Jean sans Peur avait dit au chevalier de Passavant que Louis d’Orléans serait escorté de porteurs de torches dont il n’y avait pas à tenir compte. Il avait dit la vérité.
L’escorte du duc d’Orléans, armée ou non, ne comptait pas, comme on va le voir. Ce que cherchait Jean de Bourgogne, c’était l’homme capable de porter à Louis le coup mortel : l’homme qui tue, sans que nul puisse dire qu’il a été envoyé par Bourgogne ; l’homme qu’on peut au besoin accuser et faire condamner, de façon à établir la parfaite innocence de Bourgogne.
Passavant manqua donc tout à coup à Jean sans Peur, et peu s’en fallut que celui-ci ne renonçât alors à l’occasion que lui offrait la reine. Pendant quelques minutes, il fut affolé de rage et de terreur.
Ce fut pendant le combat de la grande salle qu’il se décida à employer des gens de sa maison. Ocquetonville, Courteheuse, Guines et Scas se trouvaient tout désignés pour la besogne. À tout risque, il fallait les employer ou renoncer au meurtre.
Ces quelques mots étaient nécessaires pour établir comment Jean sans Peur, qui était la prudence et la ruse incarnées, commit la faute énorme d’envoyer rue Barbette des gens qu’on pouvait reconnaître, malgré la précaution prise de changer de vêtement et de ne porter aucun insigne de Bourgogne.
Vers le milieu de la rue Barbette, où nous conduisons maintenant le lecteur, le cabaret des Templiers dressait au-dessus d’un perron aux marches déchaussées une façade lézardée, à demi ruinée.
C’était un logis peu fréquenté, mal famé d’ailleurs. L’hôte passait pour tirer le plus clair de ses revenus de mystérieuses accointances avec les truands de la rue des Francs-Bourgeois, toute proche.
À l’heure où Jean sans Peur exposait au chevalier de Passavant la petite entreprise qu’il méditait contre le duc d’Orléans, le cabaret était fermé depuis longtemps.
Nous devons dire qu’à cet endroit la rue Barbette, étroit boyau à la chaussée bourbeuse, s’élargissait selon un de ces caprices des rues d’alors, indépendantes et vagabondes. Six cavaliers eussent marché là de front. Un peu plus loin, la rue redevenait boyau.
C’est cette sorte de poche que Jean sans Peur avait adoptée. C’était le piège où Louis d’Orléans pouvait être isolé de son escorte – s’il en avait une. En tout cas, on pouvait y exécuter à l’aise la bonne manœuvre.
Dans le cabaret fermé, muet, sombre, une salle était vaguement éclairée par la lueur d’une torche plantée sur un support en fer. Cette torche jetait ses vagues reflets sur deux tables grossières. Autour de chaque table, neuf hommes. En tout, dix-huit, y compris le chef d’équipe.
Leur besogne était simple. À un coup qui devait être frappé sur la porte extérieure, ils devaient se jeter dans la rue comme des gens ivres et paralyser l’escorte du duc d’Orléans. Le reste ne les regardait pas… Si on ne frappait pas à la porte, c’est qu’on n’aurait pas besoin d’eux, et en ce cas ils devaient continuer à boire tout tranquillement, sans s’inquiéter des cris qu’ils pourraient entendre dans la rue.
C’étaient de banales figures de bêtes féroces. Le chef seul pouvait paraître intéressant. Il ignorait d’ailleurs pour qui on l’avait embauché et quel gentilhomme devait passer dans la rue.
Poursuivant notre chemin le long de la rue noyée de ténèbres, nous arrivons à la porte Barbette.
En avant de cette porte, à vingt pas avant d’y arriver, se dressait un logis d’assez belle apparence qui avait appartenu à Jean de Montaigu. Celui-ci, depuis quelques années, avait vendu cette maison. Le nom de l’acquéreur était ignoré ; on ne le sut que plus tard.
Nous n’avons aucune raison pour taire ce nom :
L’acquéreur s’appelait Isabeau de Bavière.
