VIII FERRIÈRE CHERCHE FIORINDA ET TROUVE ROSPIGNAC

Ferrière s’éloigna lentement et revint tristement chez lui. Il était sombre, inquiet, abattu. Il finit par se coucher. Le sommeil ne venait pas. Et tout à coup il songea :

« Charbieu ! comment n’ai-je pas pensé à cela plus tôt !… Pardieu, j’irai demain raconter la chose à Beaurevers. Et du diable si, par lui-même ou par l’entremise du comte de Louvre qui me fait l’effet d’être un personnage beaucoup plus considérable que je ne le croyais, c’est bien le diable s’ils n’arrivent pas à me raccommoder avec monsieur mon père ! »

Cette pensée lui rendit un peu de sa tranquillité d’esprit et il réussit à s’endormir.

La matinée était assez avancée lorsqu’il se réveilla le lendemain. Il fit rapidement sa toilette et partit pour aller voir Beaurevers. Sur le seuil de sa porte, il s’arrêta indécis. Il touchait sur l’énorme porte cochère de l’hôtel voisin : l’hôtel de son père. Et il se demandait s’il ne devait pas tenter une suprême démarche près de lui.

À ce moment, la porte s’ouvrit avant qu’il n’eût frappé, et le vidame de Saint-Germain parut sur le seuil. Le père et le fils se trouvèrent inopinément face à face, l’un à l’intérieur, sous la voûte, l’autre dans la rue. Ils se considérèrent une seconde, aussi interloqués l’un que l’autre.

Ce fut le vidame qui se remit le premier et sur un ton sec :

« Que venez-vous faire céans ? Nous n’avons rien de commun. À moins que vous ne veniez faire amende honorable. Est-ce cela ? »

Ferrière était trop bouleversé pour répondre. Néanmoins il lui répugnait de laisser se créer une équivoque en ne répondant pas. Et de la tête il fit un « Non » farouche.

Le vidame appela, sans se retourner :

« Pernet ! »

Le suisse sortit de sa loge et vint s’incliner devant lui.

« Pernet, dit le vidame froidement en montrant Ferrière, vous voyez cet homme ?

– Monseigneur ! s’effara le suisse qui reconnaissait le fils de son seigneur.

– S’il se présente ici, continua le vidame avec la même froideur glaciale, vous lui direz toujours que je suis absent. S’il insiste, s’il vous importune, vous le saisirez par les épaules et le jetterez dehors. Vous avez compris ?

– Oui, mon… monseigneur, bégaya le suisse qui ne savait quelle contenance garder.

– Pendant que j’y pense, reprit le vidame, vous ferez murer les trois portes qui font communiquer le jardin de monsieur avec le mien. Nous n’avons plus rien de commun ensemble. Fermez bien la porte sur moi, Pernet. »

Il sortit, passa devant Ferrière anéanti et s’éloigna de son pas lent et tranquille, sans se retourner une fois.

Ferrière, les yeux humides, regarda un instant la silhouette courbée de son père qui s’éloignait doucement.

« Allons, je crois que c’est fini. Il ne me pardonnera jamais. Il n’acceptera jamais ce mariage… Eh bien, tant pis, mort du diable ! Je n’aurai plus de père, soit… Du moins ne ferai-je pas une existence d’enfer pour l’unique satisfaction d’ajouter quelques titres et quelques terres de plus à ceux que je possède. »

Il partit à son tour, dans la direction des ponts. Il était bien résolu à se rendre d’abord rue Froidmantel. Mais plus que jamais dans les circonstances pénibles où il se trouvait, il éprouvait l’instinctif besoin d’un réconfort puissant. Ce réconfort ne pouvait lui venir que de la femme aimée. C’est pourquoi sans s’en rendre compte, parvenu dans la rue Saint-Honoré, au lieu de continuer jusqu’à la rue Froidmantel qui se trouvait au bout de la rue, sur sa gauche, il tourna brusquement à droite et fut sincèrement étonné de se reconnaître tout à coup devant la petite maison de la rue des Petits-Champs.

Parvenu jusque-là, il ne pouvait avoir la force de s’en retourner. Il frappa.

Et la mauvaise nouvelle s’abattit sur lui comme un coup de massue qui l’assomma : Fiorinda n’était pas rentrée la veille, on ne l’avait plus revue, on ne savait ce qu’elle était devenue, ni ce qui lui était arrivé.

Ferrière se raidit, fit appel à tout son sang-froid, interrogea les uns et les autres. Il ne put en apprendre plus que ce qu’il savait déjà. On lui dit que Beaurevers, la veille, vers les huit heures du soir, avait cru entendre un appel, qu’il était sorti précipitamment et n’était plus revenu. On pensait qu’il ne tarderait pas à venir s’informer de la jeune fille qu’il affectionnait comme une sœur. Et il partit comme une flèche vers la rue Froidmantel.

