V L’ÉMEUTE

Sur la place, une rafale de rumeurs, soudain. Une ruée d’êtres déguenillés, surgis on ne sait d’où. Et au moment où les archers de Croixmart vont enfin saisir Renaud, qui s’écroule, à demi-mort, le jeune homme se sent emporté par des gens qui lui crient :

– Courage ! Nous allons venger la bonne Providence !

– Maudite ! murmure Renaud, maudite soit la dénonciatrice ! Malheur à la fille de Croixmart !…

Pourtant, c’est en murmurant le nom de Marie que Renaud s’évanouit.

On l’emporte, tandis que le bûcher crépite, tandis que des vociférations éclatent, tandis qu’une tempête de fureur soulève l’océan humain qui déferle. Insensée, Marie regarde et balbutie :

– Cette femme… là… au bûcher… c’est sa mère !…

Où est Renaud ?… Elle ne le voit plus ! Mais son père est là, tout raide sur son cheval, l’estramaçon au poing, criant des ordres, protégeant le bûcher ! De toutes ses forces, il veut ! Brûle, sorcière ! Brûle, toi qui m’as menacé ! Brûle, jusqu’au bout ! En avant, mes gens d’armes ! Balayez-moi ces truands !…

– Petite-Flambe ! En avant, la Cour des Miracles !

– Trinquemaille et Saint-Pancrace ! Trinquemaille !

– Strapafar, milo dious ! Strapafar !

– Corpodibale, porco dio, Corpodibale !

– Bouracan, sacrament, Bouracan !…

Quatre jeunes truands d’une vingtaine d’années, frénétiques, en lambeaux, conduisent l’attaque…

Marie regarde le bûcher. Et, tout à coup, un immense cri d’horreur : le poteau vient de s’abattre ! Le corps de la sorcière disparaît… L’horrible supplice est consommé !…

Morte. La dame, la bonne Providence est morte. Il n’y a plus dans la fournaise qu’un cadavre sans apparence humaine qui achève de se réduire en cendres… Alors, Marie se détourne.

– C’est fini, prononce-t-elle tout bas.

Qu’est-ce qui est fini ? Elle ne sait pas. Le supplice ? Ou bien son amour ? Oui, tout est fini pour elle au monde, puisqu’entre elle et Renaud il y a maintenant une malédiction et un cadavre. Fuir ! Il n’y a plus que cette volonté en elle. S’en aller n’importe où, et mourir sans avoir revu Renaud !… Agenouillée dans un angle de la chambre, terrorisée, une femme…

– Bertrande, je vais partir d’ici. Veux-tu me suivre ?

– Oui, oui. C’est affreux. Partons, demoiselle.

– Allons-nous-en, dit Marie en claquant des dents.

– Votre père ! Et votre père !…

– Je n’ai pas de père. Veux-tu que je m’en aille seule ?

– Je vous suis ! Seigneur, on se massacre sur la place !…

Prudente, dame Bertrande rafle de l’or, des bijoux, diamants, perles, une fortune… Et, par un escalier dérobé, les deux femmes descendent. Quelques instants plus tard, Marie s’éloigne de l’hôtel de Croixmart…

Sur la place, l’émeute bat des ailes. Deux cents cadavres autour du bûcher ; des centaines de blessés ; des cris ; des malédictions ; des mêlées furieuses ; des groupes, où l’on s’égorge… et là, au pied de l’hôtel Croixmart, une masse plus hérissée, de tout ce qui tue… Là, entouré encore d’une vingtaine d’archers, sombre, livide, l’estramaçon rouge, le seigneur de Croixmart se défend…

– Pas de quartier ! Tue ! Tue !…

– Strapafar, vivadiou ! Corpodibale, madonna ladra !

– Bouracan ! Trinquemaille !

Une prodigieuse ruée d’êtres déguenillés qui s’entraînent. Le halètement monstrueux d’une foule en délire… et, soudain, un corps tombe !… Un corps sur lequel s’abattent des bras !… Dix minutes s’écoulent… et alors, un tonnerre de vivats, un ouragan de rires ! Et ce qu’on voit alors, c’est l’horreur d’une curée où les chiens sont des hommes, où la bête est un homme… c’est un corps déchiré, lacéré, dépecé, mis en pièces… C’EST TOUTE LA PRÉDICTION DE LA SORCIÈRE QUI S’ACCOMPLIT !…

Et cette tête livide, cette tête qu’on promène au bout d’une pique, c’est celle du baron Gerfaut, seigneur de Croixmart, grand juge prévôtal !… Justice est faite !…

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