Dans son palais de l’Hôtel Saint-Pol, parfois, elle se sentait à l’étroit ; derrière chaque porte, elle soupçonnait une oreille ; dans les fentes des tentures, elle croyait toujours voir un œil qui la guettait. Au logis Montaigu, elle était chez elle. Là, il n’y avait plus de reine. Tantôt courtisane somptueuse, tantôt charmante hôtesse, elle y recevait secrètement ceux que ses passions ou sa politique faisaient ses amis d’un jour ou d’une nuit. Le logis transformé à prix d’or était devenu sous son inspiration une merveilleuse retraite où tout était combiné pour le plaisir – et pour le repos quand on était las de plaisir.
C’est dans cette maison que Louis d’Orléans pénétra ce soir-là vers neuf heures.
Cinq ou six de ses gentilshommes armés jusqu’aux dents l’escortèrent jusque-là, et cette cavalcade fut éclairée le long du chemin par quatre pages portant des torches.
Arrivé devant le logis, le duc garda seulement ses pages et renvoya ses gentilshommes.
– Monseigneur, dit Hélion de Lignac, nous reviendrons vous prendre pour vous ramener à l’hôtel d’Orléans. Vers quelle heure ?
– Bah ! Rentrez chez vous, messieurs. Qu’ai-je à craindre depuis que je suis réconcilié avec mon cousin de Bourgogne ? Rentrez, rentrez… car, sur ma parole, j’ignore à quelle heure je m’en irai.
– Les rues sont peu sûres, observa Lignac en insistant.
– Hé ! s’écria Colin de Puisieux, ne vois-tu pas que monseigneur attendra peut-être le grand jour pour s’en aller ?
Le duc d’Orléans éclata de rire et gaiement fit un signe de la main à ses gentilshommes qui tournèrent bride.
Louis d’Orléans entra donc dans la maison avec ses quatre pages qui furent aussitôt conduits dans une salle où les attendait une bonne table. Par une jolie suivante tout attifée de satin, le duc fut mené auprès de l’hôtesse.
– Mon cousin, dit froidement Isabeau, qui était assise dans un vaste fauteuil gothique, enveloppée dans le manteau royal de velours bleu fleurdelysé d’or, je vous ai fait venir pour vous dire que j’ai fort parlé de vous avec le roi. Il est nécessaire que vous sachiez ce qui s’est dit.
Le duc éprouva la violente déception d’un affamé qui voit fuir devant lui la table à laquelle on vient de le convier. Il attendait un mot d’amour. Il frémit en se disant qu’il allait être question de politique. À ce moment, Isabeau continua lentement :
– Le roi, en ce moment même, discute avec lui-même à votre sujet. S’il repousse les conseils que je lui ai donnés, il n’y aura rien de changé à votre situation à la cour de France. Mais s’il prend les résolutions que j’attends, il vous enverra chercher aussitôt…
– Où cela, madame ? Chez moi ? fit le duc emporté par un intérêt soudain.
– Non pas. Ici même. Il ne vous sait pas ici. Mais Bois-Redon sait, lui. Et cela suffit. Donc, si le roi vous demande, Bois-Redon accourra ici.
Sans savoir pourquoi, le duc d’Orléans se sentit froid au cœur. C’était pourtant des paroles bien simples. Bois-Redon devait venir le chercher si le roi demandait à le voir. Quoi de plus naturel ? Et il se sentit glacé. Pourquoi ? Pour rien. C’était le destin qui le prévenait… car ces simples paroles d’Isabeau, c’était sa condamnation à mort.
Presque aussitôt, cette étrange impression s’effaça.
Plus étroitement, Isabeau s’enveloppait dans les larges replis bleu sombre. Elle était aussi peu femme que possible. Elle était la reine.
– Puis-je savoir, reprit Orléans étonné, ce qui s’est dit entre mon frère et vous ?
– Duc, dit Isabeau avec la même lenteur, je vous ai fait venir pour vous le dire : le roi, fatigué, malade, obligé de s’avouer impuissant dans sa puissance, le roi veut se retirer.
Orléans ne comprit pas tout de suite. Mais son esprit se mit à bouillonner.
– Se retirer, continua Isabeau. Pour deux ans, cinq ans peut-être. Jusqu’à complète guérison. C’est-à-dire, ajouta-t-elle plus bas, se retirer pour toujours sans doute.
