Le Royal de Beaurevers aborda, renvoya la barque au fil de l’eau, et monta le talus qu’ombrageaient des ormes et surtout d’antiques peupliers. Sur sa gauche, le Louvre dressait ses colossales ossatures. Beaurevers vit déboucher au pas de charge du Pont-au-Change des hommes d’armes. Ces gens passèrent en tumulte dans la lueur de leurs torches. Du coup, il obliqua à gauche, vers le géant de pierre accroupi au bord du fleuve, sûr d’avoir échappé aux sbires de Roncherolles. À ce moment même, Beaurevers se demandait comment le grand-prévôt avait pu avoir l’idée de venir rue Calandre. Quant à soupçonner le roi de forfaiture, c’était impossible. Le roi, c’était le roi…
Il descendait donc le fil de l’eau. De temps à autre, il se retournait. La bande avait disparu.
Les sbires de Roncherolles, simplement, faisaient le tour du Louvre. Le grand-prévôt, sachant qu’une barque s’était détachée de l’île aux Juifs, avait vu ce qui allait arriver. Il concentra son monde, et lui fit franchir le Pont-au-Change. Là, il se dit : « Maintenant, je l’ai ! »
Beaurevers, tout à coup, vit à deux cents pas des hommes qui s’échelonnaient depuis le fossé du Louvre jusqu’au bord de l’eau : une barrière vivante hérissée de piques.
– C’est bon ! grommela-t-il. Retournons d’où nous venons.
Et il fit demi-tour. Un juron gronda entre ses dents ; là-bas, à l’autre extrémité du Louvre, une barrière semblable venait d’être établie. Il avait devant lui vingt hommes ; derrière, autant ; à sa gauche, le Louvre ; à sa droite, le fleuve.
– C’est bon, je vais prendre un chemin un peu mouillé.
Il allait descendre sur la berge ; à ce moment, trois barques apparurent sur le fleuve ; l’une d’elles lâcha un coup d’arquebuse, puis la deuxième, puis la troisième…
Dans ce même instant, il vit sur sa gauche, aux flancs du Louvre, une poterne ouverte ! Sur le fossé, deux planches comme pour lui dire : Voici le salut. Passe. La poterne était ouverte ! Et il n’y avait pas une sentinelle !… Beaurevers s’élança, franchit le pont provisoire, s’engouffra sous la poterne et se vit dans une petite cour. Une grille derrière lui se referma à grand bruit, et tout autour de lui surgirent des arquebusiers qui le couchèrent en joue.
C’était le chef-d’œuvre de Roncherolles.
Lagarde venait d’être placé là par le grand-prévôt.
– J’ai mes hommes, lui avait dit Lagarde. Poussez le sanglier dans la poterne.
Lagarde était donc là avec l’escadron de fer, tous gens ulcérés par leur défaite. L’escadron de fer fit le cercle. Lagarde s’avança. Un éclair, à ce moment, incendia le cerveau de Beaurevers… Des paroles entendues chez Nostradamus ! Des paroles qui, dans cette minute, se mirent à sonner dans sa tête. Il se frappa le front et rengaina sa rapière. L’escadron se mit à rire. Lagarde gronda :
– Suivez-moi…
– Conduisez-moi à la reine Catherine, dit Beaurevers.
– Allons, fit Lagarde, marche, ou je te fais porter !
Beaurevers, d’une voix terrible, lui murmura dans la figure :
– Tu veux que ta reine meure sur l’échafaud ? Et toi aussi ?…
Les yeux de Lagarde jetèrent un éclair. Il tira son poignard.
– Inutile de me tuer, dit Beaurevers. Dans une heure, le roi saura par qui il a été attaqué sous les fenêtres de la grande prévôté, par qui ont été assassinés les douze hommes de son escorte, et qui avait aposté les assassins. Me comprends-tu, Lagarde ? Seul, je puis empêcher cet avis d’arriver au roi. Seul, entends-tu ?
Lagarde chancelait. Il leva le poignard pour se frapper soi-même : l’épouvante venait de le conduire aux frontières de la folie. Beaurevers arrêta son bras et sourit.
– Conduis-moi à la reine. Tu la sauves. Et tu es sauvé aussi. Dépêche, avant que Roncherolles n’arrive !
Lagarde bondit, hagard.
– Oui, oui, bégaya-t-il. Hors d’ici, vous autres ! Qu’on aille m’attendre hors du Louvre ! Et vite.
L’escadron, effaré, s’égailla… Un seul resta, et son chef lui donna quelques instructions. L’homme alla ouvrir la grille de la poterne qui avait été fermée sur l’entrée de Beaurevers.
– Venez ! dit Lagarde d’une voix d’agonisant.
Lagarde songeait à tous les supplices qu’il pourrait faire subir à cet homme quand il n’y aurait plus de danger.
Trois minutes ne s’étaient pas écoulées lorsque la cour s’alluma de torches. Il y avait là cent hommes. Roncherolles, arrivé premier, courut au compagnon de Lagarde resté pour supporter le choc.
– Où a-t-on conduit l’homme ? râla-t-il. Chez le roi ?
– L’homme n’est pas venu. Le capitaine a entendu des cris dans la cour voisine et s’y est jeté avec les camarades, me laissant là pour guetter. Je n’ai pas vu entrer l’homme… Voyez ; la souricière est encore ouverte.
Roncherolles gronda une imprécation…
Beaurevers et Catherine, face à face, se mesurèrent du regard. La reine était calme et majestueuse.
– C’est vous qui êtes Le Royal de Beaurevers ? fit-elle. C’est vous qui menacez votre reine ? reprit Catherine.
– Oui, madame ! répondit simplement Le Royal.
– Que savez-vous ? Que voulez-vous ? Soyez franc.
– Madame, dit Le Royal, je puis vous faire mourir comme meurent les régicides. La preuve que je ne me vante pas, c’est que vous m’écoutez, vous reine puissante, moi pauvre diable. Ce que je veux ? Vivre. Voilà tout. Je veux donc votre parole de reine que vous n’attenterez jamais à ma vie. Maintenant, voici ce que je sais : d’abord que votre fils Henri n’est pas le fils du roi de France, et que, par conséquent, il ne pourra régner quand son tour viendra. Ensuite, que vous avez envoyé le sire de Lagarde pour poignarder le roi près de l’hôtel de la grande prévôté. C’est tout, madame.
Catherine suffoquait. L’escadron de fer était dans son antichambre, caché derrière des rideaux. L’ordre était celui-ci : tuer quiconque s’approchait de l’oratoire tant que Beaurevers y serait. Elle ne redoutait donc rien du dehors. Et pourtant cette femme vivait une minute effroyable.
– Vous dites que quelqu’un doit prévenir le roi ?
– Dans une demi-heure, madame, dit Beaurevers.
– Vous pouvez empêcher cet inconnu d’arriver au Louvre ?
– Oui. Je puis obtenir qu’il renonce pour toujours à vous dénoncer. Je m’y engage, si vous vous engagez à respecter ma vie.
Catherine eut un nouveau soupir. L’effort qu’elle faisait pour ne pas se ruer sur ce jeune homme était immense.
– Je m’engage à respecter votre vie, dit-elle. Je le jure.
– Madame, conduisez-moi hors du Louvre, si vous voulez que j’arrive à temps.
– Venez, dit Catherine.
Lorsqu’elle voulut se mettre en route, elle chancela.