IV CHASSEURS AU REPOS

La bande qui avait ramassé l’homme tué par la chute, s’était mise en route, avec des cris de triomphe. De toutes parts, les postes qu’avait disposés Roncherolles arrivaient. La besogne était finie. Dans la Cité, ce fut un beau vacarme. Au coin des rues Calandre et de la Juiverie, un groupe, éclairé de torches : l’état-major de l’expédition, Montgomery, Saint-André, quelques gentilshommes, et le grand-prévôt.

– Le voilà ! Le voilà ! Nous le tenons !…

Tous s’élancèrent. Les torches arrivèrent. On découvrit le cadavre, sur lequel on avait jeté un manteau.

– Malédiction ! rugit Roncherolles.

– Mon fils ! dit Saint-André sans excessive émotion.

Roncherolles partit au pas de course, entraînant tout le monde, et distribuant à chacun sa besogne avec lucidité.

– Mon pauvre fils ! répéta Saint-André.

Il s’agenouilla, posa sa tête sur la poitrine de Roland, écouta. Il songeait qu’il était débarrassé des dettes de Roland.

– Dieu soit loué ! fit-il tout à coup, il vit ! Le cœur bat.

Roland de Saint-André n’était qu’étourdi par la chute. Il y a des chances ainsi faites. Un Suisse lui versa dans la bouche le contenu de sa gourde. Le fils du maréchal fut secoué d’un spasme, ouvrit les yeux, et finalement se remit debout.

– Dieu soit béni ! répéta Saint-André.

– L’a-t-on pris ! fut le premier mot de Roland.

– Le sire de Roncherolles court après lui. Il l’aura.

Le maréchal fit quelques pas de retraite.

– Adieu, mon fils. Rentrez vous coucher et dormez jusqu’au grand jour. Je viendrai vous voir demain.

– Monsieur ! fit Roland, il faut que je vous parle.

– Parle donc ! fit le maréchal en soupirant.

Les gentilshommes qui étaient là s’écartèrent discrètement.

– Monsieur, dit Roland, je viens de parler au grand-prévôt. Ce mariage va se faire si vous m’en donnez congé.

– Et je te le donne, par la sambleu ! Le roi a promis une dot magnifique à la petite.

– Monsieur, je vis mal. Je suis un homme déshonoré. Mon hôtel de la rue Béthisy est assiégé par les créanciers.

– Jette-les par les fenêtres. Adieu, Roland…

– Non, mon père. Il faut, il faut qu’avant le mariage, j’aie payé mes dettes : environ deux cent mille écus.

– La dot, mon fils ! Songe à la dot promise par le roi.

– Je n’y toucherai pas avant que Florise ne porte mon nom. Il me faut en outre remonter ma maison sur un pied digne de vous, cela fera cent mille écus au plus juste.

– La dot, Roland, la dot !…

– Monsieur, outre mes dettes, et l’hôtel à remonter, il me faut songer à moi-même. Je suis en guenilles, monsieur. De plus, il faut que je fasse à ma fiancée un don de linge, robes, pierreries ; je mets tout cela à deux cent mille écus.

– Adieu, Roland ! Va dormir, dit le maréchal avec rage.

– Mon père, j’ai tout compté au plus juste. C’est cinq cent mille écus que vous me devez.

– Il faudra donc que j’engage mon hôtel, mes charges à la cour, et vendre l’argenterie de vos grand-mères ?

– Monsieur, on vous sait riche, dit-il. Vous avez au moins trois millions, peut-être quatre. Vous êtes plus riche que le roi. Je suis votre fils unique. C’est une honte, monsieur. Eh bien ! monsieur, je ne vous demanderai plus rien.

Roland lâcha le bras du maréchal et s’en alla rejoindre Tavannes, Biron et quelques autres qui l’attendaient.

– On prétend, dit Roland, que ce Nostradamus fait de l’or à sa guise. Croyez-vous qu’il veuille acheter mon âme ?

– Je le crois ! dit Brantôme avec un sourire pincé.

– Demain, j’irai voir Nostradamus ! dit Roland.

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