« Monsieur, dit Catherine en s’adressant à l’officier toujours impassible dans l’accomplissement de sa consigne, veuillez vous retirer un instant. M. de Ferrière vous appellera lui-même quand il en sera temps. Ne vous éloignez donc pas trop. »
L’officier s’inclina respectueusement et sortit aussitôt.
Catherine se tourna alors vers Fiorinda et, gracieusement :
« Tout à l’heure, je m’occuperais de vous, mon enfant. En attendant, vous pouvez demeurer. Les affaires de famille dont je vais m’entretenir avec M. de Ferrière vous intéressent jusqu’à un certain point, puisque vous allez être sa femme. »
Elle s’assit posément et, revenant à Ferrière qui attendait toujours son bon plaisir :
« Il me paraît, vicomte, dit-elle avec amabilité, que je suis intervenue à temps pour vous empêcher de commettre une folie. Vous alliez, je crois, faire rébellion armée à un ordre du roi ? »
Ferrière eut une imperceptible hésitation et avoua franchement :
« En effet, madame. J’avoue qu’il me serait particulièrement pénible de me voir emprisonné en un moment où j’ai le plus besoin de toute ma liberté.
– Enfant ! sourit Catherine indulgente. Pensez-vous que cet officier, qui accomplissait son devoir, était seul ? Pensez-vous que vous seriez venu facilement à bout des soldats qu’il avait laissés dans le couloir ? Pensez-vous qu’on sort ainsi du Louvre lorsque certaines précautions élémentaires ont été préalablement prises ?
– C’est vrai, madame, confessa Ferrière rembruni ; mais on ne songe à ces choses-là qu’après. »
Catherine se fit sérieuse pour dire :
« C’est parce que j’ai deviné que vous êtes de ces hommes d’action qui foncent tout d’abord que j’ai voulu prévenir un malheur… Je vous ai dit, vicomte, que vous me plaisez. Ma conduite vis-à-vis de vous le prouve… Si vous n’aviez fait que vous exposer vous-même, peut-être vous eusse-je laissé faire. Mais, votre rébellion dans cette affaire, c’était la condamnation à mort du vidame, votre père. Et j’ai voulu vous épargner cet horrible crime.
– Puis-je vous demander, madame, en quoi et comment mon père serait tenu pour responsable de mes actes, à moi, au point de les payer de sa tête ?
– C’est ce que je vais vous expliquer. Je ne suis venue que pour cela. »
Elle s’accota commodément, en personne qui a le temps, et commença :
« Pendant ces deux heures que vous venez de passer ici, le roi a été avisé de choses très graves, singulièrement compromettantes pour M. le vidame de Saint-Germain, et qu’il ignorait avant. Le hasard m’a amenée juste à point dans son cabinet pour apprendre moi-même ces choses terribles et l’arrêter au moment où, dans sa colère, juste et légitime, il faut le reconnaître, il allait faire un éclat violent, irréparable peut-être. Ces choses que nous venions d’apprendre, je pense que vous les connaissez et qu’il est inutile de vous en parler.
« Samedi soir, M. le vidame a reçu en grand mystère la visite de M. le duc de Guise, accompagné de son frère le cardinal et de M. le duc de Nemours. C’est le baron de Rospignac, que je ne savais pas traître, qui est allé recevoir ces messieurs en l’absence du portier éloigné pour la circonstance. La conférence a été longue. Vous n’y assistiez pas, d’ailleurs. Tout se paie en ce bas monde, hélas ! même le dévouement. M. le vidame a consenti à s’employer activement à faire reconnaître le duc de Guise pour roi de France. En échange de ces services, on vous accordait à vous vicomte, la main de Mme Claude de Guise, fille légitime du feu duc.
« Tout cela a été rapporté par un émissaire secret du roi qui a réussi à s’introduire dans la place et qui a tout vu, tout entendu. Cet homme a même réussi à s’emparer d’un parchemin, dont vous avez dû entendre déplorer la perte par les conjurés.
– J’ignorais quant à moi cette histoire invraisemblable. Mon père, je le crois fermement, n’aura aucune peine à se disculper de ces sottes accusations. Pour ce qui est de mon humble personne, je ne cache pas à Votre Majesté que je ne vois toujours pas pourquoi elle a cru devoir conseiller mon arrestation… À moins qu’on ne me veuille tenir pour responsable des actes de mon père, comme tout à l’heure vous disiez que mon père serait tenu pour responsable de mes actes à moi.
