Il faut que nous revenions maintenant à Roland Candiano. On a vu qu’après son étrange rencontre avec Léonore, il avait chargé Scalabrino de quelques ordres aux chefs de la montagne et de la plaine, et qu’il s’était aussitôt éloigné de Venise.
Roland se donnait à lui-même ce prétexte, qu’il fallait voir au plus tôt Jean de Médicis et empêcher à tout prix sa conjonction avec le doge Foscari.
En réalité, il fuyait Venise, parce que Venise lui était insupportable, parce qu’il avait peur d’une nouvelle rencontre avec Léonore, peur de lui-même, peur de son amour !
« Quoi ! se disait-il tout en chevauchant le long des routes ombragées de cyprès monstres, de cèdres et de sycomores géants, quoi ! je l’aime donc encore à ce point ! Quoi ! j’ai souffert une éternité de douleur, son nom a meurtri mes lèvres à chaque seconde, chaque pulsation de mon cœur a été un soupir d’amour et elle m’a trahi odieusement, comme la dernière des malheureuses du port n’eût pas trahi son barcarol préféré ! Quoi ! elle a profité de ce que j’étais dans un cachot pour se donner à un autre ! Elle savait que je pleurais des larmes de sang et courait à l’autel !… Et je l’aime encore !… De quelle boue est donc fait mon cœur !… Cette nuit, froide, impassible, tandis que je mordais ma langue pour arrêter le cri d’amour qui montait à mes lèvres, a-t-elle eu seulement un mot de regret !… Elle m’a fait l’aumône de me tirer du guet-apens, elle m’a fait la charité d’un peu de liberté. Elle a fait cela comme elle l’eût fait pour tout autre proscrit… »
Roland enfonçait alors ses éperons dans les flancs de sa monture et se lançait dans un galop furieux, comme s’il eût espéré que le cheval fou de douleur l’entraînerait dans quelque précipice…
Puis, peu à peu, les pensées de vengeance se substituèrent aux pensées d’amour et de désespoir. Roland songea à ce Foscari qui était une des causes les plus directes de son malheur. Il évoqua fortement la terrible scène de l’aveuglement de son père.
« Il ne s’est rien passé de nouveau, murmura-t-il. Léonore n’existait plus pour moi. Elle n’existe pas davantage maintenant. Mais ce qui existe, c’est l’infernal Foscari ; c’est son ambition ; et si je le laisse faire, l’homme qui a supplicié mon père deviendra le maître de l’Italie… Mais je suis là… et quant aux autres, nous verrons, ensuite ! »
Dès lors, il concentra toute sa force de raisonnement sur la mission qu’il entreprenait : empêcher par tous les moyens, même par la violence, une entente entre le doge Foscari et Jean de Médicis.
Il avait pris ses renseignements.
Et d’ailleurs, les faits et gestes du célèbre capitaine étaient anxieusement suivis ; le bruit de ses démarches et contre-démarches se répandait rapidement dans toute l’Italie.
À ce moment, Jean de Médicis assiégeait la forteresse de Governolo.
Il avait avec lui une armée disparate, gens de sac et de corde, qui professaient pour leur chef une admiration fanatique.
Quelques historiens l’ont appelé un « aimable guerrier ».
Cet « aimable guerrier » était redouté comme un fléau. Il avait relevé avec une sorte d’insolence le titre que lui avaient donné ses soldats et se faisait une gloire de justifier ce sobriquet de Grand-Diable qu’il avait accepté.
Il lui arrivait de faire tranquillement passer un ou deux milliers de citoyens au fil de l’épée ; mais il aimait à rire.
Et c’est sans doute en riant qu’il donnait l’ordre de piller et d’incendier les villes qui tombaient en son pouvoir.
Roland arriva la nuit près de Governolo, au camp du Grand-Diable. Jean de Médicis, qui voulait lancer bientôt ses soudards à l’assaut de la place, leur avait accordé une nuit de licence. La joie était au camp, dit Philareste Chasles, et la nuit se passait en fête. Mille et mille cris de : Vive le Grand-Diable ( Eviva il Grand-Diavolo !) retentissaient de toutes parts.
