XI

Sur ces mots, madame de Beaufort congédia Gobson en lui recommandant de venir le lendemain lui faire connaître ce qu’il aurait appris, et dès qu’il se fut éloigné elle rentra dans la chambre, plus désespérée qu’elle ne l’avait jamais été.

Elle avait peur ! Mille fantômes vinrent s’asseoir à son chevet ; elle eût donné la moitié des jours qui lui restaient à vivre pour être au lendemain.

Et en effet, elle était loin de se douter de ce qui allait se passer.

Pendant toute la matinée du lendemain, une agitation sourde ne cessa de régner dans l’hôtel de la Chaussée-d’Antin.

Madame de Beaufort déjeuna dans sa chambre, prétextant une légère indisposition, et M. de Beaufort, tourmenté de vagues inquiétudes, lui ayant fait demander si elle pouvait le recevoir, elle lui avait fait répondre qu’elle ne pourrait accéder à son désir que dans l’après-midi.

Elle resta donc seule, chez elle, attendant les nouvelles du dehors, que Gobson s’était engagé à lui apporter.

Ce dernier se présenta vers midi.

Il battait Paris depuis le matin et avait appris tout ce qu’il était intéressant de savoir.

Madame de Beaufort l’écouta avec une avidité fiévreuse et frissonna au récit des aventures de la nuit précédente.

Toutes ses appréhensions se vérifiaient : Fanny Stevenson avait révélé à Edmée le secret de sa naissance ; la mère et la fille se liguaient avec Gaston de Pradelle, et de la lutte qui ne pouvait manquer de s’engager devaient sortir la honte et le déshonneur de M. de Beaufort !

C’était l’effondrement complet, la ruine irrémédiable… et elle ne voyait aucune issue à cette impasse où elle s’était elle-même acculée !

M. de Beaufort vint la voir vers deux heures.

Elle n’était pas encore remise.

De son côté, d’ailleurs, il était horriblement inquiet.

Il venait d’apprendre qu’Edmée avait quitté le couvent, et – chose invraisemblable, mais effrayante – on lui avait affirmé que sa fille avait accompagné Gaston blessé jusqu’à sa demeure.

Il y eut entre les deux époux une explication violente.

Madame de Beaufort s’abandonnait à son désespoir. Elle était désormais incapable de raisonner. On ne pouvait plus la bercer d’illusions ; la catastrophe était imminente ; il fallait prendre un parti.

Lequel ?

Fanny Stevenson serait évidemment sans pitié ; on devait s’attendre à tout de sa part, et il n’était pas douteux qu’Edmée ne se mît de son parti.

M. de Beaufort répondait à peine.

Une pâleur livide était répandue sur ses traits ; son regard se voilait sous le regard ardent de sa femme. Ses yeux étaient rougis par des larmes qui les brûlaient sans pouvoir couler.

— Et vous êtes là ? vous ne répondez pas ! dit tout à coup madame de Beaufort, en se dressant devant lui, irritée et menaçante ; il est bien temps cependant que je sache ce que vous comptez faire, et si je ne dois plus me regarder désormais que comme votre maîtresse.

— Juliette ! fit le malheureux d’un ton suppliant.

— Eh ! ce n’est de prières ni de larmes qu’il s’agit, c’est de volonté et d’énergie. Ah ! vous aviez jusqu’à présent, réservé le plus pur de votre amour pour l’enfant de cette femme, et quant à Nancy, ma pauvre fille à moi, il y a longtemps que vous l’aviez repoussée de votre cœur.

— Ne parlez pas ainsi.

— Aussi voyez ; vous en êtes bien récompensé aujourd’hui. Est-ce qu’Edmée a souci de vous seulement, est-ce qu’elle s’inquiète du scandale, de la honte. A-t-elle hésité à suivre cet homme qu’elle aime, et dont au premier jour elle fera son amant.

— Ce que vous dites là est indigne.

— Vous allez peut-être la défendre ?

— Edmée est une enfant pure et soumise. Ce sont vos violences, vos injustices qui l’ont poussée à bout.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! vous l’entendez ! balbutia madame de Beaufort éperdue ; Edmée ! Edmée ! Ah ! elle ne m’avait pas trompée, moi, du moins, et elle montre à cette heure qu’elle est bien l’enfant de cette Fanny !

En parlant ainsi, madame de Beaufort s’était mise à parcourir la chambre à pas heurtés ; quand elle revint vers son mari elle s’arrêta brusquement.

