite vers moi.

— … Agaaaahaaa… Agaaaahaaa

— Qu’est-ce que tu dis François ? Mais ma parole… tu as une big bosse sur la tête… et du sang dans ton nose !…

— Peter… je… ouch !… je crois que… je me suis aussi… bousillé l’épaule…

— François… by the kilt of my uncle, m’expliqueras-tu ce qui s’est passé ?

— J’ai cru… qu’il t’était… arrivé quelque chose… Peter… j’ai frappé… je t’ai appelé… et comme tu ne… répondais pas… j’ai pensé que tu étais… blessé… ou mort… et j’ai décidé de défoncer… la porte… mais finalement… c’est la porte… qui m’a défoncé.

— Mais enfin François… pourquoi n’as-tu pas tout simplement ouvert la porte en tournant la poignée ?

— ……… Je n’y ai pas pensé… Peter.

— Ah François… je te reconnais bien là, toujours aussi impetious qu’à l’époque de la university… Allez, come on, je vais t’aider à te relever et on va aller prendre un drink dans mon office, ça va te remettre d’aplomb…

— Merci Peter, c’est pas… de refus. Mais dis-moi, pourquoi n’étais-tu pas dans ton bureau ?

— J’étais aux waters François. J’étais parti… dégobiller… Mais rentre et assieds-toi, je vais t’expliquer… Tu vois ce bocal ouvert à côté du téléphone ?

— Oui…

— C’est du juice d’holothurie.

— Du jus de quoi ?

— De l’holothurie, du concombre de mer si tu préfères. Quand ma secrétaire a téléphoné pour m’informer que tu étais là, j’étais en train de boire un petit whisky, et quand j’ai raccroché, au lieu de prendre mon verre, j’ai pris par inadvertance le bocal et j’ai bu le juice de cucumber. C’est vraiment… dégueulasse… et ça brûle terriblement… je me suis précipité aux waters pour vomir.

— Du jus de concombre de mer… pouah… mais, qu’est-ce que tu fais avec du jus de concombre de mer dans ton bureau ? Est-ce que c’est en rapport avec cette histoire dont on a parlé dernièrement aux informations ?

— Exactly François… nous avons un big problem en ce moment avec ces saloperies de cucumbers… Ils viennent s’échouer par milliers sur les plages de la région… on les enlève le matin et le lendemain… il y en a le double !… En pleine saison touristique, tu imagines le drame !… C’est une énorme catastrophe pour l’économie de Saint-Glinglin… Le maire, le préfet, tout le monde est très nervous… On nous a confié le soin de comprendre le pourquoi du comment de la raison de la cause du phénomène et de trouver rapidement une solution…

— Et… où en êtes-vous ?

— Ça avance plutôt bien… d’après les dernières analyses, il semble presque certain que les concombres se multiplient à cause des pets de lamantins.

— Des pets de lamantin ?

— Ça t’interloque hein ?… c’est vrai que les vaches de mer vivent généralement beaucoup plus au sud, mais depuis quelques mois, sans doute à cause de notre microclimat, un troupeau est venu s’installer dans la baie de Saint-Glinglin, et comme par hasard, c’est depuis leur arrivée que les sea cucumbers se sont mis à proliférer. Le professeur Michel-André Nieux, qui dirige les recherches dans notre laboratoire, est pratiquement certain que ce sont leurs prouts qui ont déclenché ce fléau.

— C’est vraiment passionnant Peter, mais heu… quel rapport avec ma présence ici ?

— J’allais y venir François… ça ne fait que deux semaines que j’ai été nommé directeur de ce centre, suite au malheureux accident dont a été victime Jethro Lapoisse, mon prédécesseur. Un matin, en descendant au sous-sol pour inspecter les aquariums, il a malencontreusement glissé sur une méduse et est tombé la tête la première dans le bassin des barracudas. Une vraie boucherie… sa veuve n’a pu l’identifier que grâce à ses boutons de manchettes. On m’a donc envoyé pour le remplacer… et dès le lendemain de mon arrivée, quelqu’un a commencé à coller des post-it un peu partout où j’allais… sur la porte de mon office, sur le dossier de mon fauteuil, sur ma bouteille de whisky, sur la selle de ma mobylette, sur mon rond de serviette à la cantine… on en a même collé un sur mon front pendant que je faisais la sieste… avec à chaque fois des messages de plus en plus menaçants… Tiens, wait a minute, ils sont là dans mon tiroir, je vais te montrer…

« Retourne chez ta mère »

« Sale british, occupe-toi de tes miches »

« Feuking bassetarde »

« Mac Roe, tu f’ras pas d’vieux os »

« Les barracudas raffolent du rosbif »

… Alors François, tu comprends à présent pourquoi je suis si inquiet… Quelqu’un me veut du mal et je n’ai aucune idée de qui ça peut être… Vendredi, j’étais vraiment à bout de nerfs et c’est pour ça que je t’ai appelé… J’ai suivi tes exploits lors de l’affaire Marcel Lanchois, la façon extraordinaire dont tu as démantelé ce gang de trafiquants de boîtes de conserves… vraiment… c’était brillant !… et puis tu es la seule personne que je connaisse dans la région… Alors je t’en prie, François… please… il faut que tu m’aides à démasquer le coupable.

— Écoute Peter, je crois que tu te fais du souci pour rien, à mon avis, c’est juste quelqu’un qui s’amuse à te faire une blague… une sorte de bizutage de bienvenue… Après, savoir qui… combien de personnes travaillent avec toi au centre ?

— Nous sommes cinq en tout. Il y a notre réceptionniste, Mlle Flétan, que tu as vue en arrivant, le professeur Michel-André Nieux, qui dirige notre laboratory, et ses deux assistants… mais come on, le plus simple, c’est encore que je te les présente, ils sont justement au sous-sol en train d’analyser des concombres, et puis comme ça j’en profiterai pour te faire visiter nos installations.

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