V MARIE DE CROIXMART

Après avoir lancé son imprécation, Marie avait contourné le tombeau, et, à bout de force, elle s’était abattue à genoux, non pas devant sa tombe, mais devant une autre toute proche, une dalle sur laquelle aucun nom n’était gravé. C’était elle-même qui avait fait poser là cette dalle.

Cette tombe était devenue le but de ses quotidiennes promenades ; elle s’y plaisait ; elle s’y sentait protégée ; c’est là que, par une nuit effrayante, elle était venue avec Renaud, quand il avait enterré là les ossements de sa mère, brûlée vive sur l’ordre du seigneur de Croixmart…

Renaud, la terrible scène qui avait suivi le mariage, la lecture de la lettre où elle se dénonçait elle-même, c’étaient là des souvenirs sur lesquels elle se penchait.

La scène de la lecture avait été racontée par Roncherolles et Saint-André pendant le procès de Marie. La Margotte – la geôlière – la lui avait racontée à son tour. Car Marie, endormie magnétiquement, n’en avait aucun souvenir. Et alors, elle avait compris ou cru comprendre pourquoi Renaud n’était jamais revenu !

– C’est égal, pensait-elle en ses rêveries, il eût pu me pardonner cela. Était-ce ma faute, si je m’appelais Croixmart ? A-t-il pu croire que j’ai dénoncé quelqu’un, moi ! Que j’ai dénoncé sa mère ! J’avais tout fait au monde pour essayer de lui cacher mon triste nom. Renaud, j’ai, pour toi, menti à Dieu, sur l’autel. Que dis-je ? J’ai tenté d’éviter le mariage ! J’ai étouffé mes pudeurs de fille !… et ton fils est né ! Ton fils né dans les cachots du Temple, le geôlier et la geôlière en ont eu pitié… mais toi !…

Puis, elle ne savait plus. L’enfant avait disparu. Emporté, lui avaient dit Gilles et La Margotte, par Brabant-le-Brabançon, un homme capable de tuer un enfant. L’enfant était donc mort. Et mort aussi, sans doute, Renaud !

Et tandis que sur la tombe de la suppliciée, Marie de Croixmart sanglotait, râlait, appelait Renaud, appelait son fils, elle se demandait pourquoi elle vivait encore… Et comme elle ne pouvait détacher sa pensée des deux démons qui venaient de lui apparaître, elle comprit que c’était pour assister à leur châtiment.

Brisée, Marie de Croixmart se releva enfin, sortit du cimetière et reprit le chemin de la rue de la Tisseranderie. Elle songeait à Renaud :

– Pourquoi n’est-il pas revenu, selon sa promesse ? Sait-il qu’il a un fils ?… Si je le revoyais, que lui dirais-je ?…

Et alors, tantôt elle se voyait reprochant à Renaud son abandon. Tantôt elle se voyait lui demandant pardon d’être la fille de Croixmart…

Ce qu’il y avait au fond de son cœur, c’était l’amour resté jeune. Ce qui la faisait vivre, c’était son amour…

Une fois de plus, donc, elle se demandait en sanglotant :

– Sait-il qu’il a un fils ?…

Elle répéta doucement, comme dans une caresse :

– Notre fils… mon fils…

En prononçant ce mot « mon fils », sans cesser de pleurer, elle se prit à sourire. Elle sourit, oui, et murmura :

– Il aurait vingt-deux ans à la Saint-Jean. Il serait grand comme Renaud, hardi comme lui, noble de cœur et généreux comme lui. Il porterait fièrement l’épée. Il serait le plus beau.

Marie de Croixmart frappa à la porte de la maison – selon un signal convenu avec Gilles. Elle semblait calmée.

– Ils sont entrés à trois, dit l’ex-geôlier, et ont tout visité.

– Je pense qu’ils n’ont pas découvert la chambre secrète ?

– Il aurait fallu des malins. Et si c’était arrivé, je leur sautais dessus. Ils ne seraient pas sortis vivants.

– Et ce jeune homme ? reprit-elle.

– Il dort comme un bienheureux.

Marie fit signe à Gilles de veiller en bas. D’ailleurs, depuis plus de vingt ans que le geôlier et sa femme s’étaient attachés à elle, elle avait pris l’habitude de s’en remettre à eux. Si des ennemis tentaient de l’approcher, il leur faudrait d’abord passer sur Gilles et la Margotte. Elle monta. Dans la chambre où tout à l’heure l’avaient vue Roncherolles et Saint-André, elle poussa un panneau de lambris ; une porte étroite béa. Marie entra.

C’était une petite chambre, où il n’y avait qu’un lit, une table et deux ou trois chaises, évidemment un refuge secret. Un jeune homme dormait paisiblement dans le lit. Et Marie de Croixmart se pencha sur Le Royal de Beaurevers.

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