Ce même jour, vers dix heures du soir, sous des rafales de pluie, dans la lueur livide des éclairs qui, en lettres de feu, sur le livre noir du ciel, écrivaient des choses mystérieuses, une barque, prise au même endroit que, douze ans auparavant, traversa la Seine. Comme douze ans avant, la reine Isabeau de Bavière et Amaury de Bois-Redon prirent pied dans la cité.
Ils eussent pu passer par le pont Notre-Dame.
Mais il eût fallu pour cela parlementer avec le poste d’archers du guet, et se faire reconnaître.
C’étaient donc les mêmes personnages. Seulement Bois-Redon avait monté en grade : il était maintenant capitaine du palais de la reine, c’est-à-dire une importante figure militaire de l’Hôtel Saint-Pol.
Ils arrivèrent à la maison de la rue aux Fèves et, bientôt, furent introduits.
Tout changeait. Bois-Redon était devenu un géant. La beauté de la reine plus forte, plus sombre peut-être, avait atteint à sa perfection. Nevers était duc de Bourgogne. Hardy était un jeune homme. Roselys, devenue Odette de Champdivers, une jeune fille. Tout, donc, se modifiait en pénétrant plus avant dans la vie. Saïtano seul était resté Saïtano ; ni plus vieux, ni plus maigre, il était le Saïtano d’autrefois, toujours avec son regard de feu, ses doigts longs, sa houppelande d’un rouge fané parsemée de suspectes taches noirâtres qu’on pouvait prendre pour des taches de sang.
– Belle nuit, dit-il, pour venir chez le sorcier. C’est par des nuits pareilles que je poursuis avec plus d’ardeur mon inlassable recherche. Les esprits de ceux qui ne sont plus aiment alors à tourbillonner dans l’espace. Les génies qui président à la science des hommes accourent alors. Et de les sentir autour de moi, dans l’atmosphère embrasée, cela m’aide et m’excite. Mais pour vous, madame, je renonce volontiers à cette nuit d’études.
– Ainsi, dit Isabeau, vous n’avez pas perdu l’espoir de trouver la liqueur de longue vie ?
– Je la trouverai, madame. Je recommencerai l’expérience qu’avec tant de peine j’avais préparée et qui a si misérablement avorté… l’enfant mort était vivant, madame !
– Oui, je sais, vous m’avez dit cela.
– Que me faut-il ? s’écria Saïtano en frappant sur un manuscrit déposé sur une table. C’est écrit là ! Ce livre, madame, je l’ai volé à l’homme qui passe pour le plus grand génie de la science… comme si je n’étais pas un savant, moi ! Je l’ai pris à celui qui, peut-être, a trouvé, lui !…
– Qui cela ? fit curieusement la reine.
– Nicolas Flamel ! dit Saïtano en frissonnant de jalousie. Eh bien, dans ce livre écrit tout entier de la main de Nicolas Flamel, je vois qu’il me faut le sang de trois enfants vivants et un enfant mort de mort violente sans effusion de sang. C’est difficile, madame. En ces temps, les mères surveillent leurs enfants… Depuis douze ans, madame, vous m’avez cent fois promis de m’aider…
– Oui, dit la reine pensive. Ce serait en effet une royauté splendide, plus étonnante que toutes les royautés de l’univers. Et ne serait-il pas maître du monde, celui qui aurait l’éternité devant lui !
– Il serait Dieu ! dit Saïtano.
– Saïtano, reprit Isabeau, ce qui est promis est promis. Tout ce qu’il faut faire pour la recherche du Grand-Œuvre, je le ferai. Reine à l’Hôtel Saint-Pol, je ne suis ici que ton élève. Mais pour la réussite même de la grande expérience, il faut que je puisse étendre sur toi ma protection occulte, comme je l’ai déjà fait, saisir au besoin et condamner le prévôt qui te soupçonnerait, comme je l’ai déjà fait, arrêter et jeter dans une fosse l’official qui commencerait à instruire ton procès, comme je l’ai déjà fait. Et pour cela, Saïtano, il faut que je garde le pouvoir. Or, mon pouvoir est menacé…
Comme il avait fait jadis, Saïtano sourit, se leva, alla à l’armoire de fer, en sortit un flacon et le tendit à la reine en disant : Ceci vous attendait…
Et comme Isabeau le regardait, étonnée :
– Votre pouvoir, madame, est menacé parce qu’une jeune fille habite l’Hôtel Saint-Pol…
Isabeau frémit. Un frisson de haine la secoua.
