CHICAGO, ILL.

La règle, à Saint-Agil, était que toute missive, qu’elle partît pour l’extérieur ou en arrivât, passât par les mains, c’est-à-dire sous les yeux du directeur. À la vue de ce message insolite, M. Boisse ne fut pas sans sourciller. Néanmoins, ne le jugeant pas subversif, il le laissa parvenir au destinataire.

C’était justement l’heure de la récréation.

Des petits faisaient de la barre fixe au bras, raidi dans le vide, de M. Mirambeau.

La longue face de Macroy sembla s’allonger encore. Un voile passa devant ses lunettes cerclées d’écaille ; il essuya ses verres.

– Non ! Sans blague ! Ça, alors, ça m’en bouche une surface !

Dix fois, il relut : « 24 juin. Chiche Capon ! » Il examina la carte : « Vue d’un abattoir, Chicago, Ill. »

Dix fois il étudia, avec des yeux qui semblaient avoir acquis soudain les propriétés puissantes des loupes, le cachet de la poste en caractères gras sur le timbre : Jun. 24. 2. P. M. Chicago, Ill.

Un sentiment complexe, dont Macroy ne savait démêler au juste s’il était fait d’une joie intense ou d’une accablante humiliation, mais qui était, en tout cas, d’une extrême violence, s’était emparé de l’élève. Un vrai coup de massue, un ahurissement subit, total, impérial.

Mathieu Sorgues avait réussi à aller là-bas…

Une chaleur dilatait la poitrine de Macroy. Des sensations ayant la densité de buées, des sensations oppressantes, telles que de lourdes vapeurs, l’envahissaient tandis que le sang se bousculait dans ses artères, cognait avec brutalité à ses tympans et contre les parois de son crâne ; une émotion cheminait en lui, s’élevait, gagnait la gorge, une extraordinaire marée sentimentale dont il lui était impossible de déterminer par avance si, lorsqu’elle déferlerait, elle se traduirait par un rire énorme, triomphant, ou par un battement de paupières, un tremblement des ailes du nez, un reniflement, une grimace, une petite pointe de sel à la commissure des lèvres, et le geste furtif d’écraser une pauvre larme d’humiliation et de jalousie puériles !

Chicago… Les abattoirs… Milliers et milliers de porcs égorgés, échaudés, découpés, débités en quelques minutes… Gratte-ciel… Ascenseurs-bolides… Compounds… Chewing-gum… Cigares entre des dents d’or…

– Tu veux mon poing sur le nez ? Tu le veux, mon poing ? Mouchard ! Fouine !

– Non mais, dis ! répliqua une voix geignarde. Ah ben, tout de même alors ! Qu’est-ce que je lui ai fait à celui-là ? Qu’est-ce que je t’ai fait, moi ? Je te dis rien ! La cour est à tout le monde !

C’était le Cafard, qui rôdait, obscurément conscient du trouble de Macroy, informé par ses antennes spéciales de l’intérêt exceptionnel de cette carte postale, et qui aurait voulu savoir.

– Écoute, Fermier ! C’est pas le moment ! Débine-toi en vitesse, ou je te…

L’autre recula effrayé. Mais ce rectangle de carton, cette carte postale dont la colère même de Macroy révélait l’importance, le fascinait.

– Non, mais ! Qu’est-ce que je t’ai fait ? Je t’ai rien dit !

Exaspéré, Macroy bondit sur lui, le frappa à l’épaule. Le Cafard glapit en faisant un saut de côté et en se couvrant le visage du coude.

– Sale brute !

– Macroy, vous serez consigné à la prochaine promenade.

M. Planet venait de surgir, – du sol même de la cour, eût-on dit.

– Faites des excuses à votre camarade.

Le Cafard s’était rapproché, obliquement. Une félicité sans mélange l’emplissait. Privé de promenade, Macroy ! Bien fait ! Et des excuses qu’il devait lui faire, maintenant, à lui, Fermier, pour le coup de poing ! Ça l’apprendrait !

– Vous avez entendu, Macroy ! Excusez-vous de votre geste brutal auprès de votre camarade.

Macroy secoua le front rageusement.

– Vous refusez ? Vous savez que vous vous mettez dans un cas de renvoi. Prenez garde !

– Fermier m’a provoqué, monsieur. Il m’espionnait. Il espionne tout le monde. Je lui ai dit de me laisser. Il a continué.