– Se retirer ! murmura le duc d’Orléans. Mais où ?
– Il n’y a qu’un lieu où ceux qui ont porté la couronne puissent entrer de plain-pied. C’est le couvent. Un roi, duc, c’est un homme. Mais cet homme est bien près de Dieu. De l’Hôtel Saint-Pol au couvent des Célestins, il n’y a qu’un pas.
Louis d’Orléans demeura écrasé, ébloui de ce qu’il entrevoyait. Isabeau l’acheva :
– Il faut un roi, dit-elle. Il faut que quelqu’un ramasse cette couronne que, d’un coup de pied, il a envoyée se briser contre une colonne. Duc, j’ai dit que ce quelqu’un ce serait vous… oh ! ne vous étonnez pas, ou du moins pas encore. Vous m’avez crue votre ennemie… Vous vous êtes trompé. Mais fussé-je votre adversaire dans la bataille autour du trône, j’en sais assez sur le compte de tous, même de Berry, même de Bourgogne, pour être certaine que vous seul saurez vous montrer magnanime pour la « veuve » de Charles VI. N’êtes-vous pas, d’ailleurs, tout désigné ? Le frère du roi de France n’est-il pas le premier personnage du royaume, et si le roi s’en va, qui donc peut, sans susciter une guerre civile, prendre dans ses mains ce sceptre à demi brisé, qui donc, sinon vous ?
Le duc écoutait avec enivrement ces paroles qui, d’avance, le sacraient roi de France.
– Et c’est vous, balbutia-t-il, qui avez… à mon frère…
– C’est moi qui vous ai désigné, dit simplement Isabeau. Le roi parti, je ne suis plus rien. J’ai regardé autour de moi. J’ai choisi celui en qui j’ai cru voir la générosité qui pardonne.
– Générosité ! s’écria ardemment le duc. Ah ! madame, ni générosité, ni pardon ! Reine vous êtes, reine vous resterez. C’est tout. Si mon frère cherche au pied des autels la paix qu’il n’a pas trouvée sur le trône, s’il me désigne pour lui garder intact le patrimoine de puissance qui est son bien tant qu’il est vivant, je vous jure que mon premier acte sera de vous proclamer régente…
– Générosité ! Générosité ! prononça la reine gravement. Vous êtes bien tel que je vous ai toujours jugé…
À ce moment, derrière la porte fermée, un murmure de voix, des bruits de pas étouffés. Le regard d’Isabeau étincela. Et soudain, Louis d’Orléans, pour la deuxième fois, éprouva un serrement de cœur atroce. Il eut la sensation vague qu’il se jouait autour de lui une hideuse comédie.
Les bruits s’éteignirent.
Le duc jeta autour de lui un long regard de soupçon.
– Madame, dit-il enfin avec précipitation, toute parole de reconnaissance en ce moment serait inutile… mes actes seuls, quand il en sera temps, vous prouveront cette reconnaissance.
– Oh ! songea Isabeau avec une fureur de rage et de désespoir, il va fuir !…
Bois-Redon n’arrivait pas !… Le guet-apens n’était pas prêt !… L’homme sur qui Jean sans Peur avait compté avait donc refusé !…
Dans ces quelques secondes, pendant lesquelles parla le duc d’Orléans, des pensées de drame se heurtèrent, dans l’esprit de la reine. Elle se vit poignardant elle-même le frère du roi, puisque Bourgogne en était incapable. Et, par contre-choc de fureur, ce fut surtout Jean sans Peur qu’elle couvrit de malédictions. Le duc d’Orléans disait :
– Permettez-moi donc de me retirer. Il sera plus séant que votre capitaine des gardes me trouve en mon hôtel… si mon frère me fait appeler. Je serai debout toute la nuit pour attendre…
En parlant ainsi, le duc reculait vers la porte. L’aiguë et terrible sensation qu’il était en danger de mort devenait d’une effroyable précision. À tel point qu’il porta soudain la main à sa dague. Il s’inclina profondément, et, d’un ton bref :
– Adieu, madame. Ce que j’ai dit se fera, je le jure.
Il se redressa et demeura figé sur place.