Il faisait froid. Une bise aigre sifflait à travers les arbres et les tentes. On avait allumé de grands feux. Une joie énorme montait de ce camp où étaient accourues « les beautés faciles » des environs.
Et sous les grands chênes qui, malgré les froids, conservaient en partie leur feuillage épais, à la lumière sombre des torches ou dans l’embrasement rouge des feux, apparaissaient des groupes de soudards qui mangeaient, buvaient, chantaient et enlaçaient des femmes. C’était la débauche qui précède les batailles.
Des jurons, de rauques chansons, des vociférations de joueurs, des hurlements sauvages de soldats se disputant une femme, voilà ce que vit et entendit Roland qui traversa cette cohue de reîtres le cœur soulevé de dégoût.
Il demanda à être conduit auprès du chef.
Le Grand-Diable était sous sa tente, au milieu du camp, entouré de quelques-uns de ses lieutenants préférés. La tente était vaste ; un grand feu brûlait devant l’ouverture, et en avant du feu, douze cavaliers immobiles, l’escopette au poing, montaient la garde. Une grande table avait été dressée. Jean de Médicis et ses officiers y avaient pris place, tandis que des joueurs de luth et de flûtes essayaient vainement de couvrir la voix énorme de la ripaille et de la débauche qui montait du camp dans un grand souffle rauque. Jean de Médicis buvait, mangeait, riait à gorge déployée, et n’eût été son costume, on l’eût pris pour un de ces reîtres que Roland avait aperçus sous les chênes, dans la lueur des brasiers.
Lorsque Roland parut devant lui, il fronça le sourcil :
« Qui êtes-vous ? demanda-t-il.
– Je viens de Venise, dit Roland, et j’ai à vous parler en secret ! je suis Roland Candiano, fils du doge Candiano, lâchement surpris en pleine fête, et aveuglé dans son palais. »
Un sourd frémissement accueillit ces paroles prononcées d’un ton calme.
L’effrayante histoire des Candiano était connue ; elle était presque passée à l’état de légende de terreur, et quant à la tragique aventure de Roland Candiano, arrêté, jeté dans les puits au moment de ses fiançailles, elle était devenue légende d’amour et de pitié.
« Je croyais, dit Jean de Médicis, que vous étiez en prison ?
– On sort d’une prison, même quand cette prison s’appelle les puits de Venise.
– Vous voulez donc me parler ?
– Si cela vous agrée.
– Soyez le bienvenu à ma table et dans ma tente, dit alors le Grand-Diable. J’ai connu Candiano ; c’était un homme trop bon et qui connaissait mal le moyen de gouverner en paix ; mais enfin, c’était un homme qui dans l’occasion savait rendre service, et je m’en trouvais bien, il y a quelque dix ans. Que son fils soit donc le bienvenu parmi nous… »
En disant ces mots, Jean de Médicis désigna à Roland une place près de lui. Roland s’assit et choqua contre le verre du Grand-Diable le verre qu’on venait de remplir devant lui. Cet acte de politesse accompli, il ne toucha ni aux mets ni aux vins.
Les rires et les conversations bruyantes fusaient de nouveau et emplissaient de tumulte la vaste tente. Jean de Médicis examinait à la dérobée son invité, et admirait sa mâle beauté, la force et la souplesse qui paraissaient évidentes à chacun de ses mouvements.
« S’il compte sûr moi pour l’aider à reprendre la couronne du vieux Candiano, il se trompe fort, songeait-il. Par tous les diables, Foscari est un rude jouteur et je ne me soucie pas de l’avoir contre moi. Mais s’il veut accepter de commander une partie de mon armée, j’aurai fait cette nuit une bonne acquisition. »
Tout en monologuant ainsi en lui-même, le Grand-Diable ne laissait pas que d’interroger Roland sur son séjour au fond des puits, sur la manière dont il avait été arrêté, comment il s’était évadé… Roland lui répondait sobrement, en quelques mots.
Mais chacune de ses réponses donnait de lui une plus haute idée. Lorsque le Grand-Diable annonça enfin à ses officiers qu’il était temps de se retirer, il était résolu à faire des propositions à Roland pour prendre du service auprès de lui, et à lui confier un grade important.