Là, nouveau contretemps : Beaurevers était absent. Du moins on put lui dire qu’il était allé au Louvre donner sa leçon d’armes au roi. Il y alla.

Il s’informa auprès de l’officier de garde à la porte qui lui apprit que M. de Beaurevers venait de sortir à l’instant et s’était dirigé vers le quai, du côté de Saint-Germain-l’Auxerrois. En se dépêchant, M. de Ferrière le rattraperait sans peine.

Ferrière reprit sa course ventre à terre. Au tournant de la rue des Fossés-Saint-Germain, il heurta violemment un gentilhomme qui se trouvait sur son chemin. Il passa sans s’arrêter, sans reconnaître celui qu’il venait de heurter ainsi qui n’était autre que Rospignac. Il se contenta de lancer un mot d’excuse et courut d’autant plus vite qu’il venait enfin de reconnaître Beaurevers qui s’en allait de ce pas vif qui lui était particulier.

Rospignac, en se sentant bousculé, avait lancé un énergique juron. Voyant que le passant pressé ne s’arrêtait pas pour lui faire des excuses auxquelles il avait droit, il avait eu un mouvement en avant pour s’élancer à sa poursuite. Il avait alors reconnu Ferrière. Il s’arrêta et le regarda courir en souriant d’un sourire mauvais.

Il ramena le pan du manteau sur le visage, et pressant le pas, il se mit à son tour à la poursuite de Ferrière.

Le vicomte, pendant ce temps, rattrapait enfin le chevalier.

Du premier coup d’œil Beaurevers comprit qu’il lui arrivait quelque chose de fâcheux.

« Entrons là, dit-il ; nous serons mieux pour causer. »

Et il entraîna Ferrière, qui se laissa faire sans résister.

Derrière eux, Rospignac vint s’arrêter devant la porte du même cabaret. Ce cabaret, situé à l’angle de la rue des Fossés, avait une deuxième entrée sur la place Saint-Germain-l’Auxerrois.

Ce fut par là qu’il entra. Une pièce d’or distribuée à propos fit le reste. Sans avoir été vu lui-même, il se trouva de façon à pouvoir entendre et voir ce que diraient et feraient les deux jeunes gens.

Ferrière entama le chapitre des confidences sans plus tarder. Il raconta la scène qu’il avait eue avec son père.

Beaurevers l’avait écouté avec une patience inaltérable et avait répondu à toutes les questions avec une complaisance sans bornes.

Et il arriva ce que Ferrière avait espéré : que Beaurevers, par son assurance, lui rendit un peu de cette tranquillité d’esprit qui l’abandonnait, et, par ses exhortations, le soulagea des remords qui l’accablaient.

Mais ce fut surtout au sujet du vidame que Beaurevers se montra le plus sûr de lui.

« Tout cela s’arrangera. Ne brusquez rien, ne vous faites pas de mauvais sang, restez tranquille chez vous, puisque le vidame vous a interdit sa porte. Il finira par s’apercevoir que son fils lui manque. D’ailleurs, j’en fais mon affaire.

– Ah ! chevalier ! s’écria Ferrière radieux, vous me rendez à la vie ! C’est vraiment ma bonne étoile qui vous a mis sur mon chemin.

– Vous épouserez votre Fiorinda, vous vous réconcilierez avec votre père. J’en réponds. Il ne faudrait pas croire pourtant que cela sera dès demain. Non, il faudra de la patience.

– Hélas ! soupira Ferrière, si seulement je retrouvais celle que j’aime !

– Si j’ai un conseil à vous donner, fit-il, voyez du côté de Rospignac. Je ne sais pourquoi j’ai dans l’idée qu’il doit savoir, lui, ce qu’est devenue votre fiancée.

– Bon ! fit Ferrière qui se leva résolument, je vais me mettre à la recherche de Rospignac. Et il faudra bien…

– Ne brusquez rien, conseilla Beaurevers qui se leva lui aussi, Rospignac est un homme très fort, très dangereux. Jouez serré avec lui, sans quoi vous n’en tirerez rien. Si vous voulez que je vous dise le fond de ma pensée : N’usez pas de violence, gardez-vous comme de la peste d’user de franchise… oui, cela vous étonne de m’entendre parler ainsi, mais depuis pas mal de temps je me suis aperçu que le meilleur moyen de battre les gens, c’est de les combattre avec leurs propres armes. Avec Rospignac, il faut savoir louvoyer et ruser.

– Je tâcherai », promit Ferrière avec une moue qui indiquait que le conseil n’était pas trop de son goût.

Ils sortirent et se séparèrent devant la porte du cabaret.

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