— Voyons ! dit-elle d’un ton saccadé, je vous demandais tout à l’heure ce que vous comptiez faire, et j’ai besoin de connaître la résolution que vous allez prendre pour décider moi-même la conduite que je dois tenir. Faut-il que je quitte cet hôtel avec ma fille ? ou bien encore m’y croire chez moi ! Répondez.

M. de Beaufort eut un mouvement impatient qu’il ne put réprimer.

Il était lui-même à bout de force, sourdement fâché contre le sort, cherchant âprement à sortir de cette situation sans issue.

— Pour Dieu ! répliqua-t-il, ne vous abandonnez pas de la sorte, et n’aggravez pas par votre exagération la position qui nous est faite. Edmée, je le répète, est une enfant dont le cœur ne s’est jamais démenti et qui, j’en réponds, ne fera rien qui puisse être un danger pour son père. Laissez-moi donc la conduite de cette affaire ; ne m’y mêlez plus ce Gobson qui m’a déjà bien plutôt mal servi, et je crois pouvoir vous assurer que sous peu…

— Quelle est votre intention ? interrompit madame de Beaufort.

— Je verrai Edmée.

— Quand cela ?

— Aujourd’hui même, et il faudra qu’elle ait bien changé en si peu de temps, pour que je n’obtienne pas ce que je compte lui demander.

Ainsi qu’il l’avait annoncé, M. de Beaufort se rendit le jour même à l’hôtel qu’Edmée habitait avec Fanny Stevenson ; mais on lui dit qu’Edmée était avec elle auprès de M. Gaston de Pradelle, qui occupait un appartement dans la maison contiguë.

M. de Beaufort n’hésita pas, et quelques minutes plus tard, il sonnait chez le jeune commandant.

C’est Bob qui vint lui ouvrir.

— M. de Pradelle ? demanda M. de Beaufort.

— Le commandant est souffrant en ce moment, répondit Bob, et le médecin a défendu de recevoir personne.

— Mais n’y a-t-il pas auprès de lui ?…

— Le commandant est seul.

— Cependant on m’avait assuré…

— On aura trompé monsieur.

M. de Beaufort n’insista pas davantage. C’était une consigne ; il n’avait aucun espoir de la forcer ; il se retira.

Toutefois, il ne rentra pas tout de suite à l’hôtel.

Il ne voulait pas affronter madame de Beaufort, et il erra pendant quelques heures dans Paris, en proie à une agitation qui s’expliquait de reste.

Ce ne fut que le soir, vers huit heures, qu’il regagna la rue de la Chaussée-d’Antin.

Comme il passait devant la loge, il vit le concierge en sortir et venir à sa rencontre.

Il s’arrêta.

— Qu’y a-t-il ? demanda M. de Beaufort.

Le concierge lui tendit une lettre qu’il tenait à la main.

— C’est une lettre ! répondit-il. On vient de l’apporter à l’instant, et j’allais la remettre à Germain.

M. de Beaufort prit la lettre, jeta un coup d’œil sur la souscription à la lueur du gaz, et frissonna.

C’était l’écriture d’Edmée !

— Bien ! c’est bien ! dit-il.

Et il courut s’enfermer dans son cabinet. Un instant après, il lisait ce qui suit :

« Cher père adoré,

« On m’apprend, à l’instant que vous êtes venu à l’hôtel, et que vous avez demandé à me parler.

« Je suis bien désolée, car je comprends toutes les inquiétudes que vous devez éprouver, et j’aurais voulu vous expliquer tout ce qui s’est passé.

« J’allais vous écrire moi-même : j’ai bien besoin de vous voir, de vous rassurer, d’obtenir mon pardon pour la peine que je vous cause ; de vous dire surtout que je vous aime, comme jamais peut-être je ne vous avais aimé encore.

« Ne vous hâtez pas trop de juger ma conduite… Remettez avant de me condamner…

« Demain, je vous attendrai toute la journée. – Vous viendrez, n’est-ce pas ?

« J’ai bien pleuré depuis hier, en pensant à vous, qui avez été toujours si bon pour moi ; croyez que je vous conserve au fond de l’âme une inaltérable affection contre laquelle rien ne prévaudra.

« Les larmes m’aveuglent… ô mon bon père, songez que votre fille vous attendra demain, et que ce lui sera une grande consolation de pleurer dans vos bras et sur votre cœur.

« Edmée. »

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