Des mois se sont écoulés… Nous pénétrerons alors avec le lecteur, au nord-est de Paris, dans la forteresse du Temple.
Des mois donc, se sont écoulés depuis la nuit où Marie a épousé Renaud, jusqu’au jour où, suivant un geôlier, brute indifférente, nous descendons un escalier qui s’enfonce dans les entrailles du sol.
Le geôlier ouvre une porte, dépose dans un coin du cachot une cruche pleine d’eau et un pain, puis il s’en va. Le pain et l’eau, c’est la ration de deux jours pour la prisonnière… Et cette prisonnière, c’est Marie.
Son visage est émacié, son pauvre corps décharné. Elle songe à des choses d’une infinie tristesse. Parfois, cependant, un frémissement la secoue… cette sorte de souffrance et de joie qu’éprouve celle qui attend la venue au monde de l’être déjà chéri alors qu’il n’est pas encore au monde…
Puis elle reprend sa morne rêverie. Est-ce bien elle qui s’est réveillée une nuit devant deux visages convulsés de passion ! Est-ce bien elle qui fut entraînée dans une maison mystérieuse où, pendant dix jours, elle eut à repousser les attaques soudaines de l’un ou de l’autre des deux fauves !… Comme elle était brave, alors ! Comme elle savait écarter l’homme rué sur elle !… C’est qu’elle espérait, alors !… Renaud avait dit, Renaud lui répétait à chaque instant : « Dans vingt jours, heure pour heure, tu me reverras… »
Au bout du dixième jour, les deux frères lui étaient apparus ensemble. François alors, avait grondé ceci :
– Vous êtes accusée de magie. Vous êtes accusée d’avoir lu une lettre sans ouvrir le papier, en pleine nuit. Vous êtes accusée d’avoir parlé avec un être invisible, d’essence démoniaque sans doute. Vous allez être conduite au Temple, et jugée. Vous serez condamnée et brûlée vive.
Et Henri, alors, avait repris :
– À moins que vous ne consentiez à vous adoucir. Alors, c’est la liberté, c’est la vie fastueuse. Vous serez une grande dame de la cour.
– Conduisez-moi au Temple ! dit Marie.
Alors, ils s’étaient retirés. Une heure plus tard, des hommes noirs suivis de soldats étaient entrés et l’avaient interrogée ; puis, elle avait été conduite au Temple, sous les huées du peuple qui hurlait : « Mort à la sorcière ! »
Marie était descendue dans son cachot sans crainte. Elle comptait les jours qui la séparaient du retour de Renaud : Dans dix jours, il sera ici, en ce cachot même, dont il m’ouvrira la porte.
Le jour indiqué par Renaud approcha enfin. Elle compta : se sera pour dimanche. Lorsqu’elle sentait l’angoisse donner l’assaut à son cœur, elle fermait les yeux, et elle entendait la voix de Renaud qui lui disait : dans vingt jours, heure pour heure…
Le dimanche, elle se plaça, toute palpitante, près de la porte, et attendit. D’abord elle attendit patiemment. Puis, un peu d’impatience la gagna… Sur le soir, le geôlier vint lui apporter sa provision de deux jours. Elle ne fit pas attention à cet homme : elle savait que ce n’était pas Renaud. Elle ne mangea pas. Elle continua de se tenir près de la porte, debout. Parfois, elle murmurait :
– Ce dimanche est long ! Cette journée ne finira donc pas ! Et elle n’est pas finie, puisqu’il n’est pas encore là…
Elle ne toucha pas à son pain ; seulement, la soif la dévorait, et elle s’aperçut que la forte cruche n’avait plus une goutte d’eau.
– Comment ai-je pu déjà vider cette cruche ? se dit-elle.
Au moment où elle se disait cela, le geôlier reparut ; il portait une cruche pleine et un pain : la ration de deux jours. Cela l’étonna. Elle dit :
– Oh ! vous m’apportez à manger et à boire deux fois dans le même jour ?
– Comment, deux fois ? fit le geôlier stupéfait.
– Vous m’avez apporté ce matin mon pain et ma cruche…
– Je suis venu vous apporter votre ration dimanche soir.
– Dimanche soir ?… Eh bien ?…
– Eh bien ! fit le geôlier, nous sommes MARDI SOIR.
La porte se referma rudement. Marie, sans un cri, tomba à la renverse, foudroyée. Depuis le dimanche matin elle était restée sans manger, sans dormir, presque toujours debout.