Pendant que le premier ministre, après son étrange rencontre avec ce mourant qui lui a remis un rouleau de parchemins, poursuit sa route, sombre et pensif, vers cette même heure, Simon Malingre et Gillonne avaient réussi à s’enfuir et parcourant au hasard la Cour des Miracles, obscure et silencieuse, ils étaient tombés en arrêt devant une maison où ils avaient vu une lumière et entendu des bruits.
Une porte s’était à cette minute brusquement ouverte.
Une troupe de huit à dix hommes était apparue confusément dans la nuit.
Simon Malingre et Gillonne, qui marchaient d’épouvante en épouvante, n’eurent que le temps de se jeter dans un trou. Puis la porte se referma. Et cette troupe aperçue se retira, s’évanouit comme une compagnie de fantômes.
Mais Gillonne et Simon avait entendu quelques mots, entrevu des visages, et tous deux avaient frémi – cette fois d’une telle joie qu’ils en oubliaient le jeûne auquel ils venaient d’être soumis.
« Tu ne l’as pas entendu donner le mot de passe qui nous permettra de sortir de cette cour maudite ?
– Si fait bien, je l’ai entendu ! D’Aulnay et Valois ! »
Et Malingre ajouta, pensif :
« Il est là ! Dire qu’il est entré là ! Que dit-il ? que fait-il ?…
– C’est une véritable bénédiction, reprit Gillonne, que nous nous soyons trouvés là pour entendre… Maintenant, nous pouvons fuir en toute assurance. »
Pendant ce temps, Simon restait très absorbé dans la contemplation d’une ouverture pratiquée à une certaine hauteur du sol et de laquelle s’échappait une faible lueur.
Cette ouverture, c’était tout simplement un de ces trous comme nous avons dit qu’il en existait à peu près à toutes les masures de la Cour des Miracles.
Malheureusement, ce trou était placé trop haut pour qu’on pût espérer l’atteindre.
À force de chercher, Simon trouva qu’il y avait une borne placée à peu près sous le trou.
Il monta sur la borne, mais il s’en fallait encore de toute sa hauteur pour qu’il pût atteindre le bienheureux trou.
Alors, il se mit à palper minutieusement la muraille pour voir si quelque interstice ne lui permettrait pas d’atteindre ce trou, objet de ses désirs : il fallut renoncer à ce moyen.
Simon commençait à se désoler.
Gillonne lui dit :
« Si tu peux me supporter, je monterai sur tes épaules et j’irai voir là-haut. »
Et comme Simon paraissait hésiter encore, elle ajouta :
« D’ailleurs, tu n’as pas d’autres moyens de savoir. »
C’était vrai. Simon le comprit bien.
Alors, prenant soudain son parti :
« Monte ! » dit-il.
Grâce à des prodiges d’adresse, Gillonne parvint à se mettre debout sur les épaules de Simon, qui supportait stoïquement le poids.
Ainsi juchée, la mégère se trouvait à hauteur du trou d’où elle put voir assez facilement ceux qui se trouvaient à l’intérieur et entendre ce qu’ils disaient.
Lorsqu’elle vit que ces personnages se levaient pour sortir, Gillonne jugea que la conférence devait être terminée et elle se laissa glisser à terre.
« Ouf ! dit Simon avec un soupir de soulagement, je n’aurais jamais cru que tu étais si lourde… Eh bien, qu’ont-ils raconté ? »
Prudemment, Gillonne se terra dans son trou en lui faisant signe de l’imiter.
L’instant d’après, la porte s’ouvrait à nouveau et cinq hommes en sortaient.
Lorsque Simon et Gillonne se furent assurés que ceux qu’ils venaient d’épier s’étaient enfoncés dans la nuit, ils se levèrent vivement et prirent une direction opposée, ne cherchant pas à se dissimuler et s’efforçant de prendre une allure paisible. Grâce au mot de passe surpris si fort à propos, ils purent enfin sortir indemnes de cette Cour des Miracles où ils avaient bien cru un instant laisser leurs os.
Lorsqu’elle se jugea enfin hors de danger, Gillonne consentit à parler et à répéter à Simon tout ce qu’elle avait vu et entendu. Celui-ci ne perdit pas un instant.
« Vite, dit-il, séparons-nous : toi, Gillonne, va m’attendre à la Courtille-aux-Roses. Moi, je cours au Temple, et cette fois non seulement nous rentrerons en grâce, non seulement monseigneur ne nous fait pas brûler, mais encore il nous enrichit. Va, Gillonne, et moi pour arriver plus vite, je vais prendre un cheval au Louvre. »
La mégère regarda avec un œil méprisant Simon qui s’éloignait sans plus s’occuper d’elle :
« Va !… Va, au Louvre et au Temple, tirer profit des paroles que je t’ai répétées… Mais il est de plus importants secrets que j’ai recueillis ; ceux-là, je saurai bien en tirer profit pour moi seule, et, avec l’aide du Ciel, dommage et châtiment exemplaire pour ta maudite personne… »
Cependant, Simon Malingre, assez étonné que Gillonne l’eût laissé aller seul, se dirigeait rapidement vers le Louvre où il arrivait sans encombre.
Par ses fonctions auprès d’un puissant personnage comme l’était son maître, Malingre était à même de connaître autant que personne de la cour nombre de personnages et officiers. Arrivé tout haletant au Louvre, Simon s’informa du nom des officiers en ce moment de service.
Parmi les noms qu’on lui cria, il retint ceux de deux officiers appartenant à un corps placé sous les ordres directs de Valois et, parmi ces deux-là, celui d’un officier qui, approchant de près fréquemment son supérieur, le connaissait, lui Simon, comme l’âme damnée du comte.
Malingre n’hésita pas et se fit conduire directement auprès de cet officier à qui il raconta la première histoire venue et qu’il décida facilement à faire ce qu’il avait jugé utile à ses desseins, en lui faisant valoir qu’il rendrait là un service dont Valois saurait lui tenir compte.
Le résultat de cet entretien fut que, quelques instants plus tard, Simon Malingre, monté sur un excellent cheval, filait ventre à terre vers le Temple, tandis que l’officier mettait toute sa diligence à rassembler une trentaine d’hommes avec lesquels à son tour il prenait le chemin du Temple. Sûr de lui et du renfort qu’il amenait, Simon parvint au pont-levis qui s’abaissa sans difficulté pour lui. Quelques instants plus tard, Malingre pénétrait chez Valois, dont le premier mouvement en l’apercevant fut d’appeler pour le faire saisir.
« Un instant, monseigneur, dit Simon, vous me ferez rouer ou brûler demain. Maintenant, écoutez… »