V LA PREMIÈRE SIGNATURE ROYALE DE FRANÇOIS II

Il faut nous reporter au moment où Catherine, assise près de la fenêtre dans l’hôtel des Échevins, donna l’ordre d’introduire messire de Notredame, qui demandait audience.

– Je vais donc savoir, songea-t-elle, pourquoi il y va du bonheur de mon cher Henri que j’assiste à cette exécution…

Elle se retourna et vit Nostradamus. Il s’était placé de façon à tout voir, lui aussi, l’échafaud, la foule, la place.

– Madame, dit Nostradamus, je sors de l’église. M. de Roncherolles s’est tué d’un coup de poignard.

– Ah ! fit Catherine. Et pourquoi s’est-il tué ? Le savez-vous ?

– Oui. Parce que sa fille Florise aimait celui qui va être exécuté, parce qu’elle s’est promise à lui dans la mort.

– Florise ? Cette petite qui est venue cette nuit me supplier de lui accorder le droit de mourir près de lui ?

– Oui, madame.

– Florise ? Celle pour qui mon époux devait me répudier ? Que vous avez conduite à Pierrefonds ? Qui était en somme ma plus redoutable rivale ?

– Oui, madame.

– Elle adore ce truand… ils sont dignes l’un de l’autre. Eh bien ! qu’ils s’épousent dans la mort !

– Madame, dit Nostradamus, je suis venu vous demander de laisser ces enfants s’épouser non dans la mort, mais dans la vie. Vous me devez beaucoup. Je mets ma science et ma vie à vos ordres. En revanche, je vous demande la vie du condamné…

– Pourquoi vous intéressez-vous à lui ?

– C’est mon fils…

Catherine secoua violemment la tête.

Nostradamus vit ce geste, et comprit que la résolution de Catherine était irrévocable. Il comprit qu’elle ne tuait pas seulement en Beaurevers le détenteur d’un redoutable secret, mais encore le fiancé de Florise !

Nostradamus rassembla ses forces éparses. Il chercha en lui ce fluide magnétique que, si souvent, il avait employé… Et, il sentit que fluide, volonté magnétique, puissance de suggestion, tout lui échappait…

Le cortège funèbre venait d’apparaître sur la place !…

– Les voici ! dit Catherine dans un cri de haine.

Nostradamus regardait de toute son âme, non pas le condamné, mais là-bas, par delà la foule…

– Tentons le dernier effort, dit-il à haute voix. Madame, ayez pitié. Sauvez mon fils…

Catherine haussa les épaules.

– Vous ne voulez pas ?… Eh bien ! soit !

Une transformation instantanée s’opéra dans son attitude.

– Que se passe-t-il donc en lui ? songea la reine stupéfaite.

Par un prodigieux effort, Nostradamus en arrivait à prendre le masque du calme. Et ses yeux souriaient !…

– Je voulais, dit-il, m’éviter une opération difficile. Je l’accomplirai. Qu’on tue mon fils : Je le ressusciterai !…

Catherine se dressa, l’âme soudain noyée d’épouvante :

– Ainsi, c’est vrai ? Vous pouvez ressusciter les morts ?…

– Ne vous l’ai-je pas dit ? Je ferai l’opération devant vous !…

– Oui ! fit Catherine, vous me l’avez dit… et je vous ai cru… Mais vous m’avez dit aussi qu’il vous fallait pour cela le sang d’un jeune enfant… de race, pure… d’un enfant de l’amour…

À ce moment, le condamné montait sur l’échafaud.

– C’est vrai ! dit Nostradamus.

Le Royal de Beaurevers se plaçait devant le billot…

– Vous m’avez dit que vous n’oseriez égorger l’enfant…

– C’est vrai ! dit Nostradamus.

L’exécuteur regardait fixement la fenêtre.

– Je veux en faire l’épreuve ! gronda Catherine.

Elle fit au bourreau le signe fatal !… En cet instant, Nostradamus parut flamboyer. Là-bas, au bout de la place, Nostradamus venait de voir l’écharpe rouge qui s’agitait !… Il saisit la main de la reine, et, dans un suprême effort :

– J’oserai égorger pour ressusciter mon fils. J’ai l’enfant. C’est votre fils, madame ! vôtre fils… Henri !…

Et il s’abattit foudroyé. Catherine penchée jusqu’à mi-corps, le geste fou, la voix délirante, hurla :

– Arrête ! Grâce ! Grâce ! Il y a grâce !…

Et la hache levée ne retomba pas sur le cou du condamné ! Et la foule immense éclata en acclamations frénétiques :

– C’est la reine ! Il y a grâce ! Vive la reine !…

Le Royal de Beaurevers fut reconduit à son cachot en attendant qu’une décision définitive fût prise. Quant à Florise, comment se retrouva-t-elle dans le logis de la rue de la Tisseranderie, dans les bras de Marie de Croixmart, c’est ce que Myrta seule eût pu expliquer…

Catherine de Médicis avait appelé du secours. Elle tremblait convulsivement. La rage, la fureur, la haine lui tenaillaient le cerveau.

