IV LA VISION

Dans cette minute même, il y avait au pied de l’hôtel, sous la fenêtre de Florise, caché, un homme immobile… Comme s’il eût assisté à la scène que nous venons de retracer, cet homme murmurait :

– Voilà qui va bien. Tout à l’heure, le roi, larron d’honneur, viendra. Oui. Mais moi je veux qu’il y ait ici, sous ces fenêtres, un premier choc entre le larron royal et le larron de Petite-Flambe, entre toi, Henri, et ton fils !… Allons, achevons l’enfant !…

Cet homme, c’était Nostradamus !…

Florise demeura prostrée, écrasée sur elle-même. Pendant quelques instants, elle fut comme éblouie de cette lumière que son père lui-même avait jetée en elle. Tout, en elle, lui cria qu’elle aimait, et doucement elle prononça ce nom qui prit alors une signification qu’il n’avait pas encore :

– Le Royal de Beaurevers…

Dans le même instant retentirent en elle les paroles de malédiction prononcées par son père :

– Regarde, Florise, regarde ! Voici ton amant qui se balance au bout de la corde que ton père lui a mise au cou !…

– Qui a parlé ! cria Florise en se relevant d’un bond.

Elle regarda autour d’elle, et vit qu’elle était seule. Là, dans cette chambre, tout à l’heure, Roncherolles avait entendu une voix lui dire : Ton cœur sera broyé. Et lui aussi avait crié : Qui a parlé ! Comme avait pensé son père, Florise pensa :

– C’est l’affreuse prédiction qui me poursuit !…

Comme elle disait ces mots, elle demeura pétrifiée. Ses yeux venaient de se porter vers la fenêtre. Et dans l’encadrement de cette fenêtre, se dressait une potence géante…

Florise regardait comme on regarde dans les cauchemars. Le ciel devint d’un bleu noir. La potence titanesque dominait Paris, plus haute que les tours de Notre-Dame… C’était une grossière potence de bois mal équarri. Une corde y était attachée.

La corde commença à monter dans le vide, tandis qu’elle descendait le long du poteau, comme si d’en haut on eût tiré.

La corde monta comme si elle fût venue d’un gouffre… Brusquement apparut la tête… la tête du pendu, avec le nœud coulant autour du cou, puis les épaules, le buste, les jambes, les bras liés au dos, et, alors, une fois encore, les paroles de Roncherolles retentirent en elle :

– Regarde, regarde ton amant qui se balance au bout de la corde que ton père lui a mise au cou !…

Un grand cri terrible jaillit des lèvres de Florise :

– Le Royal de Beaurevers !…

D’un bond, elle s’élança vers la fenêtre et l’ouvrit : au même instant, corde, gibet, supplicié, tout disparut…

Le vent, assez fort entra dans la chambre et souffla sur les flambeaux. Mais Florise ne s’en aperçut pas. Une minute, elle demeura à la fenêtre.

– Puissances du ciel ! fit-elle dans un délire de joie, ce n’était qu’une vision enfantée par les paroles de mon père !

Elle se sentait renaître… et tout à coup, comme elle se penchait, de la fenêtre voisine ouvrant sur la chambre de ses femmes, elle vit se dérouler une longue échelle de corde ou de soie dont le premier échelon alla toucher le sol. Dans le même moment, elle vit deux hommes qui s’avançaient vers cette échelle… elle vit l’un d’eux la saisir… L’instinct le lui fit reconnaître – et elle se rejeta en arrière avec un cri de terreur :

– Le roi !…

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