Les officiers, les serviteurs, les joueurs de luth se retirèrent avec une rapidité qui prouvait que la discipline relâchée en apparence dans ce camp de la débauche était très puissante en réalité !
« Nous voilà seuls, dit alors le Grand-Diable ; parlez ! Qu’avez-vous à me dire ?… Laissez-moi vous prévenir tout d’abord que je suis empêtré dans des opérations de guerre qui dureront longtemps, s’il plaît au diable, mon patron ; je ne pourrais, donc, à mon regret, tenter pour vous le moindre mouvement du côté de Venise. »
Roland secoua la tête et sourit dédaigneusement.
« Rassurez-vous, dit-il, je fais mes affaires moi-même, et lorsque je rentrerai dans le palais ducal, ce sera parce que je l’aurai voulu, et non parce qu’on m’y aura conduit.
– Par le Ciel ! vous me plaisez ainsi… et je ne vous cache pas que j’ai conçu de vous la plus haute estime, s’il vous agrée de commander sous mes ordres…
– Je n’obéis qu’à moi-même, dit Roland ; mais je vous remercie de l’offre que vous me faites et de la pensée généreuse qui l’inspire.
– Que voulez-vous donc ? » fit Jean de Médicis étonné.
Roland se recueillit un instant.
« Jean de Médicis, dit-il, vous êtes un homme de guerre, et non un homme de diplomatie ; vous êtes redouté parce que vous avez une armée qui vous suit aveuglément et que vos faits d’armes passés donnent la mesure de ce que vous pouvez entreprendre ; mais vous devez rester le grand guerrier que vous êtes ; si vous vous mêlez d’intrigues, vous y perdrez votre prestige.
– Et qui vous dit que je veuille intriguer ?
– C’est là pourtant ce qu’on veut vous proposer.
– Qui cela ?
– Le doge Foscari.
– Ah ! ah ! fit Jean de Médicis qui devint songeur.
– Il y a, reprit Roland, une lutte à mort entre Foscari et moi ; Jean de Médicis, je viens vous demander de demeurer neutre entre nous deux.
– Expliquez-vous, dit froidement le Grand-Diable.
– Foscari a fait subir à mon père un supplice horrible ; Foscari m’a jeté dans les puits de Venise où j’ai passé six ans ; Foscari doit être puni, lui et ses complices… »
Roland prononça ces mots avec un tel accent de haine que Jean de Médicis tressaillit.
« Tous ceux qui aideront nos ennemis seront mes ennemis, continua Roland. J’ai entrepris contre Foscari et ses complices une guerre sans merci. J’y mourrai ou ils mourront, pas de milieu. Or, pendant que dans le port, dans le peuple de Venise, je sape activement la puissance de Foscari, lui songe à se créer des alliés pour de vastes entreprises qui le mettraient, s’il réussissait, hors de ma portée… Et le premier de ces alliés auxquels il songe, c’est vous, Jean de Médicis…
– Comment le savez-vous ?…
– Foscari vous a envoyé un ambassadeur, un homme que vous connaissez…
– Qui donc ?
– Pierre Arétin.
– Pietro ! Ce bon Pietro !… Je serai ravi de le revoir…
– Vous ne le reverrez pas ; j’ai saisi Pierre Arétin, j’ai su le secret de l’ambassade dont il était chargé, je l’ai mis en lieu sûr et je viens à sa place.
– Vous avez fait cela, vous !
– Oui, Jean de Médicis, je l’ai fait.
– Et c’est à moi que vous venez le dire ! Parbleu, vous ne manquez pas d’audace, je l’avoue !
– Jean de Médicis, dit Roland, l’audace est ma dernière richesse.
– Et vous dites que vous savez ce que Pierre Arétin était chargé de me dire ?
