LE MARCHAND DE POUDRE D’ESCAMPETTE

André Baume lisait une lettre :

« … Je suis petit, mais j’ai quinze ans. Je sais garder un secret ; je vous l’ai prouvé lors de l’affaire des bougies, cigarettes, etc. Qu’est-ce que je me suis fait passer par le père Planet, et puis chez moi, ensuite ! Mais ça ne compte pas. Si tu voulais… »

La pluie dansait sur les fenêtres, soutenant de son crépitement le bavardage des enfants dans la salle de jeux. Des élèves appuyaient leur visage aux vitres, contemplaient, qui les cours de récréations désertes, qui le parc où l’on voyait parfois s’élancer dans une allée un garçon des cuisines ou de l’infirmerie, un torchon ou un tablier sur la tête.

En raison du mauvais temps, ce dimanche-là, la promenade avait été supprimée.

Certains collégiens lisaient des récits d’aventures, d’autres jouaient aux dames, aux dominos, d’autres, groupés selon leurs affinités, bavardaient à mots couverts.

– Ils n’ont toujours pas découvert ce qui s’est passé dans la classe de sciences, l’autre nuit ?

– Paraît que le corps de M. Lemmel a été transporté à l’hôpital.

– Moi, à mon avis…

– Vingt-deux !

MM. Mirambeau et Benassis faisaient les cent pas. À leur approche, on détournait la conversation.

– Pendant les vacances, moi, je compte aller…

– Pour les examens, je parie que…

MM. Mirambeau et Benassis agissaient de même.

– Voyez-vous, mon cher ami, la question de politique extérieure…, disait M. Benassis.

Puis dès que les enfants ne pouvaient plus entendre :

– Vous croyez qu’ils vont faire l’autopsie ? questionnait M. Mirambeau.

Le billet que lisait André Baume avait été subrepticement déposé dans son pupitre par un camarade à l’issue de la séance d’instruction physique.

« … Je vois bien que, depuis le départ de tes amis Sorgues et Macroy, tu n’es plus comme avant. Je comprends très bien que tu ne sois plus comme avant. Mais, si tu voulais, on pourrait constituer une bande d’aventuriers. Tu serais le chef, je serais ton premier lieutenant. On en choisirait deux ou trois autres, comme soldats. Par exemple, Nercerot, de la quatrième, avec Vaudry, qui est dans ta classe, ou, encore, Desaint. On aurait des statuts, des règlements. N’oublie pas que je suis externe : je puis être très utile dans une association, à cause de tout ce que je peux amener de la ville. Et tu sais aussi que je ne suis pas capon et que, quand j’ai juré, j’ai juré… »

Le message était signé René Joly. André Baume le déchira en menus morceaux.

Une bande d’aventuriers !… Joly tombait mal ! Les bandes d’aventuriers, Baume sortait d’en prendre… La dispersion des Chiche-Capon avait pour ainsi dire marqué, pour le numéro 7, la fin d’une enfance que l’internat, peut-être, avait prolongée outre mesure.

Au surplus, Baume était sur la piste d’une aventure réelle autrement périlleuse et excitante que les exploits imaginaires rêvés par lui jusqu’à présent : le Mystère de la Croix grecque.

Le collégien avait reconstitué sur un nouveau carnet son rapport sur les disparitions insolites de Sorgues et Macroy, et la mort de M. Lemmel était venue renforcer ses soupçons.

Baume ne croyait pas à l’accident mais au crime.

M. Raymon, cet après-midi, quitta deux ou trois fois sa chambre pour monter au troisième. Sur le palier et dans les galeries, il méditait. Lui aussi était obsédé par la pensée du crime.

« C’est absurde ! Les escaliers étaient gardés. Fuite impossible ! Donc… »

Il avait beau se répéter cela, un instinct ne continuait pas moins à le pousser à remonter au palier du troisième, à arpenter les galeries.

Près de la fenêtre donnant sur les cours de récréation, une gouttière courait le long de la muraille. M. Raymon avait éprouvé cette gouttière : elle était solidement fixée ; il n’était pas nécessaire d’être grand gymnaste pour franchir par ce chemin les dix mètres séparant la fenêtre du sol.