– C’est pas vrai, m’sieur ! Je l’espionnais pas, m’sieur !

M. Planet savait que Philippe Macroy disait la vérité ; que Fermier mentait ; qu’il espionnait. Et M. Planet, grand espion de Saint-Agil, – pour le bon motif, – n’aimait pas les « cafards ».

– Vous pouvez aller, Fermier.

Le Cafard s’éloigna.

– Dites-moi que vous regrettez votre acte, Macroy.

– Je le regrette, monsieur.

– Bien.

Le préfet de discipline appuya son regard doux sur le visage incliné de l’élève.

– Vous serez privé de promenade, mais je ferai en sorte que l’affaire n’ait pas d’autres suites.

– Merci, monsieur.

– Vous pouvez aller, Macroy.

Macroy chercha des yeux son copain Baume. Il marmottait :

– Consigné ! Ce que je m’en balance ! Et même le renvoi, je m’en balance ! De tout, que j’me balance ! De tout !

C’était vrai. Comment le numéro 22 ne fût-il pas demeuré indifférent à tout, alors que Mathieu Sorgues, le numéro 95, l’un des trois membres des Chiche-Capon, avait réussi le grand raid qui était à la base de l’association ! En regard de cet exploit, rien ne comptait plus.

– Tiens, lis !

– Ah ! mince ! Il est à Chicago ! Ça me la coupe !

– Et à moi, donc ! Je vais me remettre dare-dare à la liste du bagage indispensable. Ça devient urgent. Nous allons sûrement recevoir une lettre de Sorgues avec des renseignements détaillés et des instructions pour le rejoindre.

– Au fait, Mac, c’est à toi seul qu’il a écrit, observa soudain Baume avec une nuance d’amertume.

– Tiens, oui ! fit Macroy.

Il réfléchit une seconde.

– C’est-à-dire que… Il a dû t’envoyer une carte aussi, naturellement. Mais elle n’aura pas pris le même bateau… Elle va arriver.

– Oui. Tu as raison… Ça doit être ça…

Autour d’eux, par bandes, comme des moineaux, leurs condisciples se pourchassaient, criaillaient, se lançaient des défis :

– Chiche que tu ne le fais pas !

– Chiche que je le fais !

Macroy ni Baume n’y prêtaient aucune attention. Ils ne voyaient, n’entendaient rien. En pensée, ils étaient loin, très loin, dans une ville monstrueuse pleine de cris de porcs, où chaque citoyen avait une face de tueur, une ville qui n’était tout entière qu’un abattoir fabuleux.

– À propos, le père Boisse n’a rien dû y comprendre, à cette carte. Tant qu’à lui, on s’en fiche. Mais M. Sorgues ? Il est très inquiet, à ce qu’il paraît. Tu ne crois pas qu’on devrait expliquer au père Boisse que c’est Sorgues qui a écrit ? Ou peut-être qu’on pourrait informer nous-mêmes M. Sorgues ?

– Laisse donc, conclut Baume après mûre réflexion. Premièrement : Ou bien – et c’est le plus probable, – Sorgues a envoyé des nouvelles à son père en même temps qu’à nous, ou il ne l’a pas fait. S’il l’a fait, inutile de nous en occuper. S’il ne l’a pas fait :

a) c’est qu’il a ses raisons et nous n’avons pas à aller contre ;

b) écrire nous obligerait à révéler l’existence de l’association des Chiche-Capon et son programme ;

c) cela ne pourrait que nous attirer des ennuis.

« Deuxièmement, en admettant que…

La cloche sonna. De tous les points de la cour, les collégiens se ruèrent vers le perron, devant lequel se formaient les rangs.

Tout en galopant, Macroy jeta à son camarade :

– D’accord. J’enfermerai la carte dans le coffre et motus jusqu’à nouvel ordre.

– All right !

En salle d’étude, Macroy fit passer, de main en main, un billet à Baume.

« Hello, boy ! En récré, j’ai oublié de te dire : je serai consigné, pour la promenade de jeudi. J’ai collé un marron au Cafard qui tournait autour de moi pour voir d’où venait la carte postale et le préfet m’a chopé. Tant pis ! Longue vie et dollars !

« P -S. – S’il te reste une tablette de chewing-gum, pense à moi ! »

Par le même chemin, la réponse arriva sans tarder :

« Well ! Vieux Mac ! Je m’arrangerai pour me faire porter malade ou être consigné aussi pour la promenade et on discutera de l’affaire. Longue vie et bank-notes !