– Je vais vous répéter les paroles mêmes que l’Arétin devait vous transmettre de la part de Foscari. Seulement je les résume et les dépouille de tous les artifices dont il n’eût pas manqué de les envelopper. Foscari veut s’emparer de l’Italie et en faire un royaume unique. Il vous propose de joindre à votre armée l’armée de Venise augmentée de sa flotte qui servirait à déposer des troupes sur les côtes et à éloigner les étrangers qui voudraient s’opposer à la combinaison. Une fois l’Italie soumise, vous régneriez tous les deux, lui au nord avec Venise ou Milan comme capitale, vous au midi avec Rome ou Naples pour capitale. Voilà le plan dans sa simplicité. Telle est l’alliance que vous propose Foscari. Qu’en pensez-vous ?
– Et si je vous dis ce que j’en pense, vous chargerez-vous de faire tenir ma réponse à Foscari comme vous m’avez apporté ses offres ?
– Sans nul doute, quelle que soit cette réponse. Rien ne m’était plus facile que de vous laisser ignorer les propositions du doge.
– Étonné de mon silence, il m’eût envoyé un autre député.
– Peut-être ! quoi qu’il en soit, je serai aussi loyal au retour que je le suis ici. Vous pouvez donc parler franchement.
– Soit. Le plan de Foscari dans son ensemble me paraît grandiose ; c’est une idée de génie et il serait dommage qu’un homme comme moi n’aidât pas à sa réussite. En principe, donc, j’accepte l’alliance proposée. Voilà ce que vous aurez à dire à Foscari.
– C’est tout ?
– C’est tout pour le moment. Pour une entente définitive, il faut une entrevue entre le doge et moi. Cette entrevue, le lieu, le jour, je les lui indiquerai par un courrier que j’enverrai à Venise. Et ce, dans trois ou quatre jours au plus tard. Dès demain matin, je veux aller étudier le point faible de Governolo et combiner l’assaut qui aura lieu après-demain. Un jour pour le pillage… Puis-je faire partir mon courrier que vous précéderez seulement de trois ou quatre levers de soleil ? »
Le Grand-Diable, en prononçant ces derniers mots, avait pris un ton narquois qui n’échappa pas à Roland. Celui-ci comprit que le terrible guerrier méditait quelque guet-apens. Mais il demeura calme et grave, sans qu’un pli de sa physionomie décelât en lui une inquiétude quelconque.
La proposition de Foscari enthousiasmait, en effet, Jean de Médicis. Il répéta à diverses reprises entre ses dents :
« Superbe !… Idée superbe !… Digne de moi !… »
Cependant ; il s’était renversé sur le dossier de son siège, et, les yeux à demi fermés, il étudiait Roland, d’un regard ironique.
« Ainsi, reprit Roland, vous acceptez ?… Sans réflexion, sans hésitation, du premier coup, vous acceptez ?
– Qu’est-il besoin de tant de réflexion ! s’écria le Grand-Diable. L’idée est superbe, vous dis-je, et je l’accepte.
– Il me reste à vous faire quelques objections.
– Venant d’un homme aussi hardi et aussi mesuré que vous, elles seront les bienvenues, Candiano.
– Voici donc la première, dit Roland toujours aussi calme. Elle vous concerne personnellement. Vous êtes, à mon avis, homme de guerre avant tout. Je crois réellement que la diplomatie vous perdra. Vous pouvez certes, en unissant votre armée et vos efforts à ceux de Foscari, vous emparer de l’Italie, bien que l’entreprise en elle-même comporte plus de difficultés que vous n’en supposez. Milan, Florence, Pise, Mantoue sont des républiques puissantes qui formeront une redoutable ligue. Mais supposons qu’après dix ans et plus peut-être de guerres sanglantes vous ayez réussi, supposons l’Italie vaincue prête à vous accepter pour maître. Supposons même une chose impossible : le pape consentant votre royauté, l’Europe ne se levant pas à son appel… Admettons tout cela. Vous voilà en présence de Foscari. Votre rôle est terminé. Le sien commence. Le guerrier s’efface, le diplomate entre sur cette scène rouge de sang que vous avez préparée… Que se passe-t-il alors, à votre avis ? »
Jean de Médicis avait suivi très attentivement les paroles de Roland. Le pli ironique de ses lèvres avait disparu.