Mais la fenêtre avait été trouvée fermée de l’intérieur…

La cloche sonna pour l’étude libre. Puis elle sonna pour le dîner.

Lecture de l’Histoire du Consulat et de l’Empire… Assiettes de salade mise à « cuire » dans les tiroirs.

Puis la cloche sonna pour le dortoir.

– C’est du douze demain matin au jus !

 

Le lendemain soir, peu après cinq heures, André Baume, en étude, apporta à se montrer dissipé une ostentation et une obstination étranges.

M. Mirambeau prit d’abord patience. Au bout d’un quart d’heure, il lui fallut cependant ordonner :

– Baume, cessez ces bruits avec votre couteau. Et cessez aussi d’agiter ce plumier !

Quelques secondes plus tard, Baume laissa tomber un compas, une gomme, feignit de les chercher sous des tables, provoqua du désordre, de l’hilarité.

Enfin, M. Mirambeau vint à lui et murmura :

– Baume… Vous en avez assez de la pension, n’est-ce pas ? Vous ne voulez même plus patienter jusqu’aux vacances ? Sachant que, pour vous, une mise à la porte de l’étude aurait le renvoi immédiat pour conséquence, vous cherchez à vous faire mettre à la porte…

Il fit deux ou trois pas, puis revint. Sa voix baissa jusqu’à devenir presque imperceptible.

– André Baume, je vous demande de ne pas me contraindre à vous mettre à la porte. Si vous tenez absolument à quitter Saint-Agil, il existe d’autres procédés, – plus loyaux…

Le numéro 7 fut touché.

Il n’avait pas osé avouer la vérité au surveillant. Ce n’était nullement dans le but de se faire renvoyer de la pension, bien qu’il acceptât de courir ce risque, qu’il avait cherché à être mis à la porte.

Il voulait se faire mettre à la porte parce qu’il allait être bientôt cinq heures et demie.

Depuis l’aube, André Baume n’avait pu penser qu’à la Croix grecque, au Mystère de la Croix grecque, et un plan s’était ébauché dans sa cervelle.

Réaliser, lui, troisième des Chiche-Capon, les conditions qui avaient précédé, pour Sorgues d’abord, puis pour Macroy, le déclenchement de l’Aventure, et voir s’il se passerait quelque chose.

En somme : devenir une sorte d’appât volontaire, quitte à s’en mordre cruellement les doigts par la suite. Ce mode d’investigation était, certes, puéril. Maintes fois, au cours de l’année scolaire, des élèves avaient été mis à la porte de l’étude par M. Mirambeau vers cinq heures et demie, sans qu’il en résultât rien de pire que le traditionnel « savon » de M. Planet.

Mais ils n’étaient pas des Chiche-Capon, eux. Et puis, quoi de mieux à tenter ?

Naturellement, il existait un moyen simple de quitter l’étude : lever le bras et faire claquer deux doigts : façon usuelle de demander la permission de se rendre aux cabinets.

Mais ce moyen ne plaisait guère au numéro 7 parce qu’il ne respectait pas ce qu’il avait appelé, dans son rapport, « la loi des similitudes ». Sorgues et Macroy avaient été mis à la porte. Peut-être ce processus avait-il son importance ? En tout cas, l’expérience ne pouvait être concluante qu’à ce prix.

Néanmoins, Baume hésitait. Il avait de l’affection pour l’Œuf et savait que l’Œuf le lui rendait. Il répugnait à lui causer de la peine. « Je vous demande de ne pas me contraindre à vous mettre à la porte… »

Sous-entendu : « Moi… moi, votre ami… »

Le collégien se tint tranquille quelques minutes. Il suivait avec impatience l’avance de l’aiguille des minutes sur le cadran de l’horloge.

Tout à coup, une idée plus étrange que toutes celles qui lui étaient venues jusqu’alors le frappa. « Je vous demande de ne pas me contraindre à vous mettre à la porte… » Est-ce que cette phrase ne pouvait pas signifier, dans la bouche de Mirambeau, plutôt que le souci d’éviter à Baume le renvoi de la pension, le désir de ne pas lancer dans l’aventure l’élève qu’il aimait ?