« P.-S. – En fait de chewing-gum, rien à chiquer ! J’en rachèterai après le réfec. »

Au cours de cette étude, Baume et Macroy demeurèrent penchés une bonne partie du temps sur la carte des États-Unis que chacun d’eux gardait dans son pupitre, à côté des prospectus des grandes compagnies de navigation, en sandwich entre un indicateur Chaix et un catalogue de la Manufacture Française d’Armes et Cycles de Saint-Étienne. Ils ne pouvaient détacher leurs regards de ce petit rond, posé au bord du lac Michigan, et qui représentait une ville géante… La ville où le numéro 95, premier des Chiche-Capon, circulait, à l’heure qu’il était, glorieusement coiffé d’une casquette qu’il mettait à l’envers, visière sur la nuque, porteur d’une cravate flottante, de chaussures jaunes et d’un pantalon qui tenait sans bretelles et, avec une politesse excessive et d’une voix mal assurée encore, pour sûr, mais avec un accent déjà amélioré, demandait son chemin aux policemen : « Please, sir, – Washington Avenue, – please, sir ? » en leur offrant des cigares !

Au réfectoire, ce soir-là, un élève de quatrième fit la lecture. Sa voix muait, sautant sans transition du grave à l’aigu, – il lisait mal, sans conviction.

« Pittsburgh.

« C’est la ville du fer, démesurée et fantastique. Enserrée entre deux larges fleuves, l’Alleghany et le Monongahela, qui, en réunissant ici leurs flots jaunes, forment l’Ohio… »

Baume et Macroy le trouvèrent horripilant. Aussi bien, le Huret avait-il cessé de les intéresser. Comme matière à rêveries et sujet d’excitation, ils avaient mieux à présent : la carte postale merveilleuse qui portait, imprimé à l’encre grasse, ce cachet : Jun. 24. 2. P. M. Chicago. Ill.

Pendant la nuit, le numéro 22 se rendit à la classe de sciences et consigna, en un fier procès-verbal, l’événement historique, puis enferma dans le coffret la carte postale et le document.

Lorsqu’il eut regagné son lit, il se tourna et retourna longtemps, faisant des sauts de carpe, cherchant vainement le sommeil. Deux phrases qu’il avait lues dans le Petit Larousse Illustré le hantaient : « Chicago – sur le lac Michigan et sur la rivière de Chicago. Immense commerce des produits de l’Ouest américain : blé, bestiaux, viandes… »

Ces phrases ne cessaient de s’imprimer dans son cerveau, fulgurantes, phosphorescentes, à la manière de deux enseignes lumineuses, de couleurs différentes, – l’une bleue, l’autre rouge – qui se succéderaient avec une rapidité et une régularité implacables.

… Blé… bestiaux… viandes… Sur la rivière de Chicago… Immense commerce…

De loin en loin, un élève poussait un grand soupir, rêvait tout haut.

Sous le crâne de Macroy, exaspérante, hallucinante, cette alternance en coup de fouet : feu rouge, – feu bleu, – feu rouge, – feu bleu…

Viandes salées… Huile… Chicago sur le lac… Produits de l’Ouest… Viandes…

M. Mirambeau ronflait. Autour de la pension grise s’étendait le sommeil de la ville, attendrissante avec ses petites places, ses petites rues, ses petites boutiques et sa cathédrale énorme. Un long cri traversa la nuit… Un express… La voie ferrée décrit là une courbe, la plus raide du réseau. Tous les grands trains crient en abordant la courbe.

… Ouest américain… Blé, bestiaux… Chicago… Blé, bestiaux… Chicago…

L’horloge marqua trois heures.

Le numéro 22 pressait à deux mains son front brûlant sous lequel des mots couraient, flambaient, mouraient, éclataient, se poursuivaient, se chevauchaient, en accélération constante, perdant toute suite, tout sens…

… Blé, bestiaux, Chicago, blé, bestiaux, sur le lac, huile, huile, huile, Chicago, Chicago, Chicago…

Au matin, lorsque grinça la crécelle, Philippe Macroy s’éveilla rompu.

*

Une odeur d’encre flottait dans la salle d’études.

M. Mirambeau, chargé de l’étude du soir, rédigeait une lettre circulaire destinée à être polycopiée et envoyée à d’anciens élèves de la pension.

