IX UN BON PARENT

Comme Ferrière faisait les cent pas à l’angle de la rue, il aperçut soudain Rospignac qui, couvert de poussière comme quelqu’un qui vient de faire un longue route, se hâtait vers son logis.

Il se campa au milieu de la rue et l’attendit.

« Tiens, Ferrière, fit-il le plus naturellement du monde, que diable, ou qui diable attendiez-vous ainsi planté au milieu de ce carrefour ? Serait-ce une femme ?…

– Non, dit Ferrière avec une froideur manifeste, c’est vous que j’attendais.

– Moi !… Aurais-je cette bonne fortune de pouvoir vous être utile ? Disposez de moi. Si c’est à ma bourse que vous voulez faire appel, elle est justement bien garnie… Si c’est un second qu’il vous faut, mon épée ne demande qu’à sortir du fourreau… Usez de tout comme vous appartenant. »

Cela était dit avec cordialité et bonne humeur. Ferrière comprit qu’il eût été ridicule de garder sa raideur vis-à-vis d’un homme qui se montrait si aimable. Et il adoucit son attitude.

« Je vous rends mille grâces, dit-il, mais ma bourse est aussi convenablement garnie, et, n’ayant pas de duel sur les bras, je n’ai pas besoin de second.

– Tant pis, tant pis ! Dans tous les cas, si l’occasion se présente, n’oubliez pas que je suis tout vôtre.

– Vous me comblez, baron. Eh bien donc, puisque je vous trouve si bien disposé à mon égard, permettez-moi d’en profiter. Baron, j’ai besoin d’un renseignement que vous pouvez peut-être me donner. C’est au sujet d’une femme à laquelle je m’intéresse et qui a disparu.

– Une femme ! dit Rospignac en plaisantant, comment vous, Ferrière, vous courez après les femmes ? Et de quelle femme voulez-vous parler ?

– De Fiorinda ! gronda Ferrière qui se fit franchement menaçant.

– La petite diseuse de bonne aventure ?

– Elle-même.

– Et vous voulez que je vous dise ?…

– Ce qu’elle est devenue… Ne le sauriez-vous pas par hasard ?

– Si fait, bien, pardieu !… Mais par exemple, vous pouvez vous vanter d’avoir une fière chance !

– Pourquoi ?

– Tiens ! Je suis peut-être le seul qui puisse vous renseigner au sujet de cette petite, vous vous adressez justement à moi, et vous croyez que ce n’est pas de la chance cela ?

– Et vous allez me dire où elle est ?

– Si cela peut vous être agréable, je ne demande pas mieux.

– Parlez, je vous en prie.

– Fiorinda, dit Rospignac avec une belle indifférence, est au Louvre. »

Et se reprenant vivement :

« Du moins, c’est là que je l’ai conduite.

– Au Louvre ! s’effara Ferrière. Et c’est vous qui l’y avez conduite ?… Qu’est-ce que cela veut dire ?

– Écoutez, vicomte, je vous dis là des choses que je ne devrais dire à personne, mais mordieu, pour rendre service à un parent, on peut bien transiger un peu avec le devoir. La vérité est très simple. La voici : Mme Catherine m’a ordonné de lui amener la petite diseuse de bonne aventure. Je l’ai fait enlever l’autre soir, dans la rue des Petits-Champs, et je l’ai fait conduire au Louvre. Voilà la vérité toute nue.

– Vous ne l’avez pas fait enlever pour votre compte ? demanda Ferrière pris d’un vague soupçon.

– Moi ! se récria Rospignac, que voulez-vous que je fasse de cette petite bohémienne, mon Dieu ?

– Ainsi, Fiorinda serait au Louvre ? reprit Ferrière qui n’en revenait pas.

– Écoutez, il y a un moyen bien simple de savoir ! c’est d’aller le demander à Mme Catherine.

– Et si Mme Catherine ne veut pas me renseigner ! fit-il. Si elle refuse de me recevoir ? »

Avec une belle assurance, Rospignac le rassura :

« Pour ce qui est de vous renseigner, fit-il, je ne vois pas pourquoi elle s’y refuserait. Moi, je suis à son service. Elle me donne un ordre. Je l’exécute. Je n’ai pas d’explications à demander quand on ne m’en fournit pas spontanément. Vous, c’est différent. Vous vous intéressez à cette jeune fille. C’est votre droit. La reine m’a dit qu’elle ne lui veut aucun mal, alors pourquoi ne parlerait-elle pas ?

– Oui, c’est bien ce que je me dis. Mais si elle ne me reçoit pas ?

– Allons, vous n’avez pas votre tête bien à vous, à ce que je vois. Vous devriez bien penser pourtant que, si je prends la peine de vous accompagner, c’est que je sais que je pourrai vous être utile. J’ai l’honneur d’être admis auprès de Sa Majesté à n’importe quelle heure. Je serai votre introducteur. J’irai demander audience pour vous. Et je réponds de l’obtenir.

