Ne voyant pas paraître Fiorinda, Beaurevers comprit que Catherine n’avait pas tenu compte de ses menaces et avait agi.
Il revint dans le couloir et durant des heures, avec une patience que rien ne rebutait, il chercha la trappe et le bouton qui permettait de l’ouvrir. Il ne trouva rien.
La nuit vint. Ce ne fut que lorsqu’il n’y vit plus du tout qu’il se résigna à lâcher pied.
Il rentra chez lui. Là seulement il sentit qu’il mourait de faim. Ce qui était assez naturel puisqu’il avait oublié de déjeuner et de dîner. Il mangea un morceau à la hâte et se jeta rageusement sur son lit. Il était de nouveau furieux contre lui-même. Il avait pourtant fait tout ce qu’il avait pu.
Le lendemain matin, dès que la chose fut décemment possible, il faisait demander audience à Catherine.
Elle se douta bien de ce qui l’amenait. Elle n’hésita pas à le recevoir et lui fit même un accueil gracieux.
Beaurevers alla droit au but.
« Il paraît que la trappe s’est ouverte quand même, dit-il.
– C’est vrai, dit froidement Catherine, la trappe s’est ouverte.
– J’espère que cette enfant n’est pas morte ! » dit Beaurevers que l’angoisse étreignait.
Les paroles n’étaient rien. C’était le ton qu’il fallait entendre. C’était le visage livide, flamboyant, formidable, qu’il fallait voir. Ceci, Catherine le vit et l’entendit fort bien et cela lui suffit pour se rendre compte que sa vie ne tenait qu’à un fil. Aussi elle se hâta de rassurer :
« Pourquoi voulez-vous qu’elle soit morte ? Elle n’a pas été frappée. Si elle a descendu toutes les marches de l’escalier qui se trouve sous la trappe, elle a abouti à un cachot… assez incommode, j’en conviens, mais enfin où l’on peut très bien vivre… quelques semaines. »
Beaurevers vit qu’elle disait la vérité. Il devina du coup quel genre de supplice elle avait voulu infliger à Fiorinda. Et d’une voix vibrante d’indignation :
« On y peut vivre quelques semaines… à condition qu’on vous y apporte à boire et à manger ?
– Cela va sans dire.
– Ce qu’on eût oublié de faire pour cette malheureuse enfant ? »
Catherine sourit.
Beaurevers retint l’aveu. Et d’une voix rude :
« Eh bien, madame, il faut, vous entendez, il faut que la trappe s’ouvre maintenant pour que Fiorinda sorte.
– Eh bien… ouvrez-la…
– J’ai essayé, madame. Toute la journée, hier, j’ai cherché à l’ouvrir. Je n’ai rien trouvé.
– Je n’y puis rien, sourit Catherine.
– Vous pouvez tout, au contraire, gronda Beaurevers qui avait des envies folles de la saisir à la gorge et de l’étrangler. Vous avez su ouvrir une fois, vous saurez ouvrir une deuxième.
– Si je vous comprends bien, vous me demandez – assez cavalièrement, mais passons – de rendre la liberté à cette petite bohémienne ?
– C’est bien cela, madame.
– C’est ce que je ne ferai pas. »
C’était catégorique. Et cela paraissait irrévocable. Pourtant, Beaurevers ne renonça pas encore.
« Puis-je vous demander pourquoi, madame ? fit-il.
– Je veux bien vous dire ceci : cette petite méritait un châtiment. Je l’ai châtiée comme il m’a convenu. C’est tout. »
Elle montrait une raideur certaine parce qu’elle voyait que Beaurevers semblait s’adoucir. Il s’en aperçut très bien. Il n’eut pas l’air de le voir. Il insista :
« Ne trouvez-vous pas, madame, que la punition a assez duré ? Songez à la situation atroce dans laquelle se trouve cette enfant. »
Plus catégorique et de plus en plus froide, elle répliqua :
« La punition cessera quand je jugerai qu’elle a assez duré. Pas avant. »
Beaurevers s’approcha d’elle et, la regardant droit dans les yeux, d’une voix effrayante à force de froideur :
« Eh bien, madame, je jure, moi, que sa punition n’a que trop duré déjà. En conséquence, vous allez venir avec moi et vous ouvrirez la trappe. »
Elle vit bien que l’instant critique était venu. Elle se raidit. Et très calme en apparence, elle railla :
« Vraiment !… Et si je refuse, menacerez-vous de m’arrêter, comme vous le fîtes hier ?
– Non, madame, car aujourd’hui je n’ai pas d’ordres, comme j’en avais hier.
– Vous eussiez été bien embarrassé de les montrer, ces ordres que vous prétendez avoir eus. »
Elle triomphait en prononçant ces mots qui lui montraient qu’elle avait deviné son jeu de la veille.
Il dédaigna de relever. Il se contenta de sourire. Un sourire, c’est peu de chose. Pourtant, en voyant celui-là, Catherine, sans en rien laisser paraître, commença de perdre une partie de son assurance. Et il dit avec la même voix trop calme :
« J’irai trouver le roi, et le prierai de vouloir bien m’accompagner. Tenez pour assuré qu’il ne me refusera pas. »
Catherine était devenue attentive. Néanmoins elle voulut narguer encore.
