X FERRIÈRE ET FIORINDA

En voyant paraître son fiancé, la jeune fille avait eu un petit cri de joie et son premier mouvement, tout impulsif, avait été de courir à lui les bras tendus. Et il avait refermé les siens sur elle dans une douce et chaste étreinte, appuyant la chère tête contre son cœur qui battait la chamade, frôlant du bout des lèvres l’opulente chevelure, se grisant du parfum subtil qui s’exhalait de toute sa personne.

Un long moment, ils se tinrent ainsi étroitement enlacés.

Ce fut elle qui revint la première au sentiment de la réalité.

« J’étais sûre que vous me trouveriez ! dit-elle.

– Charbieu ! Fussiez-vous cachée au plus profond des enfers que j’aurais tôt fait de vous y découvrir ! »

Ils riaient tous les deux. Cependant ils sentaient que leurs paroles étaient très sérieuses. Ils devinaient que chacun d’eux avait en l’autre une confiance absolue, que rien ne pouvait entamer.

Rêveur, il murmura, comme se parlant à lui-même :

« C’est curieux, il n’y a cependant pas longtemps que je vous connais, et il me semble que c’est loin, loin… Si loin que je finis par me persuader que je vous ai toujours connue… Je ne peux pas admettre que j’ai vécu si longtemps sans vous, ai-je vécu seulement ?… Eh ! non, par la chair de Dieu ! En réalité, ma vie ne date que du jour où je vous ai vue. Avant, je n’étais qu’un corps sans âme.

– C’est tout à fait comme moi, dit-elle. Si je vous perdais maintenant… je mourrais. »

Ils étaient redevenus sérieux tous les deux. Ils se regardèrent un inappréciable instant. Et leurs mains s’étreignirent dans un geste spontané.

Catherine, adroitement dissimulée derrière une tenture voyait et écoutait les fiancés. Elle songea :

« Ils s’adorent, c’est certain… En jouant adroitement de leurs sentiments que je connais maintenant, j’obtiendrai d’eux une soumission passive à mes volontés… »

Pendant qu’elle se faisait cette réflexion, Ferrière prenait Fiorinda par la main et la conduisait à un siège où elle s’asseyait pendant que lui-même demeurait respectueusement debout devant elle. Et ils se mirent mutuellement au courant de ce qui leur était arrivé.

Ce fut Fiorinda qui parla la première. Elle raconta comment elle avait été enlevée au moment où elle se disposait à frapper à la porte de l’hôtel de la rue des Petits-Champs.

« Comme vous avez dû avoir peur quand vous avez été saisie », s’apitoya Ferrière.

Elle avoua franchement :

« Oui, j’ai eu peur… très peur même… »

Elle réfléchit un instant, l’œil perdu dans le vague. Et fixant son regard sur lui, très sérieuse, elle expliqua :

« Mais cela n’a duré qu’un instant très court. Et je n’ai pas perdu un seul instant la tête… »

Elle fouilla dans son sein et en sortit un mignon petit poignard qu’elle présenta à Ferrière en souriant :

« Avec cette arme qu’on avait eu le tort de me laisser, dit-elle, je ne crains personne. »

Elle disait cela très simplement, sans forfanterie aucune, en personne qui connaît la valeur exacte de sa force physique et de son courage.

Il dit en hochant la tête d’un air soucieux :

« Même avec cette arme, vous ne pèseriez pas lourd entre les mains d’un homme résolu et dénué de scrupules.

– Ne vous y fiez pas trop, dit-elle en riant. Il m’est arrivé d’en tenir avec cela plus d’un en respect… que je n’eusse pas hésité à frapper sans pitié… qui l’a très bien compris… et qui a jugé prudent de se défiler et de me laisser tranquille.

– Une brute aurait eu tôt fait de vous enlever ce joujou. »

Elle reprit son poignard, le remit dans son sein et, très sérieuse :

« C’est possible, dit-elle, quoique ce ne soit pas très sûr. Mais j’ai autre chose : certains grains que je porte toujours sur moi, que je défie bien qu’on me prenne, attendu qu’on ne les trouvera pas. Si quelqu’un, après avoir réussi à me désarmer, pensait avoir raison de moi par la violence, je suis bien résolue, allez. J’absorberais ces grains – deux suffisent – et ce quelqu’un se trouverait en présence d’un cadavre. L’effet de ce poison est foudroyant. Vous voyez bien donc que de toute manière je suis tranquille. »

Il ne put s’empêcher de frissonner tant elle avait montré de résolution froide dans sa détermination. Il se courba, prit sa main, la porta à ses lèvres avec une sorte de ferveur dévote et murmura :

« Heureusement, je suis là, maintenant. Vous n’avez plus rien à redouter.

– Qui sait ? dit-elle d’un air rêveur. En attendant le jour heureux où vous serez mon époux, je garde mon poignard… et mes grains. »

Puis ce fut au tour de Ferrière à expliquer comment il avait réussi à la découvrir si rapidement. Quand elle sut que c’était Rospignac qui avait conduit Ferrière près d’elle, Fiorinda se sentit prise d’une secrète angoisse. Une sorte d’instinct lui faisait pressentir un piège caché dans cette intervention. Elle fut d’autant plus inquiète que Ferrière ne tarissait pas d’éloges à l’égard de Rospignac, comme il avait fait pour Catherine.