Cet air de confiance illimitée que reflétait son visage de guerrier heureux s’était évanoui. Roland constata l’effet qu’il venait de produire et se hâta de continuer :
« Je ne parle pas de la résistance certaine et peut-être victorieuse de Venise elle-même. Venise que ses destinées conduisent à un avenir de liberté, Venise qui regarde vers la mer et non vers la terre, Venise qui aspire à la paix, au commerce, à la gloire des arts, sera sans doute la première à se révolter. Mais je reviens à ma question. Vainqueur, que ferez-vous ?
– Par le diable, mon patron, je régnerai à Naples, sinon à Rome même ! Qui donc saurait alors m’en empêcher ?
– Qui ? Votre associé, Jean de Médicis ! Je ne veux pas dire votre complice. Je connais Foscari. Je l’ai percé à jour. Quand vous aurez conquis l’Italie, il y aura un roi unique, et ce roi…
– Ce sera moi ! » gronda Jean de Médicis en assenant sur la table un coup de poing qui fit trembler les verres dont elle était chargée.
Mais se reprenant aussitôt, comme s’il eût craint d’avoir dévoilé sa pensée :
« Foscari sera loyal. Il le sera de force, s’il ne veut l’être de bon gré.
– Soit, dit Roland, j’en ai donc fini avec les objections qui vous concernent. Il me reste à vous exposer celles qui me sont personnelles. Je vous ai dit les motifs de haine que j’ai contre Foscari. Si vous devenez son associé, vous faites obstacle à ce que j’ai résolu de faire. Jean de Médicis, je vous jure sur ma mère morte de souffrance et de douleur, sur la tête de mon père supplicié, je vous jure que rien au monde ne peut sauver Foscari, du moment que je supprimerai tout obstacle qui se dressera entre le doge et le châtiment que je porte dans ma pensée. »
Roland se leva, et dit :
« Réfléchissez, Jean de Médicis.
– Je crois que vous me menacez ! fit le Grand-Diable en se levant de son côté.
– Je vous préviens, voilà tout. Foscari, c’est le crime ; moi, je suis la vengeance. Choisissez, Médicis !
– Mon choix est fait ! rugit le Grand-Diable. Holà ! à moi ! »
Une douzaine d’officiers se ruèrent dans la tente.
« Qu’on s’empare de cet homme ! ordonna Jean de Médicis. Et qu’on le garde à vue jusqu’à ce que j’aie statué. »
Roland fut aussitôt entouré. Il demeura aussi impassible qu’il l’avait été depuis son entrée dans la tente.
« Médicis, dit-il froidement, je vous ai donné à choisir entre le Crime et la Justice ! Prenez garde ! Il est encore temps…
– Qu’on l’emmène ! répondit le Grand-Diable.
– C’est donc vous qui l’aurez voulu !… »
Roland jeta ce mot sans colère apparente.
Il parlait encore que les deux officiers les plus rapprochés de lui lui mirent la main à l’épaule.
On connaît la force herculéenne de Roland.
Au moment même où il jetait au Grand-Diable une dernière menace, il se ramassa sur lui-même ; sa physionomie si froide jusqu’alors, se transformant, devint terrible, flamboyante.
Il écarta les deux bras d’un geste foudroyant.
Les deux officiers roulèrent comme assommés.
D’un bond, Roland se jeta alors vers la porte de la tente.
« Arrête ! Arrête ! hurla le Grand-Diable.
– Trahison ! Arrête ! Arrête ! » hurlèrent à leur tour les huit ou dix officiers restants qui formèrent entre Roland et la porte une barrière hérissée de poignards.
En même temps, une troupe nombreuse de soldats, attirés par les cris, s’avançaient vers la tente, tandis que les cavaliers de garde formaient un demi-cercle et levaient leurs pistolets. Roland avait tiré la lourde épée de combat qui ne le quittait jamais.
Il était acculé à un coin de la tente, et d’un effort de géant, avait attiré à lui la vaste table qui lui forma un rempart.
« Arrête ! Arrête ! hurlait le Grand-Diable, tandis qu’un tumulte de prise d’armes se déchaînait dans le camp.
– Médicis ! rugit Roland, souviens-toi que tu as repoussé ma justice et que ma justice te condamne !… »