IV FLORISE FIANCÉE

Devant Henri II, à cette minute, s’inclinait Roland de Saint-André. Et le jeune homme, achevant un récit, disait :

– Voilà comment les choses se sont passées. Sire, je demande justice contre le truand nommé Le Royal de Beaurevers.

– Qu’on m’amène mon grand-prévôt, dit Henri.

Nostradamus écoutait en souriant. Roland s’était élancé à la recherche de Roncherolles, qu’il ne tarda pas à amener.

– Monsieur le grand-prévôt, dit Henri II, avez-vous connaissance d’un truand nommé Le Royal de Beaurevers ?

– Oui, sire, dit Roncherolles, et de sa bande, composée de quatre spadassins. Ces cinq hommes ont mérité la mort.

– Qu’avant deux jours ils soient pendus, dit le roi.

– Merci, sire ! s’écria joyeusement Roland de Saint-André.

– Un mot, baron de Roncherolles, reprit alors le roi d’une voix sombre. Approchez aussi maréchal… plus près…

Autour du roi, tout le monde, y compris la reine, s’écarta.

– Maréchal, grand-prévôt, dit-il en baissant la voix. Je veux que ce sorcier, ce démon, soit saisi et brûlé sur une de nos places publiques.

– Faut-il lui mettre la main à l’épaule ? fit tranquillement Roncherolles.

– Vous n’avez donc pas vu que Montgomery n’a pas pu ?

– Sire, donnez-moi l’ordre, et j’arrête le diable.

– Moi aussi ! s’empressa d’ajouter jalousement le maréchal de Saint-André.

– Oui, murmura Henri, je le sais, vous êtes tous deux mes seuls amis depuis l’époque déjà lointaine où…

– Où nous servions vos amours, sire ! dit le maréchal.

– Et vous débarrassions de Renaud ! ajouta Roncherolles.

– Renaud !… balbutia Henri II… Qu’est-il devenu ?… C’est étrange, mais, bien souvent, je pense à celui qui était le fiancé de Marie… Vous rappelez-vous Marie ?

– Chimères, sire ! Cet homme est mort. Et les morts ne sortent pas de la tombe, quoi qu’en dise Nostradamus.

– Marie ! reprit Henri d’un ton de rêve. J’ai aimé bien des femmes. Aucune ne m’a inspiré la même passion… Mais laissons ces souvenirs. Je ne veux pas que Nostradamus soit arrêté ce soir dans mon Louvre. Mais le jour où vous viendrez m’apprendre qu’il est saisi et va mourir…

– Eh bien, sire ?

– Roncherolles, ce jour-là, je vous donne la place de François Olivier, que j’ai promise à L’Hospital…

– Sire, sire ! bégaya Roncherolles.

– Et moi, sire ? demanda le maréchal de Saint-André.

– Toi, je te donne cent mille écus.

Saint-André se mordit les lèvres pour ne pas rugir de joie. Et Nostradamus qui, de loin, étudiait cette scène, le vit pâlir.

Ni le roi, ni le maréchal, ni le grand-prévôt ne trouvaient étrange de si belles récompenses. Tous trois éprouvaient cette impression qu’ils se trouvaient en présence d’une formidable puissance. Et à eux trois, roi, maréchal, grand-prévôt, ils formaient un groupe synthétisant ces trois forces naturelles : Épouvante, Ambition, Avarice.

Sur un signe de Roncherolles, Saint-André reprit :

– Sire, puisque M. le grand-prévôt et moi nous nous trouvons en présence du roi, permettez-moi d’exposer à Votre Majesté la commune faveur que nous lui demandons.

– Qu’est-ce ? fit Henri II à haute voix, et d’un regard circulaire, il indiqua que le conciliabule secret était terminé.

Les courtisans aussitôt se rapprochèrent. Catherine, Diane de Poitiers, Marie d’Écosse reprirent leurs places.

– De quoi va-t-il être question ? demanda Tavannes.

– De moi ! répondit Roland de Saint-André, pâle de joie.

– Oh ! oh ! fit La Trémoille, le roi paraît bien sombre.

– Parlez, maréchal, dit Henri II.

– Sire, dit alors Saint-André, vous savez quelle lointaine amitié nous a toujours unis, M. le grand-prévôt et moi. Nous voulons transformer cette amitié en une alliance indestructible. Nous avons donc formé un projet pour l’accomplissement duquel nous venons vous demander votre agrément.

– Quel est ce projet ? fit le roi en pâlissant.

– Il s’agit, d’un mariage entre Roland de Saint-André, mon fils, et Florise de Roncherolles, fille du grand-prévôt.

Tout le monde put voir que le roi fut agité d’un tremblement. Son regard chargé d’éclairs rebondit de Roncherolles à Saint-André. Pour la deuxième fois, d’un geste, le roi renvoya loin de lui tout ce qui l’entourait.

– Éloignez-vous, vous aussi ! dit Henri II à Roncherolles.

Le grand-prévôt obéit. Il prit le vicomte Roland par le bras et l’entraîna vers sa fille Florise. Dès son arrivée en cette salle, Roncherolles avait placé sa fille de façon que, du fauteuil qu’il occupait, le roi ne pût l’apercevoir.

– Quelle est cette trahison ? dit Henri II, les lèvres serrées. Prends bien garde, je t’ai fait maréchal et je t’ai aussi gorgé de bénéfices. Or, grade, bénéfices, argent, mon digne avare, tout cela s’évanouira comme un beau rêve si je souffle dessus. Sans compter qu’il y a des cordes pour les traîtres.

Saint-André était pâle. Mais il tenait ferme.

