Renaud arrive place de Grève, entre dans ce logis à l’angle de la place, où, tout à l’heure, est entrée Marie !… Et, comme elle, il s’avance vers la dame aux cheveux d’argent ! Vers la malheureuse que Marie vient de dénoncer à son père ! Et contre laquelle Croixmart s’apprête à marcher !… Elle sourit de joie… et il dépose un baiser sur les cheveux d’argent, et le mot qu’il murmure tendrement, c’est un mot que les fatalités de l’heure présente font tragique, c’est :
– MA MÈRE !…
L’amant de Marie de Croixmart, c’est le fils de la Sorcière…
*
* *
– Je t’attendais, mon fils, a prononcé la dame.
– Chère mère, répond le jeune homme. Je sais quels reproches j’ai mérités. Voici trois jours que je ne vous ai vue. Voici un mois que nous devrions avoir quitté Paris, et, à travers l’espace, mon père nous appelle… Sous peu de jours, nous prendrons le chemin de Montpellier. Et peut-être me pardonnerez-vous, quand vous saurez que la force qui m’a emprisonné dans Paris s’appelle l’amour !
– C’est ce soir qu’il faut partir. C’est tout de suite !…
– Ma mère ! D’ailleurs sommes-nous si pressés ? Ma mère, je ne vous demande que deux jours… Si vous saviez…
– La fille de Croixmart est venue ici il y a deux heures !
– La fille de Croixmart ! gronde Renaud. Et vous l’avez reçue ! Et vous lui avez parlé ! Quelle terrible imprudence !
– J’ai fait mieux, prononce la dame. Je lui ai parlé de son père. Ce que les truands ont résolu d’exécuter, je le lui ai annoncé. Je lui ai prédit la mort du grand juge… Enfin, je me suis révélée à elle comme capable de lire l’avenir… oui, c’est là une terrible imprudence… mais un je ne sais quoi m’a poussé à lui parler comme si j’eusse été sa mère…
– Malheur et malédiction !…
– Oui ! Car à peine fut-elle partie que je compris !
– Elle vous a été envoyée, n’est-ce pas ?
– Qui sait !… Quoi qu’il en soit, cette jeune fille possède maintenant une preuve contre moi. Mon fils, s’il m’arrive malheur, souviens-toi que c’est la fille de Croixmart qui me tue !
– Ma mère, crie Renaud, éperdu, vous m’épouvantez !…
– Oh ! continue la dame… si je pouvais voir…
Et, à ce moment, sa physionomie devient étrange ! ses yeux se convulsent… Renaud la contemple. Elle continue :
– Il est possible que la pure jeune fille soit une vile espionne… silence… écoute… je vois… j’entends…
– Ma mère ! hurle Renaud en traçant un geste étrange.
– Oh ! Qu’as-tu fait ? Tu m’as empêchée d’écouter !…
Son visage est redevenu serein. Mais alors, elle saisit les deux mains de son fils, et, les yeux dans les yeux :
– Si je suis dénoncée par cette fille, tu n’auras ni paix ni trêve que tu n’aies vengé ton père et ta mère à la fois…
– Je vous le jure, ma mère ! répond Renaud.
– Tu as juré, mon fils. Et tu ne peux t’en dédire. Tu es d’une famille où les morts parlent aux vivants. Tu portes un nom qui est le symbole des connaissances extra-terrestres…
– Partons ! rugit le jeune homme. Je reviendrai lorsque je vous aurai mise en sûreté !
À ce moment, sous les fenêtres, un cliquetis d’armes. À la porte, de grands coups sourds, une voix menaçante :
– De par le roi !…
– Trop tard ! prononce la sorcière.
Et, tournée vers son fils anéanti, elle ajoute :
– N’oublie jamais que ton nom, c’est NOSTRADAMUS !…
La porte s’ouvre violemment. L’escalier apparaît plein d’archers. Un homme s’avance, couvert d’acier. Il gronde :
– Qu’on entraîne cette femme ! Moi Gerfaut, seigneur de Croixmart, déclare que j’ai contre elle une preuve suffisante de sorcellerie. Car elle m’a été dénoncée par ma propre fille ! En conséquence, je juge et ordonne que cette femme soit conduite au bûcher de la Grève, où elle subira le châtiment des démoniaques !
– Souviens-toi de ton serment ! crie la sorcière à son fils.
– Adieu, père, mère, adieu la vie ! murmure Renaud. Adieu l’amour ! Adieu, Marie adorée !
Et, il tire la pesante épée qu’il porte au côté. Des dix gardes qui s’avançaient, un tombe mort, un autre recule avec un hurlement. Aussitôt la salle s’emplit. Un tourbillon furieux. Des cuirasses qui s’entrechoquent. Des vociférations. Des blasphèmes. Des coups assénés. Et, un être hors nature, la face flamboyante, sanglant, déchiré, frappant, reculant, effroyable et sublime. C’est Renaud qui défend sa mère ! La sorcière, peu à peu, est entraînée. La lutte se continue dans l’escalier. Et nul ne peut saisir l’homme ! Nul n’arrive à lui porter le coup mortel… Dix cadavres, çà et là ! Lui est rouge des pieds à la tête ! Et sur la place !… l’infernale bataille se poursuit… Une foule immense accourt. De toutes les rues dévalent des torrents humains… Le groupe atroce marche sur le bûcher ! Au milieu, la sorcière, calme et terrible !… Autour, lui, Renaud qui attaque, ici, là, partout !…
Et soudain, la poigne du bourreau s’abat sur la sorcière ! Elle est portée sur le bûcher ! Une torche luit !… Une énorme clameur, un cri lugubre, épouvantable ; la clameur du fils !
– Ma mère ! Ma mère ! Ma mère !…
Dans cet instant, une fenêtre s’ouvre à l’hôtel de Croixmart… À cette fenêtre, une forme blanche… une vierge aux yeux hagards, à la figure pétrifiée… C’est Marie qui se penche sur cette scène d’horreur. Elle regarde… elle écoute… Et dans ce tumulte, elle n’entend que le cri terrible de Renaud…
Et dans cette foule furieuse, c’est sur deux figures seules que s’accroche son regard. La sorcière ! La sorcière dénoncée par elle au milieu des flammes qui se tordent… Et ce jeune homme, là, sanglant, qu’elle reconnaît, son fiancé dont l’effrayante clameur hurle encore :
– Ma mère ! Ma mère ! Ma mère !
– Sa mère ?… Que dit-il ?… Sa mère ?… je rêve !…
Les archers se ruent sur Renaud… Marie bégaie :
– Celle que j’ai livrée au bûcher… c’est… sa… mère ?…
Les hommes montrent le poing aux archers. Les femmes sanglotent. Croixmart comprend que quelque chose de terrible se prépare. Les archers, en vain, tentent d’arriver jusqu’à Renaud…
– Ma mère ! Ma mère ! Ma mère !
– Sa mère ! C’est sa mère ! râle Marie Vacillante.