Dans son esprit, la terreur s’évanouit, pareille à un sinistre crépuscule, et à l’horizon opposé se leva l’astre rutilant de la passion qui le submergea de lumière.
– Quoi ? Que se passait-il ?
Un simple geste d’Isabeau. Elle avait ouvert le manteau royal. Et ce ne fut plus le palladium, synthèse de royauté. Ce fut la somptueuse enveloppe, l’écume d’azur d’où Vénus émerge en sa splendeur blanche et rose. Sous son manteau, elle apparut ce qu’elle était : un chef-d’œuvre de la chair palpitante, intensément vivante. Car elle n’avait pour voile que le manteau royal.
La voix sèche, rauque, les lèvres brûlantes, l’œil égaré, elle prononça :
– Vous ne me demandez même pas « pourquoi » c’est vous que j’ai choisi pour régner sur le royaume de France et sur moi !
Le duc d’Orléans fléchit les genoux. La tête lui tourna. Il tendit ses bras vers l’idole et râla :
– Puissances du ciel ! Serait-il donc vrai que vous m’aimez !…
– Ah ! rugit Isabeau au fond d’elle-même, te voilà donc, honnête sacripant ! Cette femme que tu convoites de toute ton âme, que tu veux de tout ton sang, c’est la femme de ton frère ! Hommes ! ô hommes ! Et vous hurlez votre vertu ! Et qu’est-ce que l’assassinat de ce voleur auprès du vol qu’il médite !…
Et elle ouvrit ses bras, fouettée peut-être par sa propre frénésie, cherchant peut-être dans le baiser de cet amant qu’elle allait tuer quelque fièvre inconnue encore d’elle dans sa longue et ardente recherche de l’impossible.
Les enivrantes minutes s’ajoutèrent l’une à l’autre dans le silence du temple.
L’heure coula sans que Louis d’Orléans la sentît couler. Les heures, peut-être…
Qui sait si à ce moment Isabeau n’était pas arrivée à se persuader à soi-même qu’elle aimait Louis d’Orléans ? Qui sait pourquoi son regard se troubla, pourquoi elle pâlit, pourquoi sa chair frissonna, à cette minute d’indicible horreur où la jolie suivante, ayant gratté à la porte et étant entrée, annonça l’arrivée de Bois-Redon ?
Sur ses lèvres, avec un dernier baiser, l’amant déposa son serment d’éternel amour.
Bois-Redon entra.
La reine, à l’instant, fut debout ; elle eut un mouvement nerveux vers son capitaine des gardes, et un autre vers l’amant. Ses lèvres tremblèrent… Elle ne dit rien. Bois-Redon prononça :
– Sa Majesté le roi veut voir à l’instant monseigneur le duc d’Orléans…
Louis sentit son cœur se gonfler d’une sincère gratitude pour cette splendide maîtresse qui lui donnait un trône. Il se tourna vers Bois-Redon. La reine saisit sa main et murmura :
– Restez…
Orléans pâlit ; pour la troisième fois, le destin l’avertit. Il eut froid dans ses veines. Isabeau fit un rude effort sur elle-même, étrangla sa pitié naissante, et avec un sourire effrayant :
– Restez encore un peu…
Le duc fut rassuré. « Encore un peu » corrigeait « restez ». Il secoua la tête :
– Capitaine, courez dire au roi que je me rends à ses ordres.
De nouveau seul avec Isabeau, il l’étreignit dans ses bras et, d’un accent affolé :
– Peut-être serai-je roi, bégaya-t-il. Mais vous, je jure que vous serez la reine du roi…
Et il s’élança.
Ses quatre pages, déjà, étaient prévenus. Ils étaient à cheval dans la rue ; chacun d’eux portait une torche. D’un rapide regard, le duc sonda les noires profondeurs de la rue ; tout était paisible.
– À l’Hôtel Saint-Pol ! dit-il en se mettant en selle.