Un instant, Fiorinda se demanda si elle ne ferait pas bien de lui dire la vérité. Elle craignait d’inquiéter inutilement le jeune homme. Elle voulut cependant le mettre sur ses gardes :

« Méfiez-vous de M. de Rospignac, dit-elle.

– Pourquoi ? » fit-il, étonné.

Et tout à coup, illuminé par une pensée subite : « Vous aurait-il importuné de ses assiduités ?

Fiorinda n’avait pas voulu dénoncer Rospignac. Mais, dès l’instant que Ferrière entrevoyait la vérité, elle ne voulut pas mentir.

« Oui », dit-elle franchement.

Ferrière fronça le sourcil et se mit à réfléchir.

Fiorinda poursuivit :

« M. de Rospignac ayant cru devoir me parler de son amour, vous comprenez que j’ai lieu de m’étonner et de m’inquiéter de le voir si complaisant envers un rival qui lui est préféré… qu’il doit détester, par conséquent.

– Tranquillisez-vous, je vois ce qu’il en est. Rospignac est un galant homme. Il a vu que vous ne l’aimiez pas. Il se l’est tenu pour dit. C’est très simple et très naturel. D’autant que le sentiment qu’il avait pour vous n’était pas très profond, sans doute. Puis Rospignac est un peu mon parent. Je vous assure que maintenant qu’il sait que vous allez être ma femme, il renoncera sans arrière-pensée à toute idée sur vous.

– N’importe, croyez-en mes pressentiments qui ne me trompent jamais : méfiez-vous de Rospignac… Et gardez-vous. Gardez-vous bien. »

Et, à partir de ce moment, Ferrière eut beau dire et beau faire, il ne parvint pas à chasser cette sourde angoisse qui était entrée en elle. Son instinct de femme aimante ne la trompait pas.

Catherine avait assisté, invisible, à cet entretien. Quand elle vit que les deux amoureux ne parlaient plus que du vidame qui refusait son consentement à cette union qu’il jugeait déshonorante, elle jugea qu’elle n’apprendrait plus rien d’intéressant. Elle revint dans sa chambre et sortit encore une fois.

Elle prit un autre chemin que celui qu’elle avait pris pour venir. Elle entra dans une espèce d’antichambre. Un officier se tenait là avec huit gardes.

« Allez », commanda laconiquement Catherine.

Et elle passa lentement, sans ajouter une syllabe.

Aussi laconique qu’elle, l’officier commanda à ses hommes :

« Allons. »

Et il partit, suivi par ses soldats, la pique à la main.

Ferrière prenait congé de Fiorinda après lui avoir dit tout ce qu’il croyait de nature à la rassurer et sur sa situation présente et sur leur mariage qui se ferait avant longtemps, malgré l’opposition paternelle.

Fiorinda n’avait aucune appréhension sur son propre sort. Par contre et malgré elle, elle tremblait pour Ferrière. Elle aurait été embarrassée de dire pourquoi, ni de préciser ce qu’elle craignait. Mais c’était plus fort qu’elle : elle avait peur pour lui.

Elle s’était levée. Elle allait avec lui vers la porte.

« Vous reverrai-je bientôt ? dit-elle d’une voix angoissée.

– Je reviendrai demain. Du moins, je l’espère. Mme Catherine ne me refusera pas, je pense, cette faveur. Vous savez que je vous ai dit qu’elle m’a promis spontanément d’intercéder pour nous auprès de M. mon père.

– Mme Catherine est bien bonne », murmura Fiorinda.

À ce moment, on frappa discrètement à la porte devant laquelle ils se tenaient.

Elle s’arracha de son étreinte en disant :

« On vient vous chercher. Partez. »

Ils n’eurent pas le temps de faire un mouvement. La porte s’ouvrit.

Et ils demeurèrent interdits tous les deux : au lieu de la dame d’honneur qu’ils s’attendaient à voir, ce fut l’officier à qui Catherine avait dit ce seul mot : « Allez ! » qui parut sur le seuil. Cet officier fit deux pas, se découvrit poliment et, sur un ton courtois prononça :

« Monsieur le vicomte, j’ai le regret d’être chargé d’une mission pénible : veuillez me remettre votre épée. »

Et, prenant un parchemin passé à sa ceinture, il le présenta tout ouvert en ajoutant de sa voix la plus rude :

« Ordre du roi… Signé de sa propre main.

– Vous m’arrêtez ! dit Ferrière avec une froideur effrayante. Pourquoi ? »

Une voix doucereuse prononça, au fond de la pièce : « Je dois vous le dire, monsieur de Ferrière. »

Ferrière et Fiorinda se retournèrent d’un même mouvement, tout d’une pièce. Et ils se trouvèrent en présence de Catherine qui venait d’entrer sans bruit par une petite porte perdue dans la tapisserie, à laquelle ils n’avaient pas fait attention.

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