« Et vous l’emmènerez dans le couloir où se trouve la trappe. C’est une idée. Mais je croyais que vous m’aviez dit qu’il ignorait où se trouve le bouton qui ouvre cette trappe ?
– J’amènerai le roi ici, devant vous, madame.
– Ici ! Et pour quoi faire, mon Dieu ?
– Pour qu’il vous prie de venir avec nous ouvrir la trappe. »
Catherine tressaillit. Elle se sentait prise. En effet, elle ne pouvait refuser au roi ce qu’elle refusait à Beaurevers. Malgré tout, elle essaya de résister encore.
« Je dirai, fit-elle, que je ne sais ce qu’il veut dire. »
Beaurevers la vit acculée à la nécessité de capituler. Cette fois, il avait trouvé l’infaillible moyen de la faire céder. Sûr du succès, il ne répondit que par un haussement d’épaules et, reprenant son air railleur :
« Vous n’ignorez pas qu’il sait le contraire », dit-il.
Et, avec une indifférence qui n’avait rien d’affecté parce que cette fois il ne cherchait pas à en imposer, parce qu’il savait qu’il pouvait sans scrupule mettre sa menace à exécution, attendu que le roi était fixé depuis longtemps sur les agissements de sa mère, il ajouta :
« Croyez-moi, madame, le mieux est de m’accorder de bonne grâce ce que je demande… Ainsi cette histoire pénible demeurera un secret entre nous… n’aura pas d’autre suite… Si cependant vous préférez laisser intervenir le roi, libre à vous… Après tout, cela vous regarde. Vous vous expliquerez avec lui… Car le roi exigera des explications, n’en doutez pas. Et de fil en aiguille, le diable sait où tout cela pourra bien nous mener… ou plutôt, je le vois très bien. »
Ce qu’il disait était très juste. Si juste que Catherine se l’était déjà dit tout bas. Une de ses grandes forces était de savoir plier quand la nécessité l’exigeait impérieusement et de paraître accepter sans rechigner ce qu’il lui était impossible d’empêcher. Elle ne renonçait pas à sa vengeance pour cela. Infatigable, déjà un autre plan de vengeance se dressait dans son esprit. Déjà, elle calculait froidement :
« Après tout, que m’importe la mort de cette fille ?… Je tiens Ferrière en mon pouvoir. Il ne s’en ira pas sans mon assentiment… Par lui, je châtierai cette péronnelle plus cruellement que si je la tuais. »
Son parti fut pris. Elle se leva et acquiesça :
« Vous avez raison. Le roi n’a rien à voir dans ces histoires sans importance… Et après tout, cette petite a été suffisamment punie. Venez, monsieur. »
Beaurevers la suivit sans ajouter une parole.
Cinq minutes plus tard, Fiorinda était tirée de son tombeau. Dès que la trappe s’ouvrit, Beaurevers la vit debout à l’entrée, où elle paraissait attendre. Elle ne paraissait pas trop déprimée. Elle sortit elle-même de son trou et ne vit pas Catherine qui se tenait à l’écart, dans l’ombre. Elle ne parut pas étonnée en voyant Beaurevers qui lui tendant les mains. Elle lui sourit gentiment et lui tendit le front en disant :
« Je savais bien que vous me tireriez de là. »
Cette naïve confiance en lui le toucha plus que n’eussent pu le faire les protestations les plus chaleureuses. Il la prit doucement dans ses bras, effleura son front pur d’un baiser fraternel et rassura :
« Ne craignez plus rien. Cet affreux cauchemar est fini. »
Elle allait répondre. Elle aperçut alors Catherine. Fut-ce la vue de son irréductible ennemie ? Fut-ce, plutôt, un effet de réaction ? Elle ferma les yeux et s’abandonna, évanouie, dans les bras de Beaurevers.
« Oh ! diable ! » murmura celui-ci, cruellement embarrassé.
Catherine intervint alors, insinua :
« Portez-la dans sa chambre… ce ne sera rien. »
Beaurevers lui jeta un coup d’œil qui n’était pas précisément bienveillant. Mais il ne tarda pas à comprendre que c’était ce qu’il avait de mieux à faire. Il hésitait cependant, et pour cause.
Si la jeune fille était revenue à elle à ce moment, il l’eût tout d’abord et sans plus tarder conduite hors du Louvre.
Mais elle ne revint pas à elle. Il fut effrayé de la voir pâle comme une morte, sa jolie tête auréolée de ses fins cheveux bruns ballottant mollement sur son épaule. Et il alla au plus pressé. Il la souleva dans ses bras vigoureux et la porta dans sa chambre.
Catherine se garda bien de les y suivre. Nous avons dit qu’elle avait déjà son idée, et chez elle l’exécution ne traînait jamais. Cette idée n’était pas encore bien précise. Mais elle savait qu’elle avait besoin de garder Ferrière en son pouvoir. C’en était assez pour qu’elle agît sans tarder.