– C’est vrai, dit-elle d’une voix sourde. Alors… ce poison… est pour elle ?…
– Ce serait enfantin, madame. Nous tuerons Odette de Champdivers quand son heure sera venue. Nous tuerons le roi de France quand son heure sera venue, c’est-à-dire quand votre veuvage n’aura rien à redouter ni du duc d’Orléans, ni du duc de Berry, ni… du duc de Bourgogne !…
Et Saïtano pâlit à son tour ! La haine flamboya dans ses yeux. Il porta la main à sa joue, éclata de rire, et continua :
– Chacun aura son tour ! Allez, madame, soyez sans peur, soyez sans pitié, car les hommes n’aiment que ce qui est redoutable ; la race, voyez-vous est accoutumée au fouet !
– À quoi, alors est destinée cette liqueur ?
– À combattre l’influence d’Odette de Champdivers, à rendre au roi Charles VI cette précieuse démence qui faisait de vous le monarque le plus puissant du monde chrétien. Allez, madame. Pour le moment, mieux vaut pour vous un mari fou qu’un mari mort… Allez, et laissez-moi à mes études.
– Oh ! dit Isabeau, tu as raison ! Charles mort, c’est un nouveau roi sur le trône, et moi chassée, arrêtée peut-être ! Charles redevenu dément, c’est toute ma puissance retrouvée !
Saïtano sourit, prit un flambeau, et escorta jusqu’à la porte de la rue la reine et Bois-Redon. Un coup de vent éteignit le flambeau. Un instant, Saïtano regarda s’éloigner ses visiteurs. Il les vit, à la lueur d’un éclair, tourner le coin de la rue aux Fèves. Un coup de tonnerre ébranla la maison. Dans le même instant, comme Saïtano rentrait, une main rude repoussa la porte qu’il voulait fermer et l’ouvrit toute grande… Un jeune homme apparut, vêtu de velours gris sous son manteau ruisselant de pluie, repoussa dans l’intérieur Saïtano stupéfait, ferma la porte, s’inclina, et dit :
– Bonsoir maître. L’enfant mort vous salue !…
Saïtano recula de deux pas, et darda son regard aigu sur le chevalier de Passavant. Il n’avait pas besoin de le reconnaître : Ces mots « l’enfant mort vous salue » étaient une présentation suffisante. Saïtano fit bonne contenance.
– Vous venez avec le tonnerre, dit-il goguenard.
– Et comme le tonnerre, fit Passavant avec simplicité.
– Que voulez-vous ?
Sans répondre, Passavant entra dans la deuxième salle, prit un autre flambeau resté allumé sur la table, et pénétra dans la troisième salle. Il s’arrêta, devant la table de marbre. Sombre, agité de sentiments où la peur tenait sa place, Saïtano l’avait suivi. Passavant tira sa rapière et, de la lame flexible, fouetta la table.
– Ce fut ici, dit-il en frémissant.
Saïtano, au geste de cet ennemi qui mettait flamberge au vent, s’était ramassé pour une lutte suprême. Sa stupeur effarée s’évanouit. Que Jean sans Peur eût laissé vivre « le témoin », il remit à plus tard de se l’expliquer. Sans dire un mot, il saisit dans un coin une forte épée, et, laissant tomber son manteau, apparut ce qu’il était : admirablement campé dans sa maigre stature, tout en nerfs, l’œil froid, la main souple. Passavant se mit à rire. Si brave que fût Saïtano, ce rire fit pointer la sueur à la racine de ses cheveux.
– Où sont « les trois vivants ? » demanda Passavant.
– Je ne les ai jamais revus, dit froidement Saïtano.
