XXIV Lapin, tu râles haut

Pas facile de courir, déguisé en lapin et la cuisse en vrac. Avec l’énergie du désespoir, je remonte à toutes jambes le boulevard Edmond Gerbillon, m’engouffre dans la rue du Labrador… Un rapide coup d’œil derrière moi… Le Professeur Nieux est déjà sur mes talons. Je tourne dans la rue Edgard Gamelle, me heurte à un réverbère, et m’étale de tout mon long contre une poubelle… TCHACK !!… Une flèche vient se planter juste entre mes jambes. Je me relève à toute vitesse et me remet à cavaler… Le temps que le professeur récupère sa flèche et réarme son fusil, je parviens à reprendre un peu d’avance… Je tourne à droite, puis à gauche, m’engouffre dans une ruelle, débouche sur un chemin communal et continue à galoper de toutes mes forces… Les maisons sont de plus en plus espacées, remplacées progressivement par une succession de prairies et de champs… Derrière moi, j’entends toujours claquer les mocassins du professeur Nieux sur l’asphalte mouillé… Presque à bout de force, je repère un petit chemin de terre menant à une vieille grange… Je m’y précipite… Un tracteur rouillé, quelques clapiers désaffectés… Rien à faire, pas le moindre endroit pour se cacher… Je ressors… et m’arrête net. La silhouette menaçante du professeur Nieux se dresse devant moi.

— Alors… mon lapin… On aime gambader au clair de lune ?

Dans un ultime effort, je bondis sur le côté… TCHACK !!! La flèche vient se ficher juste entre mes oreilles. Le temps que le Professeur l’arrache de la porte de la grange, je saute par-dessus une barrière et me retrouve dans un champ de navets… J’essaie encore de courir, mais ma cuisse me fait terriblement souffrir, je boite de plus en plus… Mes dernières forces m’abandonnent, je titube, trébuche et m’écroule comme une masse entre les mottes détrempées. Ce coup là, je n’ai plus le courage de me relever.

Péniblement, je tourne la tête. Dans la lumière blafarde, le professeur se tient là, campé au-dessus de moi, le visage déformé par un affreux rictus.

— Mon cher monsieur Troudic, on peut dire que vous m’avez bien fait courir… Vous êtes un lapin courageux, c’est très bien, je vous félicite… Mais cette fois-ci, la récréation est terminée ! Dommage pour la petite mise en scène que j’avais prévue à l’Institut, mais après tout, un gros lapin rose mort d’une indigestion au milieu d’un champ de navets, ça n’est pas mal non plus. Allez mon garçon, finissons-en, j’ai été ravi de vous connaître.

Lentement, il pointe son fusil sur ma poitrine et pose le doigt sur la détente. Je voudrais dire quelque chose, essayer de gagner du temps, mais je ne parviens qu’à émettre un pitoyable râle… nnaaaaaaann… Ce coup là, c’est fini. Je ferme les yeux. Adieu monde cruel…

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