Sur ses ordres, des médecins s’empressaient à ranimer Nostradamus. Bientôt il fixait la reine dans les yeux, fort comme l’archange terrassant le démon…

– Si tu as dit vrai, râla la reine… tu es le plus fort ! mais si tu as menti… oh ! malheur à toi, à tous les tiens ! Accompagne-moi au Louvre !

Un quart d’heure plus tard, accompagnée de Nostradamus, une forte escorte surveillant le mage, Catherine entrait au Louvre… Le prince Henri avait disparu. Et disparu aussi les quatre gardes du corps !…

Pendant deux heures, Catherine lutta contre une crise dont elle ne sortit que grâce à Nostradamus. Lorsqu’elle eut repris possession d’elle-même, elle se retrouva seule avec Nostradamus…

– Je suis vaincue, prononça-t-elle. Rendez-moi mon fils…

– Madame, dit Nostradamus, vous allez prier le roi de France d’écrire l’engagement que je vais dicter. C’est un engagement d’honneur, madame. Si malgré cela un malheur arrivait à mon fils ou à sa jeune femme ! quoi que vous tentiez contre moi, si loin que votre fils Henri aille se cacher, même si j’étais enfermé au fond d’un cachot, je l’atteindrais, madame, et son sang… je le prendrais jusqu’à la dernière goutte !…

– Je vous crois ! bégaya Catherine, courbée, les mains jointes…

– C’est bien, faites venir le nouveau roi de France !

Le jeune roi, bientôt, entra dans la chambre, et considéra curieusement Nostradamus. Catherine plaça sur une table un parchemin scellé aux armes de France. Puis elle dit :

– Il faut que vous écriviez ce que cet homme va vous dire…

François II leva les yeux sur sa mère :

– C’est mon premier acte de roi que je vais faire là ? dit-il.

– Oui, sire, dit Nostradamus d’une voix vibrante.

– C’est la première fois que je vais signer en qualité de roi… Je voudrais que ce soit pour quelque chose de beau…

– Sire, dit Nostradamus, je vous jure que le noble désir de Votre Majesté va être satisfait !…

Le jeune roi fut bouleversé de cette émotion et dit :

– Monsieur, n’étiez-vous pas médecin de mon père ?

– Oui, sire !

– Je vous nomme mon médecin, moi aussi !… Dictez.

Et Nostradamus dicta :

« Moi, François, roi de France, deuxième du nom, sur mon honneur, m’engage à ce qui suit : L’homme connu sous le nom de Le Royal de Beaurevers ne sera jamais inquiété pour tout ce qu’il a pu faire ou dire jusqu’à ce présent jour du 6 juillet de l’an 1559. J’autorise le mariage de noble demoiselle Florise de Roncherolles avec ledit sieur Le Royal de Beaurevers, en y mettant cette condition : que tous les biens du sieur de Roncherolles décédé reviendront aux pauvres de Paris. De même, ne seront ni arrêtés, ni inquiétés pour tout acte jusqu’à ce jour les hommes nommés Trinquemaille, Bouracan, Corpodibale et Strapafar. En foi de quoi j’ai signé de mon nom.

« FRANÇOIS, roi de France. »

Le jeune roi signa et remit le parchemin à Nostradamus.

– Et pour vous ? fit-il.

– Sire, dit Nostradamus, le titre que Votre Majesté vient de me conférer m’est une suffisante protection…

Le roi sortit pour aller raconter à sa femme qu’il venait d’accomplir son premier acte royal.

– Madame, dit Nostradamus à Catherine, je vais vous chercher votre enfant et je vous l’amène…

– Quoi ! Avant que votre fils, à vous, ne soit rendu à la liberté ?

– Oui, madame, répondit Nostradamus en s’inclinant.

Catherine éprouva à ce moment l’une des rares émotions bienfaisantes de sa vie. D’une voix émue, elle dit :

– Soyons amis, voulez-vous ?

Nostradamus se pencha sur la main de la reine et l’effleura d’un baiser.

– Allez, reprit Catherine. Et pendant que vous allez chercher mon, enfant, je vais mettre votre fils en liberté.

Une heure après ces événements, le prince Henri était dans les bras de sa mère. Et, Le Royal de Beaurevers, Florise, Marie de Croixmart, Nostradamus se trouvaient assemblés dans le logis de la rue de la Tisseranderie, agenouillés dans une suprême prière autour d’un lit où reposait le corps du sire de Roncherolles.

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