XX LA RÉCOMPENSE

Très simplement, sans pose, sans rechercher l’effet, en souriant de son joli rire réconfortant, Fiorinda dit juste tout le contraire de ce que Catherine lui avait ordonné de dire.

Ses prétendues révélations causèrent un tel ravissement à Marie Stuart qu’oubliant la présence de sa belle-mère elle jeta les bras autour du cou de François, aussi radieux qu’elle, et l’embrassa de tout son cœur en disant :

« Ah ! mon doux cœur, que je suis heureuse !… »

Fiorinda, pendant ce temps, observait Catherine.

Elle s’était assise un peu à l’écart. Elle ne sourcillait pas. Elle souriait doucement, elle hochait la tête d’un air rêveur, elle semblait se réjouir de la joie puérile de ses enfants.

Fiorinda songea :

« Prodigieuse comédienne !… Si je ne savais ce que je sais, je me laisserais prendre à ces airs d’amour maternel !… Mais je ne vous laisserai pas faire, madame Catherine, et puisque je dois payer de ma vie ce que vous ne manquerez pas d’appeler une trahison, j’irai jusqu’au bout, je mettrai le roi en garde contre vos ténébreuses menées… Condamnée pour condamnée, vous ne pourrez jamais me meurtrir qu’une fois après tout.

Pendant un quart d’heure environ, elle répondit avec une inlassable complaisance à toutes les questions que le roi et la reine lui posèrent. Car, maintenant que toute appréhension était bannie de leur esprit, ils se montraient insatiables.

Comme si elle venait de faire une découverte importante, Fiorinda s’écria tout à coup :

« Ah ! un point noir !… Un danger qui vous menace !… »

Et, comme elle voyait une ombre assombrir le front du roi, elle se hâta d’ajouter :

« Je le signale parce que je vois que le triomphe est assuré. »

Les voyant rassurés tous les deux, elle révéla, avec une gravité soudaine destinée à les impressionner et qui, en effet, les impressionna vivement :

« Votre amour est la chose à laquelle vous tenez le plus au monde… Je vois, fureur, haine, jalousie, suscitées par votre amour, dans votre entourage immédiat. Gardez-vous bien, gardez-vous dans votre amour, car c’est par lui qu’on veut vous frapper. Je vois, en effet, de sourdes et méchantes machinations autour de vous. Vous en triompherez, je le répète, mais veillez, gardez-vous, méfiez-vous de tous et de toutes… J’ai dit. »

En donnant cet avertissement, elle tenait les yeux fixés avec insistance sur les yeux de François. Il comprit que c’était surtout à lui qu’elle s’adressait et qu’elle faisait allusion à ce qu’elle aurait dû faire ou dire elle-même. D’un léger signe de tête, il marqua qu’il avait compris et remercia d’un sourire.

Catherine comprit qu’elle la narguait. Elle continuait de sourire d’un air énigmatique.

La consultation était terminée. Catherine se leva, s’approcha lentement de sa bru, et, gaiement, d’un air triomphant :

« Eh bien, ma fille, que dites-vous de ma petite diseuse de bonne aventure ? »

Radieuse, Marie Stuart déclara :

« Je dis, madame, que je suis enchantée et émerveillée.

– Je vous avais bien dit que cette petite Fiorinda est étonnante », sourit Catherine.

Et, fixant Fiorinda de son regard acéré, elle répéta avec une insistance étrange :

« Étonnante, oui, vraiment, elle est prodigieusement étonnante, cette petite ! »

Ceci pouvait passer pour un compliment. En réalité, ce que Catherine trouvait prodigieusement étonnant, c’est que cette humble et pauvre fille eût consenti, et avec quelle jolie crânerie, à faire le sacrifice de sa vie pour assurer le bonheur du roi… Cela la dépassait.