– Tu sais que je veux cette fille, poursuivit le roi. Tu m’accompagnes toutes les nuits jusqu’au logis de Roncherolles. Tu soupires avec moi sous les fenêtres de la belle. Tu me promets ton concours. Et tout à coup tu viens me dire que Florise est pour ton fils. Prends garde, mon bon Saint-André !

Nostradamus assistait à cette scène, sur laquelle pesait son regard d’une sinistre clarté. Et en lui-même, il rugissait :

– Oui, Henri, oui ! C’est avec ce truand que tu as ordonné de pendre que tu te trouves en rivalité ! Le Royal de Beaurevers rival d’Henri II, roi de France !… Et qu’est-ce que ce Beaurevers, Majesté ?… Votre fils ! Entends-tu, ton fils !…

– Sire, disait à ce moment le maréchal de Saint-André, ce mariage seul peut assurer vos amours.

– Comment cela ? Explique-toi, ou je te fais arrêter ! dit le roi, sans s’apercevoir qu’il venait de parler haut.

– Patatras ! fit Brantôme. Le scandale est tombé !

– Mon fils, reprit Saint-André épouse Florise qui, dès lors, fait partie de la cour et que vous nommez au besoin dame d’honneur. Le jour du mariage, vous donnez à Roland mission d’aller voir ce qui se passe du côté de Metz.

– Mais, partira-t-il ?

– Je m’en charge !

Henri II jeta sur son pourvoyeur un indéfinissable regard.

– Écoutez-moi, sire, continua le maréchal. Il y a vingt ans et plus que je connais Roncherolles. Je ne parle pas de son ambition. À part cela, je ne lui ai jamais connu la moindre passion. Rien ne l’émeut. Or, Roncherolles poignardera sa fille de ses mains plutôt que de la savoir votre maîtresse. Il mettrait le feu à Paris pour lui éviter une larme. Maintenant, sire, apprenez qu’il y a eu bataille dans l’hôtel du grand-prévôt entre ses gens et un homme qui, prisonnier, a fini par sortir de merveilleuse façon.

– Conte-moi cela, Saint-André.

Saint-André lui fit une narration très détaillée de l’évasion de Beaurevers et de ses quatre acolytes.

– Corbleu ! cria le roi. Voilà un brave, et je serais fâché qu’il lui arrivât malheur. Tu diras cela à Roncherolles. Et le nom de cet Amadis ?…

– Sire, il s’appelle Le Royal de Beaurevers.

– Quoi ! celui-là qui a gourmé ton fils ? s’écria le roi.

– Et que vous avez ordonné de pendre haut et court.

– N’y aurait-il pas moyen d’adoucir cette rigueur ?

– Attendez, sire. Cette impression que Le Royal de Beaurevers produit sur l’esprit de Votre Majesté, il l’a produite également sur l’esprit d’une femme qui n’a pas craint d’essayer de délivrer les cinq malandrins.

– Alors, elle aime ce jeune héros ?

– Peut-être, sire ! En tout cas, c’est ce que redoute son père, car cette femme, c’est Florise de Roncherolles…

Le roi gronda un sourd juron. Son regard s’enflamma.

– Dès que ce Beaurevers sera saisi, bégaya-t-il, qu’on me prévienne, je veux le voir pendre !

– Soyez tranquille, sire… Le grand-prévôt a surpris sa fille au moment où elle allait délivrer Le Royal de Beaurevers. Il l’a enfermée et gardée à vue jusqu’à ce soir. Je ne vous parle pas de la douleur et de la rage du grand-prévôt. À cette situation, il ne voit qu’un remède : le mariage. Roncherolles sait que lorsque sa fille aura juré fidélité à un homme au pied des autels, elle tiendra son serment. Florise mariée ne lui inspirera plus d’inquiétude. C’est pourquoi il aime mieux se broyer le cœur en se séparant de cette enfant qu’il comptait garder près de lui.

Le roi demeurait sombre. Il grondait des fragments de paroles qui suffirent à Saint-André.

– Sire, termina le courtisan, Florise mariée, nous n’avons plus rien à craindre de ce caprice de son cœur. Et d’ailleurs le Beaurevers sera pendu. Mais cette fidélité ne doit pas nous arrêter nous-mêmes : ce n’est pas la première fois que nous aurons vaincu une résistance…

– C’est bon, dit Henri II, ce mariage se fera.

Saint-André fit un signe à Roncherolles. Dans le même instant, le roi devint très pâle. Roncherolles s’avançait, donnant la main à Florise…

Il y eut une rumeur d’admiration. Cinquante jeunes seigneurs comprirent à cette minute le sens de ce mot : le coup de foudre de la passion. Diane de Poitiers regardait venir Florise avec une sombre curiosité. Catherine frémissait. Marie Stuart admirait avec son imagination de poète et d’artiste.

– Sire, dit Roncherolles de cette voix désespérée du renoncement suprême, daigne Votre Majesté m’autoriser à lui présenter ma fille, fiancée au très noble vicomte Roland d’Albon de Saint-André. Plaise au roi de consentir à cette union.

– Approchez, vicomte ! dit le roi d’un accent intraduisible de menace. Mademoiselle, je suis heureux d’accorder à votre père l’autorisation qu’il demande. Je donnerai à votre époux une charge qui sera le témoignage de ma confiance. Et quant à vous, je veux vous doter. Allez, messieurs, et que ce mariage se fasse au plus tôt.

Henri II se tut – peut-être parce qu’il se sentait à bout de forces. À ce moment, Florise murmura :

– Sire…

Elle ne put en dire davantage, et s’affaissa dans les bras du grand-prévôt, qui l’emporta jusqu’à son carrosse.

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