– Oui, ils eurent assez peur, les pauvres diables, et sans doute l’envie de venir rôder par ici leur a passé pour toujours. Moi aussi j’ai eu peur. J’ai bien souvent eu froid dans le dos en songeant à cette seconde où je vis s’abattre sur ma poitrine votre main armée de la petite griffe d’acier. Mais je reviens tout de même. Me reconnaissez-vous ?
– Je vous reconnais à vos paroles.
– Oui. Le visage a changé. Savez-vous ce que je suis venu faire ici ?
– Vous venger, sans doute. Mais on ne me tue pas aussi facilement que vous l’avez cru.
En même temps Saïtano se rua l’épée haute et porta un coup furieux en criant : Meurs donc puisque tu étais destiné à mourir ici !… Le coup ne toucha pas, l’épée érafla le manteau ; sans se donner la peine de se mettre en garde, Passavant saisit cette épée à pleine main, l’arracha à son adversaire, la brisa sur son genou et en jeta les tronçons. Cela dura le temps d’un éclair. Dans le même instant, il se plaça d’un bond devant la porte et coupa toute retraite. Désarmé, vaincu dès le premier contact, sûr d’être tué, Saïtano se croisa les bras, jeta un farouche regard à Passavant et attendit.
Le jeune homme n’était pas venu chercher un duel dans l’antre de Saïtano. Mais cette brusque attaque modifia ses idées. Il sourit, et dit :
– Je ne suis pas fâché que vous m’ayez prouvé que j’ai bon pied, bon œil, bonne parade. Mais savez-vous, maître, que vous êtes une vipère qu’il faut écraser ? Ma foi, puisque je vous tiens là, je vais simplement et proprement vous tuer.
– Faites ! dit Saïtano. Vous pouvez me tuer. Vous avez une arme et je n’en ai pas. Mais vous n’arriverez pas à me faire peur.
– Nous allons voir.
Passavant jeta les yeux autour de lui. Le seau y était toujours, et la grosse éponge, sinistres ustensiles en tel lieu. Sur une tablette, la boîte à outils. Dans un coin, un paquet de cordes. Le jeune homme saisit ces cordeset marcha droit sur Saïtano qui se ramassa, tendit ses muscles. Une main de fer le saisit à la gorge et le colla au mur. Là, il y eut une courte lutte, des grognements confus, et Saïtano écumant, livide de rage, se trouva solidement garrotté… Mais il n’avait pas peur, et haleta :
– Tu n’avais pas besoin de me lier pour me tuer, truand !
Dans cette seconde, la peur s’abattit sur lui. Il frissonna. Ses yeux devinrent hagards. Il râla :
– Oh ! le démon ! Que va-t-il faire !…
Simplement, Passavant l’avait saisi dans ses bras nerveux, et tout lié, bras et jambes, l’avait étendu de son long… sur la table de marbre !… Aussitôt il déchirait les vêtements avec son poignard et mettait la poitrine à nu !… Puis il déposait sur la table un flambeau près de la tête de Saïtano, et enfin, ouvrant la boîte aux outils, il choisissait la griffe, la fameuse griffe d’acier… le scalpel !
– Ma foi, dit-il avec sa terrible simplicité souriante et narquoise, je vais vous faire ce que vous avez sans doute fait à bien d’autres ; je vais, de la pointe de cette lame, chercher votre cœur tout vif, et vous l’arracher palpitant encore.
Saïtano eut un rugissement de terreur ; ses yeux se strièrent de rouge.
– Pour le coup, je crois, mon maître, que vous avez peur… dites ?
Et il planta la pointe du scalpel dans la poitrine du patient, comme on la lui avait plantée, à lui. Saïtano, d’un frénétique effort, souleva sa tête, fixa ses yeux exorbités sur le scalpel, et il écuma :
– Oui !… Oui, démon !… Oui, j’ai peur !
– C’est bien ! dit Passavant. Consentez-vous à répondre à mes questions ? Non ? Je vous arrache le cœur. Oui ? Je vous fais grâce de la vie. Choisissez.
– Je répondrai ! haleta Saïtano.