Fiorinda devina sa pensée. Et elle se mit à rire de son joli rire clair et perlé. Elle ne se doutait pas que depuis l’instant où elle avait résolu de désobéir à Catherine elle était tout bonnement admirable. Elle ne soupçonnait pas qu’en se montrant insoucieusement gaie comme à son ordinaire, alors qu’elle se savait condamnée, elle faisait preuve d’un courage rare que bien des hommes réputés courageux eussent pu lui envier.

François s’approcha de Fiorinda. Lui aussi, il la fixa avec insistance et, appuyant sur ses mots comme pour lui faire comprendre qu’il leur donnait une valeur plus grande que celle qu’ils paraissaient avoir, il lui dit :

« Vous venez d’exercer votre art, un peu inquiétant, avec un tact, une adresse que je ne saurais trop louer. Je vous en remercie et je vous en sais un gré infini. Je n’oublierai pas ce que vous venez de faire, foi de roi. »

Il détacha son collier et le lui passa autour du cou en disant :

« Gardez ce joyau en souvenir de cette scène. Et croyez que je ne me tiens pas quitte pour si peu envers vous. »

Marie Stuart, qui s’entretenait avec Catherine, laquelle affectait de ne parler que de sa diseuse de bonne aventure, vit le geste de son époux. Elle intervint à son tour. Et, enlevant de ses doigts deux bagues magnifiques, elle les mit elle-même au doigt de Fiorinda en disant :

« Je veux que vous emportiez aussi un souvenir de moi. Celle-ci (elle désignait la première bague) est un don de la main gauche… celle dans laquelle vous venez de lire… Et comme la main droite doit ignorer ce que fait la main gauche, voici pour la main droite (elle montrait la deuxième bague). »

Le moindre de ces joyaux représentait à lui seul une fortune. Une fortune comme Fiorinda n’avait jamais osé en espérer une pareille, même dans ses rêves.

Elle les accueillit cependant avec ce même air détaché avec lequel elle empochait la pièce blanche qu’on lui donnait pour prix de sa consultation.

Elle admira cependant le brillant des pierres, le velouté laiteux des perles. Elle les admira une seconde à peine, en artiste raffinée qu’elle était. Et elle se dit :

« À quoi bon ?… Catherine est là qui m’attend, qui ne s’en ira pas sans moi, et qui ne pardonnera pas… Et puis… je veux bien donner tout mon sang pour cette reine si bonne, si aimable, si douce… pour le roi qui est un ami que j’aime… Mais je veux le donner et non le vendre. »

Elle retira doucement les bagues et le collier et les déposa sur une petite table qui se trouvait à sa portée. Et comme François esquissait un geste de protestation, elle fléchit le genou et, de sa voix musicale très douce qui ne tremblait pas :

« Pardonnez-moi, Sire, ce sont là bijoux précieux dont ne saurait se parer une pauvre fille comme moi. »

D’un geste vif, François reprit les bijoux avec l’intention évidente de les lui remettre de force.

Elle joignit les mains dans un geste de supplication et, baissant la voix :

« Je supplie humblement Votre Majesté de ne pas insister, dit-elle. Ne croyez pas que je sois guidée par un sot orgueil. Il me serait infiniment doux de pouvoir me dire à moi-même que je n’ai agi, dans cette affaire, que par pur dévouement pour ma reine et pour mon roi. »

François laissa retomber précipitamment les bijoux sur la table et, la relevant avec affabilité :

« Je comprends, dit-il. Beaurevers n’exagérait pas quand il m’assurait que vous aviez toutes les délicatesses. Je regrette de l’avoir oublié. »

Très à son aise, en souriant de son sourire espiègle, Fiorinda répliqua :

« Ne vous y fiez pas trop, Sire. Si je refuse ces splendides joyaux… c’est que j’ai une récompense mille fois plus précieuse à solliciter.

– Ah ! ah ! fit François avec un sourire engageant, quelle est cette récompense ?

– L’honneur de baiser votre main et celle de la reine », dit Fiorinda en s’inclinant.

Le premier mouvement de François fut de la prendre dans ses bras et de lui donner une accolade fraternelle. Il se souvint que Catherine était là. Il se résigna à jouer son rôle de roi jusqu’au bout. Et il tendit sa main dans un geste vraiment majestueux.

