IV LA VOLONTÉ DU MORT

Quelques jours après, Nostradamus entrait dans Montpellier. Il avait fait la route à pied, la nuit, se cachant le jour.

Une dernière douleur l’attendait. Son père était mort.

Il interrogea son vieux serviteur, nommé Simon, et acquit la certitude que, s’il n’avait pas été arrêté à Tournon, il serait arrivé à temps pour sauver son père. Nostradamus jura de ne pas oublier le nom d’Ignace de Loyola et se contenta de demander comment était mort le vieillard.

– En vous appelant et en vous bénissant, répondit Simon.

Et il fit à son jeune maître un récit détaillé des derniers moments du vieux Nostradamus. Quand il eut fini, il pleurait.

– Je l’ai enterré au cimetière, acheva Simon.

– Bien. Tu me conduiras cette nuit sur sa tombe.

*

* *

« Au cas où tu arriverais trop tard, tu ouvriras ma tombe et tu liras le parchemin que tu trouveras dans le vêtement avec lequel je serai enterré… »

Ces mots de la lettre que Renaud avait reçue de son père à Paris étaient restés gravés dans son esprit.

Vers le milieu de la nuit, Nostradamus et Simon, portant des pics, des bêches, une lanterne, arrivèrent au cimetière. La dalle, descellée, un trou noir apparut au fond duquel il y avait un cercueil. Nostradamus se laissa glisser. Simon, penché au bord, l’éclairait.

Au bout d’une demi-heure, il remonta, et s’assit exténué.

Après un moment de repos, le jeune homme se remit à l’œuvre pour sceller la dalle de nouveau. Le jour commençait. Ils rentrèrent à la maison. Ils ne s’étaient pas dits un mot. Seulement, quand le jeune homme rentra dans sa chambre, il tomba évanoui.

Revenu à la vie, Nostradamus s’enferma et sortit de son sein le parchemin qu’il avait trouvé dans le vêtement avec lequel avait été enterré son père.

Nostradamus, pendant deux heures, demeura devant ce papier, sans oser briser le sceau.

– Là est votre volonté, murmura-t-il. Oh ! mon père. Je l’exécuterai, dussé-je y engager ma vie et mon âme…

Enfin, il brisa le sceau, ouvrit le parchemin et le parcourut. Il ne contenait que ces quelques lignes :

« Nostradamus, voici la volonté de Nostradamus, et que la malédiction de onze siècles écoulés pèse sur toi si tu n’en es le fidèle exécuteur. Tes onze premières tentatives dans la suite des siècles ont été vaines parce que la Volonté a défailli en toi. Si tu es enfin plus fort que la Mort et que la Peur, la douzième tentative te conduira au triomphe. Donc, à l’heure même où s’achèvera ta vingt-quatrième année, trouve-toi devant le Sphinx et pénètre dans son sein. Dans ta descente aux entrailles de la terre, fais-toi un cœur de bronze, un esprit de feu, une âme en diamant. Parvenu enfin en présence de l’Énigme, terrasse sa volonté par ta Volonté. Alors, l’Énigme te livrera le secret suprême. »

Ces lignes flamboyaient sous les yeux du jeune homme ; chacune de ces paroles s’incrustait dans son cerveau pour n’en plus sortir. Mais l’indéchiffrable sens de ces lignes, comment le saisir ?

– Onze tentatives faites par moi dans la suite des siècles ! murmurait le jeune homme. J’ai donc vécu dans les siècles précédents !… Qui est le Sphinx dans le sein duquel je dois pénétrer ?… Qui est, où est l’Énigme qui doit me livrer le secret suprême si ma volonté est plus forte que la sienne ?… Où dois-je m’enfoncer dans les entrailles de la terre ?… Il faut qu’à la dernière heure de ma vingt-quatrième année, je me trouve devant le Sphinx… j’ai donc trois mois environ pour comprendre la volonté de mon père et descendre aux entrailles de la terre.

Pendant un mois, Nostradamus passa des nuits entières devant la tombe de son père et des jours entiers enfermé dans le laboratoire du vieux savant. Un jour, il crut avoir trouvé !…

Ce même jour, sans perdre un instant, après s’être muni d’or, il se rendit à cheval jusqu’à Marseille, et là, fréta à son compte une légère tartane napolitaine. Quand il eut fait prix pour un voyage d’environ deux mois, le patron, son bonnet phrygien à la main, lui demanda :

– Où faut-il conduire Votre Seigneurie ?

– En Égypte ! répondit Nostradamus.

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