La petite troupe s’avança au pas, le long de la rue Barbette. Les pages marchaient en avant. Le duc, à quelques pas derrière eux, les rênes flottantes, un vague sourire aux lèvres, songeait…
Brusquement, les pages poussèrent un cri de détresse, des ombres bondirent dans le brouillard…
– Holà, drôle ! cria le duc. Holà, truands ! Au large, au large !…
Pendant un temps d’une inappréciable rapidité, il eut dans les yeux la vision fantastique de ces ombres qui surgissent, de ces lueurs d’acier qui zébraient les ténèbres ; un de ses pages s’abattit, puis un autre. Tout à coup, il éprouva au flanc une violente douleur, il lui sembla que sa raison s’envolait, que tout lui manquait. Il s’abandonna, s’abattit, tomba de cheval en murmurant :
– Ah ! traîtres, vous m’avez tué !…
Un coup l’atteignit à l’épaule, un autre à la tête… Il eut encore la force de se soulever sur les deux mains et de haleter :
– Je suis le duc d’Orléans…
– Nous le savons ! répondit une voix sombre.
Le duc retomba, sur le dos, le visage tourné vers le ciel. Il eut cette dernière vision de Valentine, de l’épouse fidèle lui jetant un dernier regard de pardon, et cela s’enveloppa de l’éclair d’une hache qui se levait…
– Adieu… Valentine… pardon… oh !… pard…
Ce fut fini. La hache, à toute volée, l’atteignit au crâne. La cervelle jaillit, éclaboussa les marches disloquées du vieux perron des « Templiers de Notre-Dame ». Il y eut un tourbillon parmi la nuée des démons. Brusquement tout cela s’évanouit. Il n’y eut plus là que quatre hommes. L’un d’eux saisit le cadavre par les pieds et le traîna jusqu’à une torche qui brûlait encore sur la chaussée. Cet homme saisit cette torche, la leva, éclaira une seconde le visage livide, éclaboussé de sang, le crâne défoncé, et il dit :
– C’est bien. Allons-nous-en.
Ocquetonville, s’étant assuré que le duc d’Orléans était bien mort, éteignit la torche sous son pied. Alors, suivi de Scas, de Guines et de Courteheuse, il s’enfuit. Au fond des ténèbres, les quatre hommes damnés s’enfuirent, se glissèrent au long des murs, en se disant :
– Ce fut vite et bien fait. Jamais nul ne saura !
Là-bas, sur la chaussée bourbeuse de la rue Barbette, il y avait trois corps étendus : celui du duc d’Orléans, ceux de deux pages ; les deux autres s’étaient enfuis comme ils avaient pu, sauvant leur peau.
Les assassins étaient déjà loin. Ils s’arrêtèrent, ruisselants de sueur, et quelques minutes, leur groupe immobile haleta dans le silence. Enfin, Guillaume de Scas parla :
– Je suis sûr que Thibaud Le Poingre nous ouvrira.
– Et s’il ne veut pas ouvrir, dit Courteheuse, nous défoncerons sa porte.
– Il est sûr que je crève de soif, gronda Ocquetonville.
– Moi aussi, dit Guines.
Ils ne dirent pas un mot de l’affaire et se dirigèrent vers le cabaret de la « Truie Pendue ». Mais chacun d’eux songeait : Nul ne saura. Nul ne peut savoir.
Vers ce moment, dans la rue Barbette, il y eut un bruit de pas précipités. Une silhouette se dessina sur l’écran de la nuit. Quelqu’un venait d’arriver en tempête sur le champ de massacre.
Les trois corps étaient là sur la chaussée. L’inconnu heurta un de ces corps et trébucha. Le corps fit un mouvement. C’était l’un des pages laissés pour morts. Il jeta une faible plainte, se dressa péniblement et râla :
– À moi !… Ah ! je mourrai donc sans pouvoir désigner les meurtriers ! Personne ne viendra donc !
– Si ! dit l’inconnu. Je suis prêt à vous entendre, moi ! Le duc d’Orléans ?…
– Mort !
– Malheur ! Trop tard !… Le nom des meurtriers, au moins ?
– Puis-je me fier à vous ?
– Je suis quelqu’un qui doit la vie à Louis d’Orléans. Parlez.
– Qui êtes-vous ? insista le page.
L’inconnu s’était agenouillé après du mourant. Il rapprocha sa tête de la jeune tête livide, et dit :
– Je suis quelqu’un que Jean de Bourgogne a tué cette nuit. Vous pouvez parler…