Fiorinda se courba et effleura respectueusement cette main du bout des lèvres.

Mais François ne put s’empêcher alors de laisser éclater la joie intérieure qui le débordait. Il se tourna vers Marie Stuart attentive et, désignant du coin de l’œil alternativement Fiorinda et les précieux bijoux demeurés sur la table, d’un air triomphant :

« Eh bien, m’amour, que dites-vous de cela ? »

Marie Stuart était loin de soupçonner le drame secret qui venait de se dérouler devant elle et dans lequel elle avait joué son rôle sans le savoir. Elle soupçonnait encore moins le service capital que Fiorinda venait de lui rendre et qu’elle devait payer de sa vie. Elle avait été conquise par le charme prenant, par la grâce espiègle, par la gaieté communicative de la jeune fille. Elle n’avait pas les mêmes raisons que le roi de se tenir sur la réserve. Elle suivit l’impulsion de son cœur bon et généreux.

« Je dis, s’écria-t-elle, que cette belle enfant a les sentiments d’une princesse de sang royal… Et c’est comme telle que je veux la traiter. »

Et, se penchant sur Fiorinda qui, courbée devant elle, attendait qu’elle lui donnât sa main à baiser, elle la releva vivement et plaqua sur ses joues fraîches et roses deux francs baisers.

Alors le roi congédia et, s’adressant à Catherine :

« Je vous remercie, madame, de la bonne pensée que vous avez eue, et je ne l’oublierai pas. »

Il disait cela très sérieusement et, sans qu’il fût possible à Catherine attentive de démêler si ses paroles avaient un sens autre que leur sens apparent. Il ajouta :

« Allez, madame, emmenez votre protégée qui devient la nôtre à dater de cet instant. »

Raide, fantomatique, son sourire énigmatique aux lèvres, Catherine sortit, suivie de Fiorinda.

Lorsqu’ils furent seuls, François désigna du doigt les bijoux à Marie Stuart en disant :

« Gardez ceci, ma mie, le roi et la reine de France ne sauraient reprendre ce qu’ils ont donné. Ces joyaux que Fiorinda a si noblement refusés appartiennent à la vicomtesse de Ferrière qui ne les refusera pas, elle, j’en réponds.

– Et nous y ajouterons encore, n’est-ce pas, mon cher sire ?

– C’est bien mon intention, sourit François.

– Ah ! comme vous avez raison d’être bon pour vos amis, mon doux François, soupira Marie Stuart qui se suspendit à son cou et ajouta : Ils ressemblent si peu à ceux qui se disent vos amis ici. Je suis heureuse, je me sens rassurée maintenant que je vous sais entouré d’amis si francs, si braves, si noblement dévoués et désintéressés. »

Elle lui tendit les lèvres. Il mordit à même, en amoureux gourmand qu’il était. Mais il se dégagea presque aussitôt avec douceur et, très sérieux :

« Plus noblement dévoués que vous ne pensez, m’amour, dit-il en revenant à ses amis. Dévoués jusqu’à la mort… C’est pourquoi je ne dois pas les laisser dans l’embarras mortel où ils se sont mis pour moi… pour vous. Vous comprenez, mon cœur, qu’il faut que je vous quitte. »

Pour la première fois, elle eut l’intuition qu’il s’était passé sous ses yeux quelque chose de très grave qu’elle n’avait pas soupçonné. Elle ne fit pas la grimace. Elle lui tendit encore une fois les lèvres et, le repoussant doucement de sa blanche main, elle dit, très sérieuse à son tour :

« Allez, mon doux cœur, allez où le devoir vous appelle. »

François partit aussitôt. Dans sa petite chambre, il trouva Beaurevers qui se promenait nerveusement en l’attendant et qui se retourna tout d’une pièce en entendant ouvrir la porte.

Un coup d’œil jeté sur la physionomie rayonnante du roi lui suffit pour comprendre que tout s’était bien passé. Et il respira plus librement.

