III LE 29 JUIN

Henri II, levant le masque, venait de se jeter à corps perdu dans la lutte contre l’hérésie. Et cependant la Cour s’amusait follement. Les danses, les fêtes se poursuivaient jusqu’aux matins clairs.

Le 16 juin, après une nuit d’orgie, Henri II expédiait des lettres aux gouverneurs pour la destruction des hérétiques.

Le 27 juin fut signé le contrat de mariage de Marguerite avec le duc Emmanuel Tête-de-Fer. Du Louvre, le bruit des festins et des danses se répandait sur Paris.

La passe d’armes, qui devait durer trois jours, commença le matin même de la signature du contrat.

Le 27, donc, les tenants du tournoi furent : le roi, le duc d’Albe, ambassadeur de Philippe II d’Espagne ; le connétable de Montmorency, malgré son âge, et le duc de Guise. Tête-de-Fer rompit une lance contre Henri II et eut l’avantage.

Le 28, il y eut combat général de deux camps opposés l’un à l’autre. Puis le roi jouta contre le maréchal de Saint-André, lequel, se laissa galamment désarmer.

Le 29 juin était le dernier jour de ce mémorable tournoi. Pendant les deux premières journées le roi porta les couleurs de Diane de Poitiers : blanc et noir. Couleurs de deuil ! Dans sa galerie, Catherine de Médicis, pâle, vit cette livrée. Et alors, se tournant à demi vers Montgomery, du bout des lèvres, elle laissa tomber ces mots :

– Sous ces couleurs, le roi sent la mort !…

La lice s’étendait sur une ligne qui formait T avec la rue Saint-Antoine. Tout le côté adossé à la Bastille était occupé par des tribunes. Tout le côté situé vers la rue était barré par une palissade à hauteur d’homme. La lice formait une longue piste ovale d’une longueur d’environ cent cinquante toises. Elle avait la forme de nos hippodromes modernes.

Aux deux extrémités, on avait dressé des tentes où les chevaliers revêtaient leurs armures. Toutes portaient l’écu ou le fanion de l’occupant. La tente de Montgomery était placée du côté de l’hôtel des Tournelles et celle du roi à l’extrémité opposée.

Les tribunes étaient divisées en trois parties : au centre, une grande loge destinée à la famille et aux familiers du roi. À gauche et à droite de la loge, deux longues galeries pour les seigneurs et dames ; chacune de ces galeries pouvait abriter plus de trois mille spectateurs.

En face des galeries et séparé d’elles par la lice, il y avait le peuple derrière sa barricade, et derrière la palissade des hallebardiers.

Lorsque vous serez passé des lices étincelantes d’armures à la loge prestigieuse, oui, là, au centre même de ce tumulte d’images et de clameurs, là, pareille à l’incarnation du destin, là, penchée sur la reine Catherine de Médicis, livide, regardez ! Voyez cette figure flamboyante et funèbre, dont l’immense décoration de ce spectacle semble, n’être que le cadre.

C’est Nostradamus !…

Nostradamus, dans l’oreille de la reine, n’avait laissé tomber que ces trois mots :

– Il est temps.

Nostradamus jeta un regard sur Montgomery, puis sur Saint-André, puis sur Roncherolles… L’instant d’après, il avait disparu.

La mêlée se terminait dans la lice. Le duc de Guise, le fils du duc de Ferrare, les deux fils du connétable de Montmorency. La Trémoille, Tavannes, Biron, dix autres seigneurs avaient pris part à cette mêlée. Mais déjà, avant, Henri II avait rompu trois lances.

Lorsque les cris des hérauts eurent proclamé le nom du parti vainqueur dans la mêlée, Henri II se leva en donnant le signal des applaudissements. Ce spectacle l’enivrait.

– Par Notre-Dame, cria-t-il, rien ne m’empêchera de courir une quatrième fois. Mais je veux cette fois un rude champion, qui ne ménage pas ses coups.

Il jeta un long regard autour de lui. Catherine de Médicis adressa à Montgomery un regard terrible. Elle allait parler, elle allait dire :

– Sire, rappelez-vous que vous avez promis à votre capitaine des gardes l’honneur de vous mesurer avec lui aujourd’hui.

À ce moment même, Henri II prononça joyeusement :

– Montgomery, nous romprons ensemble une lance.

Catherine faillit s’évanouir. C’était étrange ! Le roi lui-même désignait le champion qu’à tout prix il fallait lui indiquer ! Elle fit un effort, se remit. Et alors, par un admirable artifice, elle s’écria :

– Mais, sire, je vous en supplie… Votre Majesté est déjà bien fatiguée. N’est-ce pas, ma chère duchesse ?

– Certes ! fit Diane de Poitiers. Sire, quatre lances rompues dans la même matinée, c’est trop !

– Me croyez-vous donc hors de service ? Allons, Montgomery, allons, brisons une lance pour l’amour des dames !

Et il courait à sa tente pour revêtir son armure. Montgomery, en chancelant, se rendit à la sienne. Catherine de Médicis, alors, se tourna vers quatre gentilshommes de sa suite particulière qui, dans un angle obscur de la loge, se faisaient aussi petits que possible.

Les quatre s’éclipsèrent sans bruit. Et ces quatre c’étaient nos dignes sacripants qui faisaient leurs premiers pas à la Cour. Trinquemaille, Bouracan, Corpodibale et Strapafar savaient marcher, saluer, selon les principes de la pure galanterie. Seulement, il leur était défendu de parler. Si d’aventure on leur adressait la parole, ils devaient se contenter de s’incliner en souriant. Ils étaient d’ailleurs magnifiques.

Par derrière, ils se dirigèrent vers la tente de Montgomery !…

Share on Twitter Share on Facebook