« Cher Camarade,

« Vous n’avez pas oublié combien fut gaie et pleine d’entrain la dernière réunion des « Anciens de Saint-Agil ». Depuis, les nécessités de la vie nous ont éloignés, aussi chacun réclame de se retremper dans une atmosphère de franche et joyeuse camaraderie.

« Notre prochaine réunion se tiendra le samedi 15 juillet.

« Prenons date et répondons tous : « Présent ! » Vous serez bien aimable de nous faire savoir en temps utile si nous pouvons compter… »

M. Mirambeau s’interrompit pour lever la tête et fixer longuement un point de la salle. Du bout de son porte-plume, il appliqua deux coups secs sur le rebord de sa chaire.

– Macroy ! Apportez-moi ce papier !

– Ça y est ! se dit Baume avec un frémissement. Le vieux Mac s’est fait « poirer » par l’Œuf.

Les doigts de Macroy se crispèrent sur un feuillet. L’élève était devenu très rouge.

– Eh bien ? Qu’attendez-vous ?

Macroy retira ses longues jambes de dessous son pupitre. À la dernière seconde, il tenta une habile manœuvre de substitution. Mais M. Mirambeau veillait.

– Non, non ! J’ai dit : ce papier. Pas celui-là ! Celui-ci, oui ! Apportez ! Et, tant que vous y êtes, apportez-moi donc aussi ce livre que vous cachez derrière votre dictionnaire latin et qui semble vous intéresser bien davantage !

Il fallait s’exécuter. Philippe Macroy vint tendre avec une répugnance visible les objets désignés.

Le « livre » n’était autre que le catalogue de la Manufacture d’Armes et Cycles de Saint-Étienne.

M. Mirambeau jeta un coup d’œil sur la feuille de papier. Macroy, d’une écriture droite, y avait écrit :

BAGAGE INDISPENSABLE POUR L’EXPÉDITION

« 1 costume de chasse. Culotte deux poches revolver. Guêtres. »

En marge, M. Mirambeau déchiffra cette note :

« Valable pour le numéro 7 seulement. Moi, j’ai mon costume de velours.

« 1 Macfarlane. Modèle dit : Le Pratique. Absolument imperméable.

« 1 paire de brodequins, triple semelle, type « spécial ».

« 1 pelote de ficelle.

« 1 paquet d’aiguilles.

« 1 bobine de fil bis.

« 5 paires de chaussettes solides. »

Cette mention avait été rayée. M. Mirambeau lut, en regard :

« 2 paires suffiront. Éviter de s’encombrer.

« 1 couteau modèle 17 891. Neuf pièces ; dix usages.

« 1 briquet à amadou.

« 1 montre à boîtier protecteur.

« 6 boîtes de corned-beef. »

Cette mention également avait été rayée. En regard, M. Mirambeau put lire :

« Superflu. On s’arrangera avec le chef cuisinier du bord.

« 1 revolver, type le Policeman, neuf coups. »

Comme la précédente, cette mention était supprimée. Macroy avait écrit :

« Décidément, non ! Trop lourd ! Je pense qu’un browning… »

– Voilà donc, dit sévèrement le surveillant, à quoi vous perdez votre temps ! Au lieu de préparer vos examens de fin d’année, vous préparez du camping ou je ne sais quelle croisière ! Vous vous croyez en vacances, déjà ! Retournez à votre place !

Macroy ne bougea pas ; il regardait le surveillant avec l’air d’attendre, d’espérer quelque chose.

– Vous n’avez pas entendu ? Je vous ai dit de retourner à votre place.

Macroy, pourpre, avança timidement une main, en murmurant :

– S’il vous plaît, monsieur, mon catalogue ?…

– Je le confisque !

Un vif mouvement d’humeur échappa à l’élève : la punition ne tarda pas.

– Macroy, passez à la porte !

On perçut un ricanement étouffé : Hippolyte Fermier, le Cafard, n’avait pas « digéré » le coup de poing de la veille et se réjouissait, petit être haineux, de voir « son ennemi » en humiliante posture.

André Baume, qui avait suivi avec anxiété les phases de la mésaventure, repéra immédiatement le ricaneur. Leurs regards se croisèrent. Celui de Baume signifiait nettement :

– Toi, mon vieux, tu ne perds rien pour attendre !

Macroy, son long visage plus enflammé que jamais, sortit.