– C’est précisément cela, affirma Catherine qui reprit son air bienveillant. Ce que vous venez de dire, je l’ai dit en propres termes au roi : M. le vidame, ai-je dit, aura tôt fait de se disculper. Mais le roi a poussé les hauts cris. Il voulait faire arrêter le vidame sans plus tarder. C’est alors que je lui conseillai de ne pas ébruiter cette triste affaire, de s’assurer à la douce, sans esclandre, de votre personne, d’aviser ensuite votre père, de le sommer de s’expliquer, et si les explications paraissent insuffisantes de lui dire : « Vie pour vie, si vous bougez, la tête de votre fils tombe sous la hache du bourreau. »
Sous son calme apparent, Ferrière fut atterré. Il adressa à Fiorinda un long regard éploré où se lisait toute son angoisse. Et elle, s’efforçant de sourire bravement, lui répondit en lui montrant la paume de sa main. Ce qui était une manière de lui rappeler sa prédiction : « Vous avez de longues années à vivre. Et des années heureuses. »
Ferrière redressa sa tête qu’il avait tenue penchée un instant et la regardant en face :
« Ainsi, madame, j’ai bien compris : je suis un otage entre les mains du roi ?
– Un otage, c’est le mot.
– De ma soumission, dépend la vie de mon père, comme de sa soumission, a lui, dépendra la mienne ?
– C’est tout à fait cela.
– C’est bien, madame, je ne résisterai pas. Je suis prisonnier du roi. Vous plaît-il que j’appelle moi-même l’officier et que je me remettre entre ses mains ? »
Une lueur de triomphe passa dans l’œil de Catherine. Elle complimenta :
« Vous êtes bien tel que je vous avais jugé : brave, loyal et généreux. Soyez sans inquiétude, je vous tirerai de là. Je vous le promets. Mais n’oubliez pas que le roi tient essentiellement à ce qu’on ignore votre arrestation… momentanément du moins.
– Madame, protesta Ferrière, je vous jure que personne ne saura rien par mon fait. »
Catherine eut l’air de réfléchir une seconde et dit en se levant :
« Allez à la Bastille.
– J’y vais », fit simplement Ferrière.
Il s’inclina devant elle, lança un dernier regard à Fiorinda qui lui sourit bravement et se dirigea résolument vers la porte.
Lorsqu’elle se vit seule, Fiorinda se laissa tomber sur un siège, prit sa tête entre ses deux mains, et elle se mit à sangloter éperdument. Tout ce beau courage qu’elle avait montré devant Ferrière s’évanouissait brusquement à présent qu’il n’était plus là.
Pendant ce temps, Catherine pénétrait dans une petite antichambre où régnait un demi-jour qui lui donnait un aspect presque sinistre. Un homme se tenait là, tout seul, assis sur une banquette de chêne. Il était correctement et proprement vêtu comme un gentilhomme. Mais il n’y avait pas besoin de le regarder deux fois pour comprendre que c’était ce que l’on appelait alors « un homme fort résolu », autrement dit, un bravo, un sinistre bandit.
En voyant paraître Catherine, l’homme se leva précipitamment et se tint courbé devant elle dans une attitude de basse humilité.
« Vite, dit Catherine, il va sortir. Va l’attendre devant la porte. Tu l’as bien vu ? Tu ne te tromperas pas ? »
D’une voix rocailleuse qu’il s’efforçait visiblement d’adoucir, l’homme répondit avec une inconsciente familiarité.
« N’ayez pas peur, madame, on a son portrait là, dans l’œil. On ne se trompera pas. On connaît son métier, tripes du diable. »
Sans manifester ni surprise ni dégoût devant ce langage trivial, elle s’assura :
« Tu sais bien ce que tu dois faire ? Répète un peu. »
Docile, il s’exécuta :
« N’ayez pas peur… Voilà : Je suis l’homme pas à pas. S’il entre à la Bastille. Va bien, la besogne est toute faite… S’il s’écarte du droit chemin… V’lan ! je lui flanque six pouces de fer entre les deux épaules… Comme ça, sans crier gare, pour lui apprendre à vivre… N’ayez pas peur, on connaît la manœuvre. »
Elle avait écouté avec attention sans marquer la moindre impatience. Elle approuva doucement de la tête et précisa :
« Donne-lui le temps d’arriver cependant. Il est inutile de te presser… Puis, fais bien attention : pour aller d’ici à la Bastille, il y a plus d’un chemin. Il n’est pas obligé de prendre par le plus court… Il est probable qu’il flânera en route… Enfin, ne précipite rien. N’oublie pas que j’aime mieux le voir à la Bastille que de le voir tomber sous ton coup de poignard. Cela est très important pour moi. »
Elle laissa tomber une bourse convenablement gonflée qui rendit un son argentin qui parut des plus agréables à l’homme intelligent.
Il allongea une griffe velue et subtilisa la bourse avec une dextérité qui tenait du prodige. Après quoi, il disparut lui-même.