Les deux frères se dirigèrent vers la chambre où elle dormait. Comme ils marchaient vers le lit, Marie se réveilla en murmurant :
– Renaud… mon bien-aimé Renaud… es-tu là ?
Elle ouvrit les yeux et soudain, elle vit ces deux physionomies affreuses, ravagées de haine et d’amour… Elle lut leurs pensées sur leurs visages… l’épouvante la souleva… Ils la saisirent, et elle retomba pantelante, avec un grand cri…
Lorsqu’ils l’eurent renversée et maintenue, François ivre de passion, approcha ses lèvres des lèvres de la jeune femme. Dans le même instant, il roula à trois pas, à demi assommé par le coup de poing d’Henri… Marie d’un bond, se trouva debout, en marche vers la porte. Mais devant cette porte, elle vit les deux jeunes hommes !… Déjà ils s’unissaient pour la garder !… Elle cria trois fois :
– Renaud ! Renaud ! Renaud !…
Son danger, à elle-même, ne l’effrayait pas. Mais Renaud !… Puisqu’il n’était pas là, c’est qu’on le lui avait tué ! De ce qui s’était passé depuis sa sortie de l’église, une seule chose comptait : Renaud n’était pas là !…
– Mort ? fit-elle d’un accent tragique. Oui, sans doute. S’il vivait, il serait là. Il m’eût entendue. Mon Renaud ? Où es-tu ? Qu’ont-ils fait de toi ?… Mort ?… Es-tu mort ?… Réponds-moi ?
Les deux princes la considéraient avec une morne admiration. Tout à coup, passion, admiration, disparurent de leur esprit. Une étrange terreur les envahit. Dans l’instant même où Marie venait de dire : Es-tu mort ? Réponds-moi ? son visage se modifia brusquement. Elle parut écouter. Elle écoutait en réalité une voix qui distinctement lui parlait.
La voix de Renaud !… Les paroles que Renaud avait mises en elle… Et ces paroles, elle les répétait à haute voix :
– Rappelez-vous ceci : c’est que dans vingt jours, heure pour heure, je serai de retour. Mais comme cela va être long, vingt jours !…
– Elle est folle ! murmura François.
– Non ! fit Henri tremblant. Elle parle avec l’invisible…
Ils ouvrirent la porte, sortirent et refermèrent à clef. Marie, peu à peu, reprenait son expression naturelle.
Roncherolles et Saint-André attendaient dans la pièce voisine. Ils jetèrent sur les princes un regard de curiosité.
– Cette fille, dit Henri, a d’étranges attitudes.
– Oui, dit François elle semblait parler à un être invisible…
Roncherolles et Saint-André se jetèrent un regard.
– Messeigneurs, dit Roncherolles, tout à l’heure, quand pour exécuter l’ordre de Vos Seigneuries, nous avons jeté à la Seine ce cadavre gênant, à ce moment, nous avons entendu une clameur qui, sûrement, ne venait pas d’un être humain.
– Et il est également vrai, ajouta Saint-André, que nous avons vu cette fille lire en pleine nuit un papier fermé.
François regarda Henri :
– Où allons-nous la mettre ? fit-il d’un ton menaçant.
– Nous sommes égaux en droit ! répondit Henri. Donc, ni chez vous, ni chez moi. Je propose l’hôtel de Saint-André.
Saint-André salua. Roncherolles pâlit de jalousie.
– Parce qu’Albon est à vous ! gronda François.
– Messeigneurs, dit Roncherolles, pourquoi ne pas vous servir de mon hôtel ? Rue de la Hache, à deux pas du Louvre, l’endroit est désert, tranquille, tout à fait propice.
– J’accepte ! dit François.
– Va pour l’hôtel de Roncherolles ! gronda le prince Henri.
Dans la même nuit, Marie fut emmenée rue de la Hache. Les deux princes, rentrés au Louvre, convinrent de coucher désormais dans le même appartement, et François Ier, qui conclut de là à une amitié naissante, en éprouva une grande joie. Catherine de Médicis, femme d’Henri, accepta la situation sans protester.
Roncherolles s’institua le geôlier en chef de la malheureuse Marie. Mais Saint-André exigea de s’installer dans l’hôtel de la rue de la Hache. En sorte qu’au lieu d’un gardien, la jeune femme en eut deux, qui jamais ne se montraient à elle.