Machinalement, le surveillant ouvrit le catalogue confisqué. Au fond, M. Mirambeau était un tendre. Un « faible », comme bien des hercules. D’avoir à user de sévérité lui causait plus de peine que n’en donnaient aux élèves les punitions qu’il infligeait. Il fallait vraiment l’y contraindre. Mais l’enfance est sotte…

M. Mirambeau eût volontiers, pour lui épargner le « savon » du préfet de discipline et la mauvaise note, rappelé Macroy, si cela eût été possible : ce ne l’était pas !

Il feuilleta distraitement la table des matières, variées à l’infini, contenues dans le catalogue : Anches pour clarinettes, Antidérapant. Appareils grélifuges. Baignoires. Bols à barbe. Bouées de sauvetage. Carafes. Couvre-lits. Couvre-livres. Couvre-pieds. Écrins. Écrous. Éperons. Extenseurs.

– Tiens ! Extenseurs…

M. Mirambeau fit courir les feuilles. Page 416, il se plongea avec intérêt dans l’examen des modèles de développeurs transformables, crispateurs à ressort, bobines de force, haltères, cordes de traction, gueuses réglementaires d’athlétisme.

Du fond de la pièce arrivait un fracas de gros bouquins brassés sans ménagement. Les élèves de rhéto et de philo potassaient frénétiquement leurs traités ; la pensée du bachot ne les quittait pas, ne les quitterait plus jusqu’à la fin du mois.

Il y eut une série de bruits grêles : un élève de cinquième faisait claquer ses doigts. M. Mirambeau leva le front. L’élève désignait la sortie interrogativement, presque anxieusement. M. Mirambeau baissa le front en signe d’acquiescement.

Le gamin se précipita. On entendit, sur le sol dur de la cour, sonner ses semelles cloutées, dans sa galopade vers les cabinets.

Des hauteurs de l’immeuble descendaient, ouatés, les derniers échos d’une musique : ceux de la sixième venaient d’avoir leçon de chant dans la classe de sciences naturelles : on perçut le roulement de leur marche dans les couloirs.

M. Mirambeau, sur une feuille de papier, écrivait :

« 1 crispateur à ressort.

« 1 développeur transformable. »

Il raya cette mention et nota en regard :

« Pas indispensable. Celui que je possède peut encore aller. »

Notant des tarifs, examinant des figures, étudiant des notices explicatives, comparant, – exactement comme faisait Macroy un peu plus tôt, – M. Mirambeau, grand amateur d’exercices physiques, établissait, lui aussi, une liste de l’indispensable !…

– Mon cher enfant, disait à ce moment-là M. Planet à Macroy, je suis désolé de vous voir si peu soucieux de donner satisfaction à vos maîtres. Hier, je vous ai surpris frappant un camarade. J’ai été contraint de vous mettre en retenue de promenade. Vous vous êtes refusé à présenter des excuses à ce condisciple. J’aurais pu prendre des sanctions plus sévères, je ne l’ai pas voulu. Aujourd’hui, vous voici à la porte de l’étude. Vous me donnez sujet de regretter mon indulgence, et reconnaissez bien mal les sacrifices que s’impose pour vous M. Quadremare, votre bienfaiteur. C’est déplorable. Vous êtes un élève intelligent, vous devriez montrer l’exemple. Je vous engage à méditer très sérieusement l’avertissement que je vous donne et à vous ressaisir.

Le préfet de discipline consulta sa montre et, sur un bulletin, inscrivit l’heure : cinq heures cinquante-cinq.

Il apposa sa signature.

– Voici votre redeat. Vous pouvez aller.

Du regard, il suivit l’élève, le vit parvenir au croisement des deux galeries, prendre à gauche vers la salle d’étude, tourner l’angle. Il rentra dans son bureau avec un hochement attristé de la tête.

Tout comme il l’avait été lors de la disparition de Mathieu Sorgues, un peu plus de trois semaines auparavant, il était le dernier à voir, à Saint-Agil, l’élève n° 22, de la classe de troisième, nommé Philippe Macroy et dit : Phil Mac Roy.

Cette porte de la salle d’études vers laquelle se dirigeait le collégien, pourpre encore d’humiliation, front bas, dans le couloir désert, entre deux murs nus, et dont quatre mètres seulement le séparaient, Philippe Macroy ne devait jamais l’atteindre…

Share on Twitter Share on Facebook