II LA PASSION DE RONCHEROLLES

Dans cette chambre de l’hôtel Roncherolles dont la fenêtre était éclairée, vers le moment où Strapafar, Trinquemaille, Corpodibale et Bouracan tenaient conciliabule dans le logis de la rue Calandre, le grand-prévôt venait d’entrer.

Comme tous les soirs, le baron Gaétan de Roncherolles avait fait sa ronde intra et extra muros, une ronde minutieuse. Cela fait, il s’était, comme tous les soirs, encore dirigé vers les appartements de sa fille.

Tels nous avons vu Roncherolles en sa première jeunesse, méditant la perte de Renaud, tel nous le retrouvons. Seulement, les cheveux ont grisonné. Le visage a maigri. Il apparaît comme ces êtres de deuil dont le seul aspect glace les cœurs.

Et pourtant tout a réussi à Roncherolles. Il est le favori du roi. Grand-prévôt de Paris. Henri II vient de lui promettre de le nommer chancelier. Il est vrai que c’est à la condition que Roncherolles s’empare de Nostradamus et le fasse mourir.

– Redoutable mission ! songe le grand-prévôt. Allons donc ! J’irai chez lui avec douze archers et je lui mettrai la main au collet ! C’est facile. Si c’est facile, pourquoi ne l’ai-je pas fait encore, depuis trois jours que j’ai promis de l’arrêter ? Pourquoi Saint-André, menacé comme moi, ne l’arrête-t-il pas ? Pourquoi Montgomery, bafoué par lui devant toute la cour, ne l’arrête-t-il pas ? Pourquoi le roi, ne donne-t-il pas ouvertement l’ordre de l’arrêter ? Ce matin, au conseil M. de Loyola lui a demandé la tête de cet homme. Et le roi n’a rien répondu !… Pourquoi ? D’où cet homme tient-il ce pouvoir exorbitant de faire trembler les cœurs, et d’y lire leurs passions secrètes ? – Je l’arrêterai ! Et, tout pantelant, le jetterai au bourreau. – Par le ciel, mes espions n’ont encore aucune nouvelle de ce Beaurevers ! Demain, si je n’ai pas de nouvelles, je ferai pendre un ou deux espions. Cela donnera de l’esprit aux autres.

Il eut un rire effrayant. Mais presque aussitôt, il tressaille.

– Arrêter le jeune truand, c’est bien. Mais l’autre ! Le sorcier ! Le Nostradamus ! je tremble à la seule idée de me retrouver devant lui. J’ai peur ! comme j’avais peur jadis… de Renaud !…

Et à ce nom, Roncherolles tremble. Qui se trouverait, près de lui, à ce moment, l’entendrait murmurer :

– Renaud nous a dit un jour à Saint-André et à moi que les morts sortent du tombeau. Si cela était !…

Roncherolles s’arrête au milieu de l’escalier. Il l’inspecte de bas en haut. Et il tourne encore la tête, alors qu’il se remet à monter, il surveille… quoi ?… Et il gronde :

– Si les morts pouvaient sortir de la tombe, depuis longtemps Renaud et Marie de Croixmart se fussent levés de leur couche funèbre… Ah ! J’arrêterai Beaurevers… J’arrêterai Nostradamus… Et je serai chancelier du royaume… Puis je me ferai créer duc… Puis je me ferai donner une petite royauté… Puis… nous verrons.

Son esprit s’élance. L’ambition y fulgure…

L’ambition !… La plaie secrète de cet homme. Jusqu’où prétend-il monter ?… Il n’en sait rien. Mais il souffre atrocement de tout honneur accordé à un autre que lui. Mais il est la proie d’un rêve monstrueux, et ce rêve, c’est d’arrêter le maréchal de Saint-André, d’arrêter le connétable de Montmorency, d’arrêter le chancelier et les conseillers ; d’être l’homme qui abat sa poigne sur tout et sur tous en hurlant :

– Le maître, c’est moi !…

*

* *

Roncherolles ouvrit une porte, traversa une antichambre où veillaient deux femmes, poussa une autre porte, et se trouva dans la chambre de Florise.

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