Mais alors, Mirambeau serait pour quelque chose dans l’affaire ? Il existait une bande et l’Œuf en faisait partie ? Baume repoussa cette folle hypothèse.

Elle revint. Mirambeau n’avait-il pas ajouté : « Si vous tenez absolument à quitter Saint-Agil, il existe d’autres procédés… »

Pourquoi tenait-il tant à ce que Baume n’usât pas de celui-là ?

Lentement, le soupçon faisait son chemin dans l’esprit de l’élève.

À la fin, Baume décida qu’il en aurait le cœur net.

Il jeta à terre deux énormes dictionnaires, fit sauter de l’encre sur le cahier de son voisin et, parce que celui-ci récriminait, il lui chercha querelle.

– Baume, passez à la porte, ordonna M. Mirambeau avec résignation.

*

Le numéro 7 se trouva sur la Croix grecque, comme l’horloge sonnait la demie après cinq heures.

À mi-chemin entre la porte de l’étude et l’intersection des deux galeries, il attendit.

Un garçon sortit du réfectoire. Baume, en dépit de ses efforts, ne put reconnaître dans son expression ni son allure quoi que ce fût d’équivoque. Si c’était lui, le marchand de poudre d’escampette, il cachait bien son jeu !

Au croisement des galeries, le garçon tourna à droite ; il se rendait à l’infirmerie sans doute, ou à la lingerie, ou chez le portier… Aucun intérêt !

Puis M. Boisse passa, rapide comme à son accoutumée. Baume s’était vivement tapi dans un angle : M. Boisse ne le vit pas et s’éloigna vers les cours de récréation.

Le garçon qui était sorti du réfectoire revint.

Après cela, la porte donnant sur le parc s’ouvrit, quelqu’un s’engagea dans le grand escalier, s’arrêta au premier devant la porte du directeur, frappa et, n’obtenant pas de réponse, redescendit. Baume l’entendit aller et venir au pied de l’escalier. Enfin, le personnage s’avança. Le numéro 7 reconnut M. Touttin, le professeur d’anglais.

Que venait-il faire ici ? Il avait l’air très agité. Il frappa à la porte de M. Planet. Baume surprit ce dialogue.

– Savez-vous où se trouve M. le directeur ?

– Non, ma foi ! Il n’est pas chez lui ?

– Il n’y est pas. J’aurais pourtant tenu à…

– Mais que se passe-t-il ? Vous me semblez…

– Il se passe que certains individus se livrent en ville depuis hier à des manigances que j’estime intolérables !

– Enfin, cher monsieur Touttin, précisez ! Je vous suis mal ! Quels individus ?

– Que sais-je ? Des espions !

M. Planet eut un haut-le-corps.

– Des espions ?

– Je veux dire : des gens qui espionnent. On m’épie, on épie ma mère, on questionne mon concierge, ma blanchisseuse, sur mes antécédents, ma moralité ! En quel pays vivons-nous ? J’en arrive à me demander si je suis le premier à lire mon courrier ? Notez que je ne suis pas seul à avoir à me plaindre. Mazaud, Cazenave, Darmion, tous les professeurs font l’objet d’une surveillance sournoise. Je serais désireux de savoir si M. Boisse est informé de cet état de choses.

– Des policiers, peut-être ? suggéra M. Planet.

– Des policiers ? Songerait-on à imputer à l’un d’entre nous la mort de Lemmel, à présent ? En ce qui me concerne, permettez-moi de vous dire, monsieur Planet, que moi, moi qui ai fait des conférences à Oxford en présence de…

– Eh oui ! Eh oui ! cher monsieur Touttin ! Je sais ! Qui penserait à vous suspecter ?

– Ces manœuvres louches me révoltent. Que l’on sonne carrément à ma porte et que l’on m’interroge tant que l’on voudra ! Je n’ai rien à cacher !

Il se retira, bouleversé. Lui non plus n’aperçut pas l’élève aux aguets près de la salle d’étude.