Passavant trancha les liens, comme il avait fait jadis aux « trois vivants ». Saïtano se mit debout, courut à l’armoire de fer, versa dans un gobelet une douzaine de gouttes d’un liquide incolore, et dès qu’il eut bu, son visage reprit sa couleur naturelle, ses nerfs s’apaisèrent. Passavant s’assit sur un coin de la table de marbre, les jambes pendantes, la rapière devant lui en travers sur ses genoux, et dit :
– Je n’étais pas venu pour vous tuer, ni pour vous écorcher vif, ni vous faire peur. C’est vous qui m’avez forcé à ces gestes violents en vous jetant sur moi le fer au poing.
– Et que me voulez-vous donc ? fit Saïtano étonné.
– Je vais vous le dire.
– Interrogez ! fit Saïtano redevenu maître de lui.
– Eh bien, donc, la nuit où je fus porté ici, mon logis fut envahi. Dans l’oratoire, se trouvait une femme dont je ne pus voir le visage…
– Savez-vous qui était cette femme ? interrompit Saïtano.
– Non. Car c’est à elle, non à vous, que je me fusse adressé. Il y avait aussi un homme, un seigneur…
– Celui-là, au moins, vous savez qui il était ? demanda de nouveau Saïtano avec une sorte d’anxiété.
– Non. Car c’est devant lui que je me trouverais maintenant, l’épée à la main.
Saïtano respira. La reine – son alliée – n’avait pas été reconnue. Passavant n’avait pas non plus reconnu Jean sans Peur. Et celui-là, Saïtano le gardait pour lui : Il avait juré contre le duc de Bourgogne une de ces vengeances qui n’admettent pas le partage.
– Continuez, dit-il froidement.
– Cet homme, cette femme, les connaissez-vous ?
– Non. Que suis-je ? Un instrument, un outil, comme ceux que vous voyez dans cette boîte.
– Quoi qu’il en soit, j’ai toujours pensé qu’il y avait étroite relation entre l’invasion de mon logis par ces gens et l’aventure qui m’arriva à moi. Je suppose donc que, si vous êtes un simple instrument, s’il est des choses que vous ignorez, il en est d’autres que vous devez savoir.
– Lesquelles ? Voyons…
– Voici. Dans mon logis vivait avec moi, près de moi, une noble demoiselle nommée Laurence d’Ambrun. Savez-vous ce qu’elle devint ?
– Non, dit nettement Saïtano.
Passavant tressaillit, passa une main sur son front, et, d’une voix moins assurée :
– Près de moi, aussi, dans le logis de mes pères, vivait une enfant, une petite fille âgée de cinq à six ans, et nommée Roselys. Savez-vous ce qu’elle devint ?
– Oui ! dit Saïtano avec la même netteté.
À l’instant, Passavant fut debout, courut à Saïtano et lui prit les deux mains. Son émotion était profonde.
– Parlez, dit-il.
– C’est chose promise. Et puis, bien que vous m’ayez un peu durement traité, vous m’intéressez. Je vois que le sort de cette enfant vous touche au cœur, est-ce vrai ?
– Pour savoir ce qu’elle est devenue, je consentirais à rentrer dans cet enfer d’où je suis sorti…
– Où donc étiez-vous ? demanda Saïtano avec une avide curiosité.
– Dans un cachot. Douze ans j’ai vécu là, si cela peut s’appeler vivre, sans air, sans lumière, sans espoir… J’y ai été jeté la nuit même où vous m’avez fait arrêter par des gens d’armes qui me conduisirent à l’Hôtel Saint-Pol, et j’en suis sorti la nuit dernière.
– Ah ! Ah ! fit Saïtano qui remit ses forces en garde. Et vous dites que vous n’avez pas un peu envie de me tuer ? de vous venger de moi ?…
– Pourquoi faire ? dit Passavant. Vous l’avez dit. Vous n’êtes qu’un instrument. Je l’ai toujours pensé. Non, non, c’est de Roselys que je suis venu vous parler ! Dites-moi ce que vous savez, et je vous jure, moi, qu’à tout jamais j’oublierai le mal que vous m’avez fait.
Saïtano baissa la tête, pensif. Il ne s’expliquait pas la générosité du jeune homme. Il en cherchait les motifs et ne les trouvait pas. Enfin, haussant les épaules :
– Je vais vous dire tout ce que je sais. J’ai peut-être tort. Mais vous m’intéressez, ajouta-t-il avec un singulier sourire pâle. Donc, l’enfant… comment l’appelez-vous ?