Elle ne se montra donc pas. Et elle eut l’attention d’envoyer une de ses filles de chambre donner des soins à la malade. On comprend que cette attention était intéressée. En effet, Catherine, qui pensait bien que Beaurevers ne s’éloignerait pas avant d’être complètement rassuré sur l’état de Fiorinda, avait donné pour mission à la camériste de le retenir aussi longtemps qu’elle pourrait. Elle ne demandait pas plus d’un quart d’heure.
Pendant ce temps, par des chemins détournés, connus d’elle seule peut-être, elle se rendit près de Ferrière. Elle y demeura quelques minutes à peine. Mais il paraît que ces quelques minutes lui avaient suffi, car elle avait l’air très satisfaite en s’en retournant chez elle. Elle y arriva sans avoir rencontré personne, avant que ne fût expiré le quart d’heure qu’elle avait demandé à sa camériste.
Celle-ci, pendant ce temps, s’activait auprès de Fiorinda, ou faisait semblant. Car Beaurevers lui avait naturellement cédé la place et, en attendant, se promenait nerveusement dans le couloir.
Quand la camériste estima qu’elle avait suffisamment fait attendre le chevalier, elle s’occupa sérieusement de Fiorinda qui, sous ses soins énergiques et intelligents, ne tarda pas à revenir à elle.
Alors, elle appela Beaurevers qui se hâta d’accourir.
Il ne se rassura que lorsqu’il vit la jeune fille qui lui souriait de son lit où elle était étendue. Elle était encore bien pâle, bien faible. Mais il était clair qu’on n’avait aucune complication à redouter.
« Reposez-vous, dit-il affectueusement ; un bon et long repos sera pour vous le plus salutaire des remèdes. Demain, il n’y paraîtra plus. Demain matin, vous sortirez d’ici. Et c’est moi qui serai votre garde du corps. »
Fiorinda remercia d’une voix affaiblie. Le corps, chez cette vaillante fille, avait été terrassé surtout par la fatigue. Mais l’esprit était demeuré lucide. Et déjà cet esprit travaillait. Mais elle fit signe à Beaurevers de se pencher et, baissant la voix à cause de la camériste qui allait et venait :
« Je ne partirai pas, dit-elle, si M. de Ferrière doit rester. »
Le ton sur lequel elle disait cela indiquait que c’était là une résolution irrévocable.
Beaurevers trouva cela tout naturel. Et, sur un ton plaisant, afin de la remonter, il s’écria :
« Charbleu ! comme dit votre noble fiancé, je l’entends bien ainsi ! Nous partirons tous les trois ensemble, foi de Beaurevers ! Et pas plus tard que demain matin, je l’espère. »
Fiorinda sourit. Et Beaurevers ne s’aperçut pas qu’il y avait beaucoup d’incrédulité dans ce sourire. Il trancha :
« Reposez en paix. Je vais de ce pas chez Ferrière. Et je vous réponds que l’affaire sera vite réglée, puisqu’il ne demeure ici que pour vous.
– Dites-lui bien, recommanda Fiorinda, que je ne m’en irai pas sans lui… Dites-le-lui : pas sans lui !
– Bon ! promit Beaurevers en s’éloignant, je le lui dirai, soyez tranquille. »
Fiorinda, soulevée sur ses oreillers, le suivit du regard jusqu’à ce que la porte se fût refermée sur lui. Alors, elle laissa retomber sa tête en arrière et deux larmes jaillirent de ses paupières sur ses joues pâlies sans qu’elle songeât à les essuyer.
Ce que Fiorinda redoutait se produisit : Ferrière fit à peu près la même réponse qu’elle avait faite. C’est-à-dire qu’après avoir remercié Beaurevers comme il convenait, il déclara qu’il ne quitterait le Louvre que lorsque sa fiancée en serait partie.
« Voilà qui est entendu, dit Beaurevers qui était à mille lieues de soupçonner la vérité et que Catherine venait de quitter son ami. Nous partirons tous les trois ensemble demain matin.
– Non, mon cher ami, dit Ferrière avec une douceur d’autant plus grande qu’il était plus cruellement embarrassé ; emmenez Fiorinda… moi, je suivrai… plus tard.
– Trente mille diables ! sacra Beaurevers exaspéré, je me tue de vous dire qu’elle ne partira pas sans vous ! »
Mais il eut beau faire et beau dire, Ferrière ne voulut pas en démordre. Voyant qu’il ne pouvait parvenir à le persuader, Beaurevers partit comme un furieux, en grommelant :
« Je veux que le diable m’étripe s’il n’y a pas de la damnée Catherine là-dessous ! Mais quoi ?… Je le saurai… il faut que je le sache… sans quoi je ne pourrai rien faire pour eux. »
Il revint auprès de Fiorinda. Il lui répéta tout ce qui avait été dit entre Ferrière et lui. Elle n’en fut pas surprise. Elle se contenta de dire avec une placide obstination :
« Je resterai donc ici. »
Beaurevers n’en put pas tirer autre chose.