André Baume était dans la même situation d’esprit, à peu près, que cette fille soumise à laquelle la police londonienne, une nuit du début de ce siècle, avait donné mission d’errer aux abords de Holborn Square. Attentive aux bruits ouatés par le fog, grelottante de terreur, le cœur battant fort chaque fois que son ouïe décelait un pas masculin, ce n’était rien de moins que Jack l’Éventreur qu’attendait cette fille, appât offert au sadique criminel par les policemen embusqués sous les porches voisins. Jack l’Éventreur dont, à la fois, elle souhaitait, à cause de la récompense promise, et redoutait, à cause du péril, de voir surgir du brouillard la silhouette, et dont elle se figurait par avance entendre la voix mielleuse susurrer : « Bonsoir, ma toute belle ! On n’a donc pas peur, seule dans le noir ? », cependant que déjà, dans la poche de veste, les doigts de l’homme immonde se crisperaient sur le manche du couteau.

André Baume épiait les pas ; il attendait la venue de cet individu mystérieux, de cet extravagant marchand de poudre d’escampette dont il imaginait qu’un regard, un geste, un mot avaient suffi à précipiter dans une fuite panique Mathieu Sorgues, puis Philippe Macroy.

À cet adolescent de seize ans, chaque pas semblait être le « pas de Jack », chaque voix « la voix de Jack ».

Et rien ! Rien…

André Baume se rappela que, « selon la loi des similitudes », l’événement ne se produisait qu’après le passage chez M. Planet. Tel avait été, à deux reprises, l’itinéraire du Voyage de la Salle d’Études à l’Inconnu.

Il frappa à la porte du préfet de discipline.

– Monsieur, j’ai été mis à la porte de l’étude.

Cette fois, c’était le renvoi à coup sûr…

– Vous ? Vous, André Baume ?

– Oui, monsieur.

– Vous me décevez, Baume ! Vous me décevez profondément ! Onze jours seulement vous séparaient des vacances. Vous aviez une occasion de vous racheter, en une certaine mesure, par une conduite exemplaire. Et voilà que… Ah ! ce n’est pas bien, mon petit, ce n’est pas bien !

M. Planet prit un bulletin et nota, au crayon : « Cinq heures cinquante », puis il tendit le papier au numéro 7.

– Voici votre redeat. Rentrez en étude. Je veux vous donner une dernière chance. Je verrai M. Mirambeau ce soir. M. le directeur ne sera pas mis au courant. Vous savez ce qui se passerait sinon, n’est-ce pas ?… Je ne vous dirai donc qu’un mot : Dans onze jours, vous ne ferez plus partie de Saint-Agil ; ayez au moins, ne fût-ce que par amour-propre, la dignité d’en sortir honorablement.

Sur le seuil, le numéro 7, lèvres frémissantes, se tint hésitant quelques secondes.

Après M. Mirambeau, M. Planet… Baume éprouvait de l’humiliation. Il eût préféré les plus vertes semonces, à cette sorte de conspiration d’indulgence, à ces reproches désolés. Mais parler, révéler son secret, n’était pas possible.

– Vous pouvez allez, dit M. Planet.

André Baume referma la porte et revint prendre sa faction dans la galerie. Ses yeux demeuraient tournés vers le carré blanc dessiné par l’intersection des deux allées. Là était le lieu géométrique du mystère.

C’était là que, par deux fois, avait soufflé ce vent d’angoisse qui avait balayé Sorgues, puis Macroy, – Baume en était sûr.

Est-ce que le vent ne soufflerait pas une troisième fois, et le numéro 7 devrait-il, penaud, revenir s’asseoir à son pupitre, ouvrir ses manuels, ses cahiers, étudier les guerres de Napoléon, le mouvement romantique, la sphère, le cylindre, la pyramide ? Eh ! que lui importaient sphères, cylindres et pyramides, au regard de ce carré de deux mètres cinquante de côté, qui posait pour lui un problème, des x et des inconnues bien plus passionnants que tous les théorèmes d’algèbre et de géométrie ? Que lui importait le mouvement romantique au regard de ce que pouvaient offrir de romantique les faits qui s’étaient déroulés sur cette croix grecque ? Que pouvaient peser les guerres napoléoniennes au regard de la bataille sans échos qui avait dû, le 12 juin, puis le 9 juillet, se livrer au centre de la croix grecque ?