– Roselys.
– Oui. Eh bien, elle fut remise à une femme qui avait son rôle à jouer pour Roselys comme j’avais, moi, mon rôle à jouer pour vous. Cette femme est morte, ne la cherchez pas, reprit-il en voyant le mouvement que faisait le jeune homme. J’ai eu l’occasion de la voir deux ou trois jours avant sa mort. Elle m’avait appelé pour la soigner, car je suis un peu guérisseur. Et elle me raconta ce qui était advenu de Roselys… C’est simple et bref : cette femme emmena l’enfant loin de Paris, dans un bourg dont elle ne me dit pas le nom, et l’exposa sous le porche de l’église, comme fille sans nom…
Le chevalier de Passavant bondit :
– Exposée !… Quoi !… Exposée !… Comme si elle n’eût eu personne au monde !… Si frêle, si facile à troubler, à effrayer… c’est horrible !
– Oui, dit Saïtano. Vous le dites : frêle, facile à troubler. Elle fut, en effet, si effrayée de cette nuit, si honteuse peut-être d’avoir été exposée… – exposée aux injures, aux rires, aux sarcasmes – qu’elle en éprouva une violente commotion de tout son petit être, et, trois mois après avoir été recueillie… elle expira !
Passavant devint blanc comme un mort, baissa la tête, porta la main à ses yeux, et d’une voix de détresse, comme si tout lui eût désormais manqué, comme s’il eût alors seulement compris la place que Roselys occupait dans son âme, il murmura :
– Morte !… Roselys est morte !…
Longtemps, le chevalier de Passavant se débattit contre la douleur. Il ne pleurait pas. Il l’avait dit : Tiens ! je ne puis plus pleurer ? Et c’était vrai. Les larmes consolatrices, les larmes apaisantes, les larmes qui entraînent avec elles un peu de la souffrance qui les provoquent, lui manquaient. Sa douleur n’en fut que plus rude. Oui, il comprit alors que Roselys, endormie dans son souvenir, au fond de la nuit de son cachot, n’en avait pas moins toujours été présente dans les profondeurs de son souvenir. Il comprit qu’enfant, il l’avait aimée, et qu’elle était l’unique amour de sa vie. Il éprouva cette sorte de vide au cœur si semblable au terrible vide de la maison lorsqu’on revient d’accompagner au cimetière un être cher.
Peu à peu, soit qu’à force de vivre replié sur lui-même, il eut appris à se dompter ou du moins à dompter ses attitudes, soit qu’il eût quelque honte à livrer à cet étranger – à cet ennemi – le secret de son intimité la plus profonde, il se calma, reprit sa physionomie habituelle – mélange d’ingénuité, de jeunesse, de fierté, de tristesse à peine, et d’humeur narquoise.
– Je vous remercie, dit-il. C’est tout ce que je voulais savoir de vous. Avant de m’en aller, je tiens à vous dire que vous n’avez rien à craindre de moi. Pourtant, il faut aussi que je sache le nom de celle qui…
– La femme est morte, je vous l’ai dit. Ne la cherchez pas.
– Vous ne me comprenez pas. Je veux parler de celle qui recueillit… l’enfant. Comment traita-t-elle Roselys ? Pourquoi la recueillit-elle ?
– En adoptant l’enfant, dit Saïtano, cette femme obéit à l’inspiration du cœur le plus noble qui soit. Elle la soigna comme une mère. Elle fit tout pour la sauver… Et cependant, elle savait qu’en agissant ainsi, elle s’exposerait à la haine et à la vengeance.
– Le nom de cette femme ! s’écria Passavant. Oh ! Je veux aller la trouver, la bénir, la défendre si elle est menacée, mettre ma vie à son service…
– Elle le mérite, dit Saïtano. C’est une sainte.
– Eh bien, parlez. Qui est cette femme ?
Saïtano parut hésiter, et enfin :
– Vous le voulez ?
– Je le veux !…
– Eh bien, c’est… Isabeau de Bavière, reine de France !…