– Quoi ! Vous consentiriez !… »

Rospignac haussa les épaules d’un air détaché et bougonna :

« Ma parole, vous êtes stupide, vicomte. Y a-t-il là de quoi s’émerveiller comme vous le faites ? »

Ferrière contempla Rospignac d’un œil ému. Et lui prenant la main :

« Rospignac, fit-il avec douceur, il faut que je vous demande pardon. Je ne vous aimais pas…

– Je le sais, interrompit Rospignac en souriant. Je sentais bien qu’il y avait un malentendu entre nous. Vous êtes mon parent, Ferrière. Parent très éloigné, je le sais bien. Mais vous êtes aussi le fils du vidame de Saint-Germain, l’homme que j’aime et respecte le plus au monde. Et je m’étais juré de faire tomber les injustes préventions que vous aviez contre moi. L’occasion s’est présentée. Je l’ai saisie avec joie. Je regrette seulement que ce soit si peu de chose.

– Quelle erreur ! protesta Ferrière avec chaleur. Vous ne pouviez pas me rendre de service plus signalé que celui que vous êtes en train de me rendre. Car, je puis vous le dire maintenant, Fiorinda est ma fiancée. Bientôt elle sera ma femme. »

Rospignac eut le bon goût de ne pas montrer un étonnement excessif qui pouvait être froissant.

Ils se prirent par le bras, comme deux excellents amis, entrèrent ensemble au Louvre et se dirigèrent vers les appartements de la reine mère.

Rospignac fut introduit auprès de sa redoutable maîtresse.

Ferrière resta dans l’antichambre où il se tint à l’écart. Au bout d’un quart d’heure, Rospignac reparut. Rien qu’à voir son attitude triomphante, Ferrière comprit qu’il avait réussi dans sa démarche. Il respira plus librement.

« Sa Majesté, dit Rospignac, a été on ne peut plus aimable. Dans un instant, elle vous fera appeler. Fiorinda est ici. Elle est traitée fort convenablement. La reine, qui a entendu parler d’elle, a eu cette curiosité de vouloir la voir et de la consulter. Voilà tout le secret de cette disparition qui vous inquiétait. Dans quelques jours, demain peut-être, on lui rendra sa liberté en lui faisant un opulent cadeau pour la dédommager de ses ennuis et de son temps perdu.

– Pensez-vous qu’il me sera permis de la voir ? demanda Ferrière qui se sentait de plus en plus réconforté.

– La reine, assura Rospignac, m’a paru très bien disposée à votre égard. Elle vous accordera, je crois, tout ce que vous lui demanderez. »

Enfin, on appela le vicomte de Ferrière.

Ferrière et Rospignac se donnèrent l’accolade et, après l’avoir remercié avec effusion une dernière fois, le vicomte disparut, suivi du regard par le baron qui avait un sourire énigmatique aux lèvres, et qui sortit à son tour des appartements de la reine.

Catherine répondit par une inclinaison de tête et un gracieux sourire au profond salut de Ferrière qui se courbait respectueusement devant elle.

« Votre parent, Rospignac, fit-elle, m’a dit que vous étiez inquiet du sort de cette petite diseuse de bonne aventure, et je tiens à vous déclarer, vicomte, qu’il ne lui est rien arrivé de fâcheux.

– C’est ma fiancée, madame !

– Votre fiancée !… Mais… pardonnez-moi, vicomte, une reine est un peu comme la mère de ses sujets et je m’intéresse particulièrement à vous… Cette petite n’a ni nom, ni biens, ni titres.

– C’est vrai, madame. Mais j’ai de tout cela plus qu’il n’en faut pour deux.

– Et monsieur le vidame connaît-il vos intentions ? » dit-elle.

Avec la plus entière franchise, Ferrière confessa :

« Je les lui ai fait connaître, madame.

– Et ?…

– Mon père s’oppose formellement à cette union.

– Alors, que comptez-vous faire ?

– J’attendrai que mon père cède.

– Il ne cèdera pas, dit Catherine en secouant la tête d’un air soucieux.

– Alors, j’aurai le regret de me passer du consentement paternel.

– Vous ferez cela ?…

– Oui, madame… Et rien ni personne au monde ne pourra m’en empêcher.

– Pauvre enfant ! Je comprends votre inquiétude maintenant. Mais cette enfant, pourquoi n’a-t-elle pas parlé, la sotte ? Je vous eusse fait prévenir… Vite, vicomte, il faut rassurer cette pauvre enfant !…

– Quoi, madame, vous daignez permettre ?…

– Certainement que je permets !… Et je m’excuse de tous les ennuis que je vous ai involontairement causés. »

Elle avait déjà frappé sur le timbre. Ce fut Mme de Fontaine-Chalandray qui parut aussitôt.

« Torcy, ma belle, dit vivement Catherine, conduisez, je vous prie, M. le vicomte de Ferrière auprès de la jeune fille que vous trouverez dans le petit cabinet attenant à ma chambre à coucher. »

Et se tournant vers Ferrière :

« Allez, vicomte, et ne m’en veuillez pas trop.

– Comment vous en voudrais-je ? madame, alors que vous me traitez avec tant de bonté ? »

Elle se pencha sur lui et confidentielle :

« Vous me plaisez, vicomte, dit-elle, et je vous dois une compensation ; je parlerai à M. le vidame… je tâcherai de lui faire entendre raison… Et comme je suis assez éloquente quand je parle pour ceux que j’aime, je crois que je réussirai… Chut ! Vous me remercierez plus tard. Allez ! »

Share on Twitter Share on Facebook