Soudainement, un dépit envahit André Baume, chèvre de M. Seguin dont le loup n’eût pas voulu. Il avait agi stupidement. Rien ne se passerait ; rien, jamais, ne s’était passé ici. Toutes ses déductions étaient fausses. Il n’y avait pas de Mystère de la Croix grecque.

Comme il allait enfin rentrer en étude, l’élève perçut un grincement. Cela venait de l’économat. M. Donadieu parut, s’approcha :

– Tiens, le petit 7 ! Dites-moi, mon petit 7, – puisque je vous trouve ici, – rendez-moi un service. Je ne vous retarderai pas plus d’un instant.

André Baume tressaillit sous l’empire d’une secousse nerveuse.

Un service ?… Un instant ?… Est-ce que…

Non ! C’était idiot !

Il pénétra dans l’économat. M. Donadieu ferma la porte.

– C’est le diable…, commença l’économe.

Le diable ?…

– Vous voyez cette peau ? C’est du mouton, mon petit 7. Une reliure magnifique pour mon Cervantès. Je dois couvrir cela de colle forte, d’abord. Le diable est que cela se recroqueville, et un accident est si vite arrivé !…

M. Donadieu émit un rire sec.

– Vous comprenez, mon petit 7, que je ne puis piquer ce cuir avec des punaises : ce serait l’abîmer. Alors, si vous voulez être assez gentil pour me le tenir aux coins… L’affaire d’un instant…

Baume posa ses doigts de côté et d’autre de la peau de mouton ; M. Donadieu brassait, avec un morceau de bois, de la colle de poisson dans une casserole au-dessus d’une lampe à alcool.

– Cela ne sent pas fameusement bon, n’est-ce pas ?

Baume pressait sur le morceau de cuir, le tendait. Mais il ne quittait pas du regard le vieil économe dont la respiration, dans l’excitation du travail délicat à exécuter, s’encombrait et dont le polype sifflait.

– Surtout, mon petit 7, ne bougez pas vos mains tandis que j’étale la colle.

Se pouvait-il que ce vieillard si inoffensif d’allures… André Baume serra les dents ; M. Donadieu coiffa sa lampe d’un éteignoir, apporta la casserole puante, prit un pinceau large.

– Attention, mon petit 7.

– Eh bien ? Je vous remercie, mon petit 7. Je vous remercie ! Vous pouvez aller…

André Baume se tenait sur le seuil ; il fixait M. Donadieu dont les doigts agiles menaient une danse légère sur un linge sous lequel reposait à plat la peau de mouton appliquée sur une feuille de papier lie-de-vin.

– Vous pouvez aller… Sauvez-vous vite…

Alors quoi ? C’était tout ? Cette colle forte étalée sur ce rectangle de cuir, et puis : « Sauvez-vous vite… » C’était tout, vraiment ?

M. Donadieu s’essuyait les doigts à un mouchoir. Il s’avança vers l’élève. Son visage exprimait de la perplexité.

– Est-ce que vous ne vous sentiriez pas bien, mon petit 7 ? Je vous trouve pâle…

 

Dix minutes plus tard, par la rue de la Coulommière, les quais de la Marne, la rue du faubourg Cornillon, et la route nationale n° 36, André Baume, comme Sorgues était parti vers l’ouest et Macroy vers l’est, s’éloignait précipitamment dans la direction de Coulommiers, Melun, vers le sud.

Il était sorti de la pension par le porche, en remettant au portier le redeat signé de M. Planet et qui avait été, d’un trait de crayon, transformé en exeat.

Dans la rue Croix-Saint-Loup, deux ou trois fois, sans ralentir le pas, il s’était retourné et avait jeté en arrière un regard troublé où se mêlaient des sentiments complexes : regret, angoisse, exaltation, – puis, comme chassé en avant par une force qui brisait toute résistance, le collégien avait augmenté, hâtivement, la distance le séparant de la haute maison grise au cœur de laquelle s’allongeaient, pâles dans la pénombre, les quatre branches égales de la croix.

Vers quelle aventure, porteur de quel secret, le numéro 7 s’en allait-il ainsi, tête nue, dans sa rêche blouse noire d’écolier lustrée aux manches et serrée à la taille par un ceinturon à boucle de cuivre ?

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