D’ailleurs, François annonça sans plus tarder :

« Elle n’a dit que des choses agréables, réconfortantes.

– La brave petite ! » murmura Beaurevers attendri.

Et tout haut :

« A-t-elle hésité ?

– Il me semble bien que oui, un moment. Il faut croire qu’elle se sentait menacée. Pourtant, le calme et l’aisance qu’elle a montrés me permettaient de croire que la menace suspendue sur elle ne devait pas être bien grave, car elle n’a pas manifesté la moindre inquiétude. »

Beaurevers se permettait parfois de rudoyer le roi tout aussi bien que le comte de Louvre. Et le roi ne s’en formalisait pas plus que le comte. S’il n’avait pas dit toute la vérité au roi, comme on a pu s’en rendre compte par les paroles qu’il venait de prononcer, maintenant que le danger était conjuré, il tenait essentiellement à ce qu’il sût exactement à quoi Fiorinda s’était exposée pour son service. S’il s’était agi de lui, il se fût cru obligé de se taire. Mais il s’agissait d’un autre et il se croyait alors obligé de faire valoir le service rendu par cet autre.

C’est pourquoi il bougonna assez brutalement, sans nul souci de l’étiquette :

« Alors, parce qu’elle n’a pas tremblé, parce qu’elle n’a pas gémi, parce qu’elle ne s’est pas évanouie de terreur, parce qu’elle n’a pas perdu la tête enfin, vous en concluez qu’elle ne s’est exposée à rien de fâcheux pour vous ?

– Dame ! expliqua François assez penaud, il me semble qu’une femme qui se sent réellement menacée n’aurait pas montré cet air dégagé, ce visage souriant.

– Il vous semble mal, voilà tout, trancha péremptoirement Beaurevers. Ou plutôt Fiorinda n’est pas une femmelette comme toutes ces mijaurées de cour qui vous entourent. C’est une vraie femme et une Parisienne, brave, vaillante, forte, sachant, quand il le faut, narguer la grande faucheuse et lui rire au nez. Car, sachez-le maintenant, pour vous, Fiorinda a risqué sa tête… et peut-être celle de son fiancé. Ceci est déjà admirable. Ce qui l’est encore plus, c’est qu’elle a su le faire très simplement et si discrètement que vous n’y avez rien vu. »

François croyait toujours ce que lui disait Beaurevers, parce qu’il avait eu mille fois l’occasion de remarquer qu’il ne disait jamais que la vérité. Il ne douta donc pas un instant de ce qu’il disait. Très ému, il s’écria :

« Je ne souffrirai pas que cette brave enfant s’expose pour moi ! »

Beaurevers avait dit ce qu’il avait à dire. Il savait que ses paroles ne seraient pas perdues. Cela lui suffisait pour l’instant. Et il rassura de son air un peu railleur :

« Là, là, ne vous agitez pas ainsi, Sire. Vous devez bien penser que, si je vous dis : Fiorinda est menacée de mort, c’est que j’espère bien conjurer le péril. Mais je n’ai pas un instant à perdre si je veux arriver à temps. Ce qui veut dire que je vous demande la permission de me retirer.

– Allez, chevalier, allez », fit vivement François.

Et il ajouta avec une insistance significative :

« Ne ménagez rien ni personne pour sauver Fiorinda et Ferrière. N’oubliez pas que je vous couvre en tout ce que vous jugerez bon de faire et de dire. »

Beaurevers partit de ce pas rude et allongé qui lui était particulier quand il allait à la bataille.

Et François, qui le connaissait bien, remarquant ce détail, secoua la tête d’un air soucieux et murmura :

« Je crois que madame ma mère va passer un mauvais quart d’heure !… Pourvu qu’il réussisse, elle ne l’aura pas volé ! »

Il se mit à marcher lentement, d’un air rêveur, et, répondant à une pensée secrète, il soupira :

« C’est ma mère !… ma mère !… c’est affreux… ! »

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